Université d'Automne du SNUipp - Lalonde 2006 : Une ouverture sous le signe de la résistance
Une ouverture sous le signe de la résistance
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La salle comble pour l'ouverture Photo Café pédagogique |
"C'est devenu un classique, mais ça continue à étonner" introduit Gilles Moindrot, co-secrétaire général du SNUipp. " Quelques jours pour rassembler 400 enseignants et plus de 30 chercheurs pour parler de nos réussites, de nos difficultés. C'est une conception de l'Ecole : ouverte, solidaire, qui vise à construire la réussite de tous les élèves. Mais cette année, la polémique ouverte de la pire des manières par le ministre de l'Education ouvre une offensive qui dépasse largement la lecture. Etonnés, souvent en colère, les enseignants constatent l'isolement du ministre. Le dernier appel de 22 chercheurs rappelle l'évidence : il n'y a pas lieu d'imposer l'usage d'une méthode unique. L'autoritarisme, le recours aux sanctions ou de menaces à l'encontre de ceux qui ne pensent pas comme le ministre sont des méthodes sinistres d'un autre âge. Le métier de formateur, d'inspecteur, d'enseignant, exige de connaître les différentes entrées de la recherche, le droit à penser par soi-même. En stigmatisant les enseignants, le ministre remet en cause les fondements de la confiance entre l'Ecole et les parents, nie notre compétence professionnelle.
Attention à la sortie de route, Monsieur le Ministre ! Nous appelons les enseignants à aller à la rencontre des parents. Rendez-vous pour de nouvelles perspectives d'action au retour des vacances de Toussaint".
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Roland Goigoux Photo Café pédagogique |
Roland Goigoux a été invité à la tribune pour quelques instants, avant la conférence qu'il fera tout à l'heure : "Merci à tous les messages de soutien. Je vais bien, même si certaines initiatives auxquelles j'étais invité sont suspendues… jusqu'aux élections présidentielles. Le ministre met la hiérarchie sous pression, cherche à mettre sous tutelle la formation continuée. Je réfute l'idée qu'on soit obligé d'être dans un cadre syndical pour pouvoir s'exprimer librement et loyalement, comme j'entends le faire, dans le respect des programmes et des données scientifiques dont nous disposons. C'est notre devoir d'universitaires de le dire, y compris lorsque le ministre a des paroles qui vont à l'encontre de ses propres programmes".
Jean-Yves Rocheix : "Quelle est la marge pour les acteurs de l'Ecole ?"
Les conditions de la réussite de tous ne sont pas que scolaires : l'Ecole ne peut seule inverser les logiques sociales de plus en plus inégalitaires. On n'aurait d'ailleurs sans doute intérêt à avoir plus de connaissance sur l'influence de ces difficultés sociales (travail fractionné des femmes, par exemple) dans les difficultés des élèves. Ni impuissance, ni toute puissance, quelle est la marge pour les acteurs de l'Ecole ?- On a déplacé les fractures au niveau des filières du lycée ou de l'enseignement supérieur, de plus en plus inégales, de plus en plus mises en concurrences, Cette " démocratisation ségrégative " élève le niveau de formation des jeunes générations, mais continue d'organiser des parcours inégalitaire.
- On sait que les plus grandes victimes sont les jeunes garçons des classes populaires, ceux qu'on retrouve dans les statistiques de la délinquance.
- Nombre d'enseignants ou de structures sont en difficulté pour continuer à prôner l'ambition du "collège pour tous", et il faut réinterrroger l'idée souvent préconçue du collège "maillon faible" : celui-ci ne fait parfois qu'enregistrer des écarts de résultats qu'on constate déjà au CE2 (de 1 à 3), même si les processus sont moins visibles à l'Ecole élémentaire. Même si la question n'est pas simple dans cette enceinte, je persiste à prôner la nécessité de penser collectivement (et non séparément le 1er et le 2nd degré) les conditions de réussites de tous les élèves.
Les inégalités socio-territoriales sont à prendre mieux en compte : au delà des chiffres sur les différentes académies, on voit l'accroissement des inégalités entre les secteurs de recrutement de collège, en terme de recrutement, de caractéristiques des enseignants, de mise en œuvre pédagogique. Les lieux les plus ségrégatifs ont les résultats les plus éloignés de ce qu'on pourrait en attendre.
- Les politiques volontaristes de réduction drastiques des redoublements ou d'orientation précoce, sans qu'on soit pour autant capable de traiter la difficulté scolaire, ont fait qu'on a aujourd'hui une part non négligeable d'élèves qui cheminent de classe en classe sans maîtriser les acquis scolaires requis. On a remplacé un processus de sélection précoce par un processus d'éviction par le haut qui continue à accroître le désarroi des enseignants, à provoquer des glissements d'exigences de l'apprentissage au comportement… Je suis pour qu'on en parle ouvertement, dès l'école élémentaire… sauf à ne pas voir les sources de désillusions graves pour les élèves concernés sur le sens de leur cursus scolaire
- On a un double mouvement : exarcerbation et dramatisation des enjeux scolaires, angoisses des parents, translation vers l'amont des conduites sélectives dès le primaire, augmentation d'exigence, face auquel se développent de possibles contraditions, dans les classes moyennes, entre un souci de la performance et le souci de l'épanouissement des élèves, quand dans le même temps les classes populaires se désengagent du "contrat social" de l'Ecole avec la société, rompant l'alliance traditionnelle entre classes moyennes et classes populaires sur l'Ecole. L'évolution de l'école demande de plus en plus aux familles, sur le modèle de la compétition. Mais les familles les moins familiarisées avec l'Ecole sont en difficulté pour entraîner leurs enfants comme élèves, créant encore une nouvelle source d'inégalité. Comme disait Bourdieu, l'Ecole exige des familles ce qu'elle se dispense elle-même de travailler dans le rapport au savoir. On le voit quand on se rend compte que ce sont les activités intellectuelles les plus exigeantes qui provoquent l'écart le plus grand entre ZEP et non ZEP. A l'insu des uns et des autres, le risque d'un "contrat didactique différencié" au sein de la classe, selon les catégories d'élèves peut rejoindre la revendication de la "méritocratie scolaire", quand on se donne pour objectif de faire accéder les "meilleurs élèves des quartiers populaires" à Sciences Po, continuant de perdre les autres en chemin. La réussite de tous n'est pas de permettre à chacun d'aller au bout de ses talents. Penser sur le modèle de l'individualisation peut nous empêcher de penser la démocratisation.
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Photo Café pédagogique |
Agnès Van Zanten : "Ne pas en rester à On en sauvera quelques uns !"
le lien entre la question de la ségrégation et les inégalités
La question n'est plus d'aller au collège, mais de savoir "dans quel collège aller".La ségrégation d'habitat joue un rôle essentiel, mais il faut aller plus loin que cela : lorsqu'on interroge les familles, la moitié disent choisir leur résidence en fonction de l'Ecole. Certaines familles acceptent la mixité résidentielle, mais de moins en moins la mixité scolaire. Certaines catégories sociales jouent sur la carte scolaire, mais beaucoup plus nombreux sont ceux qui jouent sur le privé.
Des concurrences se mettent en place entre établissements autour des ressources rares : les bons élèves. L'offre de langues rares, les classes à horaires aménagés. Les orientations successives, mais aussi les choix faits au sein des établissemennts fabriquent des enchaînements institutionnels : certains établissements envoient des élèves vers les grandes écoles, d'autres non…
Les décisions publiques s'opposant à la ségrégation sont électoralement risquées…
L'implantation (ou non) des écoles au sein des quartiers, les politiques locales de carte scolaire permettent d'agir, mais il faut beaucoup de courage politique pour les prendre, tant elles sont coûteuses en terme électoral. Concernant le privé, il faut avoir le courage de dire que l'Etat n'est souvent pas en capacité d'avoir la connaissance réelle des flux d'élèves, notamment la manière dont certains établissements scolaires se débarrassent de certains élèves…
Du côté des parents, l'idéal de mixité est encore relativement fort. "Ceux qui restent" cherchent à ce que l'établissement soit viable, notamment en cherchant à savoir ce que vont faire les autres parents : rester ou partir ? En cela, ils nous interrogent, laissant entendre que la qualité de l'Ecole vient plus du type d'engants qui la fréquentent que de la pédagogie utilisée… Parfois, certains essaient de "privatiser" l'espace public, en entretenant des relations privilégiées avec les parents, en favorisant les classes de niveau…
Disparités locales
Les politiques ont des effets, malgré la décentralisation. Mais la politique nationale, mise en œuvre de manière extrêmement disparate sur les territoires sans suivi ni évaluation, se réduit parfois comme peau de chagrin. Les établissements favorisés continuent, quoi qu'on en dise, à être plus riches que les établissements défavorisés. Et dans tous les cas, les politiques cherchent à avoir des résultats très rapides, promotionnels, qui détournent une part des ressources sur une fabrication d'image : montrer qu'on est efficace plutôt que de chercher à être efficace, faire une exposition, plutôt que de mesurer réellement les progrès des élèves…
Mieux dire ce qu'on fait
Du coup, pour l'Ecole, il est indispensable de prendre beaucoup de temps pour expliquer ce qu'on fait, montrer les objectifs. Plus l'école est opaque, plus vous donnez corps à des rumeurs. Du côté des politiques publiques, il est urgent d'accompagner, de suivre, d'aider, avec des cadres compétents, mais aussi d'instaurer une politique de régulation par le niveau national, chargée de vérifier réellement ce qui se fait.
Je suis préoccupée par la manière dont ce qui se fait réellement sur le terrain est souvent largement ignoré par le niveau national, y compris par ceux qui ont été les plus engagés dans la mise en œuvre de dispositifs.
Peu formé, peu accompagné, seul dans sa classe, un enseignant aura toujours tendance à reproduire ce qu'il a vécu, faute de socialisation secondaire : la formation initiale, mais aussi continue, qui permette de sortir des cadres de références ordinaires. En France, le politique relève de la rhétorique. Il est peu exigeant envers lui-même, mais très exigeant envers les acteurs.
Les propos retranscrits ici n'ont pas été relus par leurs auteurs.
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Reportage par P. Picard - Publication le 1er novembre 2006
Par fgiroud , le .