Pourquoi faire des tablettes en maternelle ? Pour améliorer la structure du langage, la diction et même les conjugaisons. C’est ce travail que montre Christelle Lemoine à travers l’expérience du cahier numérique de littérature. En travaillant avec une tablette les enfants apprennent aussi à s’exprimer et se taire au bon moment, à écouter l’autre, bref à devenir élève…
Pour ce cahier numérique, nous nous demandons à partir d’une parcelle d’illustration : « Qui a peur de ça ? ». Ce questionnement fermé induit des réponses calibrées, propices à un travail d’amélioration du langage. Mais pas seulement… J’ai gardé pour cet article les différentes étapes enregistrées, du premier jet au « produit fini » qui sera seul publié dans le cahier numérique de littérature. Deux ou trois pages ont été sélectionnées à chaque fois, mais j’aurais pu en présenter bien plus.
Apprendre à communiquer
Nous voilà réunis autour des livres pour en parler. Les enfants reconnaissent la parcelle d’illustration présente sur la tablette et la parole circule : – Qui a peur de lui ? – Tu es sûr ? Comment le sais-tu ? (La réponse n’est jamais sur l’image pour amener les enfants à développer, justifier.) – Pourquoi les gens ont peur de lui ? C’est l’occasion d’expliciter un moment du récit, d’affiner la compréhension. Puis vient le moment de s’enregistrer sur le cahier numérique de littérature créé avec Book Créator. Chaque enfant, à tour de rôle, s’en charge. Ce n’est déjà pas facile à 3, 4 ans d’échanger avec d’autres sur un sujet donné, de rester dans le propos ! Et voilà qu’en plus, il faut contrôler sa parole au moment de l’enregistrement :
– « Ils sont un peu cassés mes chaussons. » dit un enfant, le nez vissé sur ses pieds au moment où un autre s’apprête à répondre. Tranquillement, nous écoutons l’enregistrement, nous remarquons cette drôle d’incursion des chaussons et nous en convenons : il faut se taire quand un copain s’enregistre. Ce que tout le monde fera lors du « second jet ».
(Premier extrait du cahier numérique ou figurent les différents essais :
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur1.mov)
L’enfant doit prendre assez de distance avec les livres, l’image à l’écran, ses émotions pour pouvoir en parler. Une petite fille n’en démordra pas quand il s’agira de s’enregistrer : – « Qui a peur du loup ? » – « C’est moi ! J’ai peur des loups. » Impossible d’aller plus loin pour l’instant. Elle interviendra sur une page moins chargée affectivement. Parler des livres, les « penser » demande une mise à distance à construire petit à petit. La ritualisation du cahier numérique de littérature que l’on renseigne à chaque période va y participer. Au moment de l’enregistrement, certains commencent leur phrase par l’image qu’ils voient à l’écran : – Qui a peur de Grodino ? – C’est Grodino qui a peur des gens… » répond une petite fille en se rendant compte que quelque chose ne va pas dans sa formulation. On écoute : mais non, bien sûr ! Ce n’est pas Grodino qui a peur des gens, c’est le contraire. Elle se corrige lors du « second jet » et fait appel à sa pensée pour construire la phrase réponse plutôt que de se laisser emporter par l’image.
(Voir l’extrait 2 du cahier numérique:
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur2.mov)
Quand les enfants le peuvent, nous essayons de prendre en compte les destinataires de ce livre numérique. Les parents, les copains ne connaissent pas forcément cette histoire. Il faut être précis. Si on répond « C’est le petit qui a peur de la nuit. », on ne sait toujours pas de qui on parle.
(Extrait 3 du cahier numérique:
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur3.mov) .
Ce projet de cahier numérique révèle et exerce des incontournables de la communication. Pour renseigner l’ebook, il faut :
– S’exprimer, se taire au bon moment.
– Écouter l’autre en toute bienveillance, échanger, argumenter (quand on est un peu plus grand).
– Rester dans le propos.
– Tenir compte du destinataire (qui n’est pas dans notre cerveau et ne connait pas forcément cette histoire).
– Parler face au micro (ou face à son interlocuteur : dans les échanges de tous les jours, les jeunes enfants nous parlent souvent de ce qui se passe là-bas, en nous tournant le dos…). Des compétences fondamentales au métier d’élève
Améliorer la structure du langage
La tablette nous permet d’écouter les productions langagières instantanément. Elle révèle le langage oral comme la feuille de papier révèle l’écrit. Nous pouvons l’observer, l’analyser et l’améliorer si besoin. Mais il s’agit pour l’enseignant de proposer à chaque enfant une amélioration à sa hauteur. Je me suis inspirée de la progression en syntaxe montante de P. Boisseau : j’essaie de proposer une phrase d’un niveau syntaxique juste supérieur de celui de l’enfant.
– À partir de la phrase noyau, introduire un pronom personnel Enfant : « A peur le chat. » Reprise de l’enseignant : « Il a peur, le chat. »
– Différentier les pronoms personnels Enfant : « I a peur la tite fille. » (Le pronom valise « i » est utilisé à tout moment.) Reprise de l’enseignant : « Elle a peur, la petite fille. ». À noter : à ce stade, la reprise du sujet en fin de phrase (le détachement) est incontournable. Comme le propose P Boisseau dans les oralbums, j’utilise à ce niveau cette forme syntaxique bancale mais accessible. La forme correcte « La petite fille a peur. » est hors de portée de cet enfant.
– Complexifier avec le présentatif « C’est X qui » Enfant : « C’est Rikiki ! » Reprise de l’enseignant: « C’est Rikiki qui fait quoi ? » Enfant : « C’est Rikiki qui a peur du moustique. »
– Concentrer la phrase avec des déclaratives simples Enfant : « Les gens, ils ont peur de Grodino ! » Reprise de l’enseignant: « Les gens ont peur de Grodino. » (Extrait 4 du cahier numérique:
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur4.mov)
– Complexifier avec différents connecteurs induits durant l’échange préalable. Enfant : « Les oies ont peur du crocodile alors que c’était un tronc. » Il s’agit de productions spontanées d’enfants de grande section.
(Extrait 5:
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur8.mov)
– Améliorer la conjugaison
(Extrait 6:
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur5.mov)
Améliorer la diction
Nous essayons, sans toujours y parvenir, d’amener l’enfant à mieux prononcer. Lorsque son énoncé reste incompréhensible, j’essaie de lui réserver une participation à sa hauteur : un mot, une courte phrase facile à prononcer « C’est rikiki ! »
(Extrait 7 :
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur6.mov)
A l’écoute, nous nous rendons compte que certains énoncés sont hachés, souvent à cause de l’émotion. Nous les reprenons aussi, en essayant de parler avec une bonne fluidité. Ce contrôle du langage me semble avoir quelques points commun avec la lecture à voix haute « en mettant le ton » de l’élémentaire.
(Extrait 8 :
http://maternailes.net/leblog2/wp-content/uploads/2014/06/reseaupeur7.mov)
À noter
D’autres réseaux induiront une autre grille de lecture et d’autres axes de travail plus tournés sur la compréhension par exemple. À 30 élèves par classe, il est quasiment impossible de mener ce travail de dentelière des mots.
Christelle Lemoine
Le blog maternaile
http://maternailes.net/leblog2/
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