Education et élections au Québec 

 

Par François Jarraud

Pionnier de l'intégration des Tice dans l'enseignement, Mario Asselin a été longtemps chef d'établissement au Québec avant de s'investir dans Opossum , une entreprise qui accompagne les établissements dans l'intégration des Tice. Mario est bien connu en France où il  a participé à plusieurs séminaires officiels sur le portfolio, l'accompagnement scolaire etc.  Mario connaît également bien la France où il compte de nombreux amis. Tout cela explique que Le Café ait fait appel à luipour nous aider à mieux comprendre le débat éducatif québécois. 


L'éducation est un thème important dans les programmes de tous  les partis. Est-ce vraiment un problème essentiel au Québec ?

Je crois que les partis placent en haute priorité l'éducation en  évitant de présenter leurs options comme «pouvant régler LE  problème». Deuxième poste de dépense en importance dans le budget du  ministre des Finances, l'éducation est une valeur importante des  québécois comme tout peuple qui possède une identité forte étant  entouré de population qui ne possède pas la même langue maternelle  que lui. Paradoxalement, le thème «éducation» est à l'avant-plan,  mais aucun parti ne met de l'avant des mesures vraiment importantes. 

Il faut dire que le monde de l'éducation québécois en a «un peu  soupé» (il en a marre) des grands changements en éducation. Les  partis cherchent à mettre de l'avant des politiques qui pourraient  redonner confiance aux citoyens en leur système d'éducation. L'école  est accessible, mais au Québec on ne fait pas vraiment confiance aux  enseignants. C'est désolant... Ça conduit à toute de sorte de  tentatives pour s'attaquer aux problèmes que nous aurions en  éducation, mais personne ne se préoccupe des vrais affaires, de  celles qui auraient vraiment de l'importance : l'organisation  scolaire trop lourde où les patrons et les syndicats ont tout  centralisé pour mieux contrôler. Tout cela cautionné par les  politiciens de gouvernement en gouvernement depuis trente ans.


Est-ce seulement du à la particularité de l'identité culturelle québécoise en Amérique du nord ?

Oui, en grande partie. Tout projet de société commence par  l'éducation et il ne faut pas se surprendre que le parti le plus  nationaliste (le Parti québécois) ait placé l'Éducation dans le haut  de sa liste des priorités. Je ne suis pas en train de dire que les  mesures proposées soient très originales, mais sur le plan du  symbole, aucun pays ne peut se faire en Amérique du Nord sans une  vision affirmée en éducation.  Les discours de tous les politiciens  sur l'importance du secteur sont enflammés et malgré qu'ils soient  souvent exempts de contenu, ils arrivent parfois à convaincre de la  beauté du geste...


On est frappé par l'absence de débat sur la réforme pédagogique  qui semble pourtant, vu d'ici, ambitieuse. Seul l'adq se fait le  porte drapeau des anti-réforme et demande le retour aux méthodes traditionnelles. Il semble y avoir consensus du PQ et PLQ, les deux  principaux partis, sur la réforme ? Ce consensus existe-il aussi  sur le terrain syndical ?

Le «renouveau pédagogique» fait l'unanimité au niveau des partis  politiques, mais déchire entre syndicats. Malgré ce qui paraît, même l'ADQ est pour la réforme. Ce parti veut simplement imiter un des  Cantons de Genève sur la question des notes sur les bulletins et sur  l'importance à donner aux savoirs explicites. Pour le reste, les  «anti-renouveau» sont orphelins sur le plan politique. Je n'entends  personne revendiquer le retour à ce que tu nommes «les méthodes  traditionnelles». Pour ce qui est du PQ et du PLQ, il faut savoir que  le PLQ est au pouvoir actuellement et continue le travail commencé  par le PQ qui a initié la réforme. Virer «son capot de bord» (changer  sa politique) serait mal vu par les citoyens vis-à-vis du PQ. Pour ce  qui est des syndicats, un schisme est survenu récemment créé en  partie par les positions sur la réforme. L'unité syndicale  représentant les profs de la région de Montréal s'est détachée de la  «puissante» CSQ parce qu'elle lui reproche d'avoir été trop molle  dans la dernière ronde de négociation des conditions de travail avec  le gouvernement autant que dans ses positions sur la réforme.  L'approche par compétence ne passe pas pour ceux qui sont à l'origine  du mouvement «stoppons la réforme». Pour le moment, ils en sont au  stade des pétitions...


Dans le débat français, l'éducation prioritaire prend une place  importante. Au Québec la question du décrochage apparaît clairement  mais avec des réponses variées. La notion d'éducation prioritaire  telle que nous la concevons (plus de moyens sur des établissements  précis définis par des critères sociaux)  n'a t'elle pas  d'intérêt pour le Québec ?

Au début des années 2000, les gouvernements ont créé le «programme de  soutien à l'école Montréalaise» qui est un outil crucial pour lutter contre le  fléau que tu identifies. Sept moyens sont identifiés dans ce  programme où sévissent de grosses problématiques pour les jeunes en  milieu défavorisé. Je crois que les politiciens veulent donner sa  chance au programme. Plus de moyens sont offerts à des établissements  ciblés sur les mêmes critères sociaux dont tu parles...

Je te dirais  que l'intérêt en ce moment porte beaucoup sur la fermeture de  plusieurs écoles en région qui n'ont plus le nombre d'élèves requis  pour maintenir leur école de village. Ça inquiète beaucoup et il y a  un peu de tapage sur ce sujet. Encore ici, le projet «Écoles  éloignées en réseau» du CEFRIO est en place et si le tapage n'est pas  plus fort, c'est que la solution semble porter fruit. Les deux plus  gros débats portent sur les moyens à mettre en oeuvre pour  sauvegarder l'intégrité des bâtiments scolaires qui tombent trop  souvent en ruine et la question des frais de scolarité à geler (ou  non) pour mieux financer l'enseignement universitaire. L'ADQ a mis  l'emphase sur l'abolition des conseils scolaires, mais ça ne semble  pas soulever de grandes émotions. Vraiment, je te dis... l'éducation  est une priorité, mais les propositions sont vagues et ne génèrent  pas de grandes passions...


La question de la carte scolaire est au premier rang du débat  éducatif français elle semble absente du débat québécois. Comment  expliquer cette différence ?

Les programmes particuliers dans plusieurs écoles publiques qui  permettent déjà une certaine liberté de choix et le taux de  fréquentation très élevé aux écoles privées expliquent probablement  que ce sujet ne soit pas à l'avant plan de notre côté. Les syndicats  aimeraient bien pousser ce sujet car pour eux, la situation actuelle  n'est pas acceptable car ce sont les élèves dans l'enseignement  «ordinaire» qui écopent, mais le pouvoir syndical en arrache un peu  par les temps qui courent. Quelques usines ont fermé leur porte juste  avant le début de la campagne et un conflit qui n'en finissait plus  de finir a laissé des traces dans l'opinion publique qui semble  vouloir faire porter une grosse partie du blâme à l'intransigeance  syndicale dans le fait que les conflits ne se règlent pas. Je crois  aussi qu'il y a une certaine démobilisation syndicale en enseignement  comme ailleurs, les plus ardents militant étant à quelques années de  leur prise de retraite...

Quand on demande aux partis ce qu'il convient de faire en  éducation, tous semblent revenir aux mêmes idées : l'aide aux  devoirs, plus ou moins d'autonomie des établissements, plus ou  moins de liberté pour les enseignants, plus ou moins de soutien  financier à l'Ecole... Le Québec est-il en panne d'idées ? (il ne  serait pas le seul !)

Ouais... je nous reconnais dans le portrait que tu traces... Je  dirais que les politiciens sont en panne d'idées. Le taux de vote  chez les jeunes frise les trente pour cent... ce n'est pas pour  rien. En éducation, les politiciens sont un peu frileux parce que  beaucoup trop de «bonnes idées»  ont complètement virées à l'envers le  système d'éducation. On réforme aux cinq ans depuis trente ans,  alors... les bonnes idées... on s'en méfie un peu dans la classe  politique. Paradoxalement, il y a unanimité pour dire que le retour  en arrière n'est pas possible. Même chez les «Stoppons la réforme»,  il n'est pas question de revenir au point de départ. En dehors de la  sphère politique, il y a plusieurs bonnes idées, par contre. Je vais  risquer une confidence... Ceux qui ont des bonnes idées ne parlent  pas trop fort pour ne pas que les politiciens les «brûlent»...

Un fait nouveau et particulièrement important en France c'est  que toute une partie de l'opinion, gouvernement en tête, estime  qu'on a trop investi dans l'éducation et que former davantage de  diplômés ne sert à rien. C'est le débat sur "l'inflation scolaire".  Tous les partis québécois semblent affirmer le contraire. Quel regard  jetez vous sur cette particularité française ?

Ton ressenti est bon sur notre position. De mon point de vue, c'est  votre rage «d'égalité à tout prix» qui vous joue des tours. C'est une  belle valeur l'égalité, mais, érigée en dogme, elle peut conduire au  nihilisme. Vous êtes lents à bouger parce que tout le monde doit  bouger en même temps. Mais quand vous bougez, ça fait beaucoup de  bruit... Appliqué dans le domaine dont tu parles, l'égalité des  chances permet à chacun d'espérer le diplôme, mais les jeunes ont tôt  fait de se rendre compte que les règles du jeu dans le domaine  supérieur sont celles d'antan, voir, d'avant antan...

Alors,  l'innovation est difficile dans ce contexte. Vos jeunes entrent dans  le cadre de la porte parce que la porte est ouverte, mais une fois  qu'ils regardent dans l'institution, ils se rendent compte des dogmes  qui sont ceux de leurs aïeux. Ils ont deux choix : les accepter et  faire avec où les combattre. Mon opinion d'observateur intéressé de  la scène française est que vous êtes des gens responsables. Tellement  responsables que vous êtes convaincus qu'après vous, il n'y aura  personne pour défendre l'ordre établi depuis des années, à force de  combats épiques. Ce sens du devoir de haut niveau écrase toute envie  d'aller au combat pour un jeune qui en aurait le goût. Ils tentent  d'accepter et de faire avec... les résultats semblent médiocres.

De  notre côté, ce n'est pas beaucoup mieux, mais on a une grande  tolérance au «Work in progress». À tort ou à raison, nous n'avons pas  besoin de toutes les réponses avant de faire les premiers pas. On se  trompe plus souvent que vous, mais sur le nombre de nos tentatives à  innover, on réussit quelques bons coups. L'exemple de l'intégration  des technologies aux apprentissages en est un bon pour illustrer ce  propos. Les nombreux jeunes que nous voulons former, ceux que nous  formons, que nous «diplômons» apportent vraiment une valeur ajoutée à  notre vie en société. Ils dérangent l'ordre établi, mais ils sont  une fierté pour leurs aînés, malgré les énergies qu'ils tirent en bas  âge et à l'adolescence; plusieurs d'entre nous aimons voir ces jeunes  percer dans le monde du travail, dans les arts et sur le plan  international. Notre culture est jeune de coeur, alors, j'imagine  qu'on veut que ça continue ;-)

Mario Asselin

Entretien : François Jarraud

Liens :
Cybercarnet de Mario Asselin  

Le programme du PLQ
Celui du PQ

et de l'ADQ



Par fjarraud , le vendredi 09 mars 2007.

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