Guillaume Dietsch et Serge Durali : Une histoire politique de l’EPS  

Plus qu’un ouvrage de préparation à un concours, Guillaume Dietsch, enseignant en STAPS à l’université Paris Est Créteil, et Serge Durali, enseignant en STAPS à l’université Sorbonne Paris Nord, signent un livre référence autour de l’EPS d’hier et d’aujourd’hui et placent les enjeux liés à l’évolution du rapport aux corps, à la culture, dans la société, à l’Ecole et en EPS.

 

Votre ouvrage, notamment à destination des étudiants et enseignants préparant les différents concours EPS, s’intéresse à l’histoire politique de l’EPS. Mais pourquoi une épreuve s’appuyant sur l’histoire pour enseigner l’EPS ?

 

L’histoire permet de comprendre le présent. Sa maîtrise est un impératif pour comprendre les enjeux de la discipline EPS auprès des actuels ou futurs professeurs. Cette mémoire de la discipline permet également de mettre en évidence la progressive construction et intégration de l’EPS à l’école. Si l’EPS est aujourd’hui rattachée au ministère de l’Éducation Nationale et ce, depuis près de 40 ans, cela n’a pas toujours été le cas. Sa place et son rôle ont parfois été contestés dans les années 1970, ou plus récemment. L’idée de remplacer l’EPS par du « sport » assuré par des intervenants extérieurs, n’étant pas nécessairement formé à la prise en compte d’un public diversifié, de problématiques scolaires, atteste de cette « histoire politique ».

 

Vous proposez une histoire « politique » de l’EPS, pourquoi ?

 

En tant que discipline d’enseignement, l’EPS est pilotée administrativement et juridiquement par l’exécutif (seules les grandes lois d’orientation sont votées par le législatif mais les programmes relèvent de l’exécutif). Dans ce cadre, les choix de la discipline sont dictés par des acteurs politiques (Ministre, Secrétaire d’État, etc.) mais également par des structures hiérarchiques (Inspection Générale notamment) voire par des acteurs de la discipline (syndicats, groupes d’experts, etc.) tous porteurs d’une vision de la société et de la discipline en particulier. Les choix effectués en EPS relèvent donc avant tout de positionnements politiques vis-à-vis du rapport à la culture sportive, de l’éducation des corps, de l’élaboration des programmes de la discipline, ou encore des choix certificatifs.

 

Vous évoquez l’impact des changements sociaux sur la place du corps à l’Ecole, c’est-à-dire ?

 

Les changements sociaux, notamment autour de l’évolution des rapports au corps, impactent l’EPS dans ses choix programmatiques et scolaires. Le développement massif des pratiques d’entretien depuis 40 ans a conduit la discipline à intégrer un groupement spécifique permettant d’enseigner des Activités Physiques de Développement Personnel (APDP).

 

Ainsi, les enseignants d’EPS utilisent désormais la musculation, le yoga, le step, ou encore le cross fitness dans une optique de maîtrise d’un « savoir gérer sa vie physique ». Cet enseignement vise à rompre avec des stéréotypes portés par ces pratiques : esthétique, narcissisme, normativité. Confrontés à cet enjeu social majeur, les enseignants ont donc pour mission d’aider les élèves à (re)construire un rapport au corps plus rationnel, les incitant à évoluer ensemble dans un espace social de pratique où l’entraide et la tolérance sont des valeurs primordiales et incontournables. L’idée est de se focaliser ici sur la connaissance de son corps (ressentis, indicateurs, etc.), de ses ressources personnelles, pour être capable de développer un savoir, s’entraîner en autonomie et être capable à la sortie du système éducatif de faire perdurer cette capacité de gestion.

 

Ce souci de soi et de son corps, un développement toujours plus important d’un sport-santé, oblige la discipline à intégrer et à se positionner vis-à-vis de cette évolution. Pour cela, elle évite les écueils de la logique consommatoire en envisageant ses formations au travers d’un impératif d’autonomie pour l’élève et en identifiants des savoirs fondamentaux nécessaires à ce développement. Affranchir les futurs adultes des stéréotypes corporels pour permettre un développement équilibré et conscient au fil du temps, cela nous paraît une voie fructueuse.

 

Quel regard portez-vous sur la période récente ?

 

Entre objectifs de santé et objectifs de performance, la discipline se voit contrainte de se positionner quant à la culture corporelle jugée digne d’être transmise au citoyen de demain. Ces réflexions professionnelles ne sont pas sans débats et controverses entre les acteurs du champ de l’EPS.

 

L’école n’est pas un sanctuaire. En effet, une école qui prépare aux valeurs démocratiques, c’est aussi une école qui accepte les éléments de la culture ambiante, de la culture jeune. Frédéric Dabi, Directeur Général Opinion d’Ifop, dans son ouvrage récent en 2021 (Comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession), rappelle à juste titre les valeurs, les choix, les révoltes mais aussi les espoirs de cette jeunesse qui a grandi avec Internet et les réseaux sociaux, a connu le terrorisme et la crise de la Covid-19.

 

Cette métamorphose de notre société impacte directement le rapport des jeunes à la culture sportive. Ainsi, le modèle qui prédominait avant 2000 et qui reposait majoritairement sur une mono-pratique tournée vers la compétition et la performance, se traduit aujourd’hui par un modèle basé sur la multi-pratique dans lequel les Français sont à la recherche d’une grande souplesse dans les modalités d’exercice de cette pratique et d’un nombre limité de contraintes (administratives financières ou organisationnelles). Au-delà du phénomène de zapping sportif, il existe une tendance de fond dans laquelle les pratiquants souhaitent s’adonner au sport ou à une activité physique en fonction de leurs envies même s’ils restent fortement influencés par leur milieu social.

 

L’enjeu en EPS est alors d’assurer un développement équilibré, à la fois au plan culturel mais également au plan de la motricité mise en jeu. Dans ce cadre, il convient de réfléchir à une offre de formation restant ouverte aux pratiques de son temps.

 

S’interroger sur « l’éternel débutant » en EPS n’est pas une question incongrue car elle traverse les interrogations que peuvent se poser les enseignants sur le terrain en interrogeant leur rôle et leur impact sur la motricité des élèves. Avec la volonté de prendre appui sur un large panel d’APSA supports, nous créons les conditions d’émergence d’un éternel débutant. Il nous semble donc que réduire l’offre de formation sur l’ensemble du cursus collège-lycée apparaît comme incontournable pour élever le niveau de pratique des élèves. Dans cette idée, il s’agirait de penser les programmations d’établissement en partant davantage des besoins des élèves et de ce qu’il y a à apprendre sur le plan moteur et au niveau des qualités physiques à développer. Cela pourrait se traduire concrètement par des étapes, des indicateurs objectifs témoignant des apprentissages moteurs des élèves, des qualités physiques à développer selon les âges, s’appuyant par la même sur une diversité culturelle et d’APSA.

 

 

Faut-il être inquiet pour l’EPS de demain ?

 

Nous pensons qu’il y a des éléments d’inquiétude et des éléments qui poussent à plus d’optimisme. Les éléments d’inquiétude sont clairs : la tentation pour le pouvoir politique de substituer des éducateurs sportifs aux professeurs d’EPS ; et le volume d’EPS en primaire et en lycée qui reste encore très insuffisant ; enfin le volume horaire accordé à la formation des professeurs des écoles pour l’enseignement de l’EPS. Cette volonté de substituer partiellement des professeurs d’EPS par des éducateurs sportifs s’est matérialisé durant et à l’issue de la période du Covid-19. Cette intention est toujours présente avec les « 2 heures de sport » par semaine en collège à réaliser par des éducateurs sportifs et/ou des enseignants d’EPS. Ce nouveau dispositif, dans la suite logique des « 30 minutes d’Activité Physique Quotidienne » à l’école primaire, ne prend pas appui sur l’existant : la continuité entre l’EPS et le sport scolaire, la complémentarité entre les sections sportives scolaires et les clubs. Si ce n’est apporter encore de la confusion entre l’EPS obligatoire et un temps d’activité physique et/ou de sport, si ce n’est mettre en concurrence des créneaux horaires et des installations sportives déjà manquantes, quel intérêt pour nos élèves ?

 

Le volume horaire de l’EPS en primaire et en lycée reste toujours insuffisant au regard des exigences de formation des élèves (2h30 hebdomadaires en primaire et 2h en lycée). Les politiques depuis 20 ans n’ont pas agi pour augmenter ces volumes horaires pourtant indispensables pour des élèves parfois éloignés de la pratique sportive.

 

Nous avons aussi des raisons d’être optimistes pour la suite. D’abord, les professeurs d’EPS sont reconnus comme des enseignants compétents de « haut-niveau » (cf. le titre retenu pour le numéro spécial de L’Équipe Magazine du 24/09/2022). Dans ce cadre, ils sont présents pour répondre aux enjeux sociétaux et ils sauront s’adapter aux priorités sociales du moment. Loin d’être figée, la profession des enseignants d’EPS est une corporation qui évolue, se forme, s’adapte aux nouvelles pratiques pour proposer des contenus qui ont du sens auprès de nos élèves.

 

Enfin, la réalité sanitaire actuelle nous laisse à penser que l’EPS doit se positionner sur ces enjeux en étant force de propositions et d’évaluation. Il nous semble que l’EPS devrait pouvoir être une sentinelle sur l’évolution de la condition physique de la jeunesse française. Pour l’instant, cette participation reste très largement implicite alors qu’elle pourrait mettre en place des tests simples pour évaluer cette condition physique. Cette préoccupation devrait aussi traverser son enseignement des APSA en rationnalisant sans doute davantage ses actions. L’objectif n’est pas de devenir une discipline hygiénique mais simplement de crédibiliser davantage les effets de l’EPS en l’occurrence sur les paramètres physiques de la santé.

 

Enfin et dans cette idée, c’est le rôle de l’école de réfléchir aux effets sociétaux et aux valeurs à transmettre aux citoyens de demain. Face à cette « bombe sanitaire à retardement » mais aussi face à l’urgence climatique, l’enseignant ne doit pas oublier qu’il est d’abord un passeur culturel. Les choix culturels qu’il réalise, ont des incidences sur les motifs d’agir des élèves, sur leur capacité à réfléchir à leur action. Concernant le développement durable, l'activité physique peut jouer un rôle certain dans la réduction des émissions carbones. Encore faut-il développer ces habitudes chez les plus jeunes !

 

Propos recueillis par Antoine Maurice

 

L’ouvrage

Serge Durali, Guillaume Dietsch, Une histoire politique de l’EPS du XIXe siècle à nos jours, De Boeck Supérieur, ISBN 9782807345560, 29.90€

 

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Par fjarraud , le jeudi 20 octobre 2022.

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