Climat scolaire : Un bilan très négatif de la politique Blanquer 

"L’école de la défiance ", c’est l’intitulé du rapport issu de l’enquête menée par les deux sociologues de l’éducation que sont Éric Debarbieux et Benjamin Moignard – grands spécialistes de la violence en milieu scolaire et du climat scolaire – pour l’Autonome de Solidarité Laïque (ASL). Et c’est une petite bombe. Loin des discours sur une prétendue école où la montée de la violence serait galopante, l’enquête montre une relation plutôt apaisée et satisfaisante entre les personnels des établissements du second degré et les élèves. Là où le bât blesse, c’est dans la relation avec la hiérarchie hors établissement avec une défiance forte chez près de 8 sondés sur 10. Un bilan sans appel de la politique Blanquer et surtout de la façon autoritaire dont il a mené les réformes lors du dernier quinquennat.

 

« L’Autonome de Solidarité Laïque (ASL) veut porter la voie des personnels », explique Vincent Bouba, président de l’association. « C’est pourquoi il était important de recueillir le ressenti et les maux de la profession ». Le rapport « l’école de la défiance » se veut être une perception du quotidien du métier, de l’environnement et du rapport aux autres des personnels en poste dans les établissements du second degré. « Après notre première étude de 2013, nous souhaitions savoir ce qui avait évolué, si les problématiques d’il y a dix ans étaient toujours d’actualité » ajoute Vincent Bouba. « La réalité de ces résultats ne peut être ignorée par le ministre de l’Éducation nationale. Le combat de l’ASL dans les mois à venir sera d’œuvrer au service d’un climat apaisé dans nos établissements » conclut le président de l’ASL.

 

Pour Benjamin Moignard et Éric Debarbieux, les enquêtes de victimation et de climat scolaires sont une tradition ancienne, leurs travaux cherchent à mieux comprendre les conditions de travail des personnels. « Nous avons proposé cette enquête à l’ASL car nous percevions dans les établissements, sur le terrain, des changements. Nous souhaitions pouvoir les évaluer » explique Benjamin Moignard.

 

Et les résultats de cette enquête ont de quoi surprendre. Ils sont sans appel quant aux effets de la politique Blanquer sur le « moral des troupes ». « Cette enquête est surtout éclairante d’une organisation en plein malaise dans ses modes de fonctionnement et de gouvernance » indique le rapport. Contrairement à 2013, les chercheurs ont interrogé les personnels sur le sentiment d’une laïcité menacée au sein de l’école, une question « alimentée parfois par les discours malsains d’une partie du personnel politique et d’idéologues plus soucieux d’attiser les haines que de les apaiser » selon le rapport.

 

Forte dégradation du climat scolaire mais une relation avec les élèves satisfaisante

 

Première surprise, une forte dégradation du climat scolaire entre 2013 et 2022 d’après les personnels. 37,8 d’insatisfaits en 2013, 50,7 en 2022. Soit un bond de 13%.  Plus d’un personnel sur deux. En lycée professionnel, 56%, contre 41% en lycée général et 54% en collège, « une conséquence du tri social qui s’opère dès la troisième » explique Éric Debarbieux. Pour autant, la relation aux élèves est positive, elle est même en hausse de 2% par rapport à 2013 passant à 80,1% et très majoritairement, les personnels se sentent respectés par les élèves (84,5%).

 

Des phénomènes de violence rares

 

Concernant la violence, sa perception par les personnels reste stable. La victimation des personnels par les élèves a même baissé de plus de 2% puisque 40,2% des personnels rapportent s’être fait injuriés dans le cadre de leur fonction. D’ailleurs, 98% des personnels déclarent n’avoir jamais été victimes de violences physiques, contre 95,2% en 2013. Les violences avec armes restent rarissimes, 0,4% des répondants. Quant aux intrusions, elles sont d’une extrême rareté, seulement 0,4% déclarent avoir été agressés par des individus extérieurs à l’établissement.

Le rapport note que les personnels exerçant en éducation prioritaire, les personnels non-enseignants – la vie scolaire et les personnels en charge de classes spécialisés sont plus souvent victimes de leurs élèves que leurs collègues. Les personnels les moins exposés exercent en lycée général, « une conséquence du tri social, sachant que la sociologie de la violence reste une sociologie de l’exclusion » notent les deux chercheurs.

 

Effondrement de la qualité des relations entre adultes

 

La grande surprise, et pas une bonne, c’est l’effondrement de la qualité des relations entre adultes avec une remise ne cause très forte des hiérarchies, tant proches que lointaines.

78% des personnels estiment ne pas être respectés par la hiérarchie externe à l’établissement – rectorats, ministère. Seulement 7% des enseignants ont une évaluation positive des réformes, 40% chez les personnels de direction. Ces résultats signifient que 93% et 60% des personnels chargés d’appliquer les différentes réformes du dernier quinquennat les désapprouvent. Au niveau de la réforme de la formation initiale, le constat est là aussi sans appel. Ils sont moins de 8% à l’approuver. Et près de 7 enseignants sur 10 s’estiment mal formés – C’était 58,1% des personnels en 2013.

 

Au sein des établissements, là aussi les relations se dégradent. Près d’un personnel sur deux (48%) perçoit une mauvaise qualité de la relation enseignants/direction. Ils étaient 34%, il y a dix ans. 40,5 % des personnels pensent que les équipes ne sont pas solidaires, contre 33,6 en 2013.

 

Autre résultat marquant, un personnel sur cinq déclare avoir été harcelé moralement lors de l’année 2021-2022, ils étaient un sur dix en 2013. Pour la grande majorité des répondants, le harcèlement est le fait de membre du personnels – 43% par la direction pour les enseignants et CPE. Autre indication du climat régnant dans les équipes, près d’un personnel sur trois (30,6%) déclarent avoir été mis à l’écart par une partie au moins des membres du personnel de leur établissement, là encore la hausse est conséquente, c’est 12,3% de plus qu’en 2013.

 

Effondrement de la satisfaction dans le métier

 

Les auteurs du rapport notent « un immense malaise dans l’organisation scolaire où il ne s’agit pas de dire que les directions sont moins efficaces qu’antérieurement, mais que la perte de sens liée à des réformes mal comprises et malmenantes, ajoutée à la crise sanitaire et à une communication ministérielle erratique, ont placé les cadres de terrain dans des situations très difficiles à gérer ».

 

Les revendications salariales, peu nombreuses en 2013, sont fortes en 2022, « elles témoignent d’un fort sentiment de déclassement et de maltraitance politico-institutionnelle » commentent Éric Debarbieux et Benjamin Moignard. Le résultat de cette perte de sens et de reconnaissances – tant sociétal que financière – amène à une hausse exponentielle du nombre de personnels insatisfaits par leur métier, 55% contre 24% en 2013. Les auteurs parlent d’effondrement. Et quand on interroge les personnels sur le fait de songer à quitter le métier, plus d’un répondant sur deux y pense souvent ou très souvent (51,3%), ils étaient 30% en 2013.

 

Une laïcité menacée au sein de l’école mais qui se base plus sur un sentiment que sur des faits

 

La dernière partie de l’enquête intègre des questions liées à l’actualité de ces dix dernières années. Elle interroge les personnels sur le sentiment d’une laïcité menacée au sein de l’école - 53% des personnels partagent cette inquiétude, sur l’obligation de demander aux élèves de modérer leurs propos – la moitié des répondants demandent assez souvent ou souvent à leurs élèves de modérer leurs propos et sur la remise en cause de leur enseignement – 13% y sont confrontés assez souvent ou très souvent.

 

Ces chiffres, plus d’un enseignant sur deux estimant la laïcité menacée à l’école, sont largement tempérés par les chercheurs. « Le fait d’enseigner en REP ou non n’a pas d’incidence significative sur ce sentiment, comme la composition sociale des établissements. Plus que ces variables sociales, la question du climat scolaire est là encore centrale : 63% des répondants qui se disent insatisfaits du climat scolaire considèrent la laïcité menacée à l’école, contre 38% de ceux qui apprécient le climat le plus favorablement. Il semble donc que les craintes à l’égard de la laïcité s’insèrent dans une appréhension plus négative de l’école en général, plutôt que sur la base des contextes d’exercice du métier ».

 

Quant aux demandes de modération de leurs propos aux élèves, c’est en grande partie lié aux insultes et langage déplacés, sur les situations de racismes, de xénophobie ou de LGBT-phobie. 24% évoquent la religion. Et pour la remise en cause des enseignements pour motifs religieux, ils sont 16% des enquêtés (sur les 13% des répondants de l’enquête) à déclarer une remise en cause en lien avec la religion.

 

Pour Jean-Louis Linder, vice-président de l’ASL, ce rapport vient en complément du baromètre annuel de l’association. « L’ASL constate une vraie défiance des personnels » explique-t-il, « elle est ancrée. Il faut trouver des solutions. Nous, l’ASL, sommes force de proposition ». L’association propose une prise de position ferme de la justice pour une prise en compte systématique des plaintes concernant les insultes, menaces et la diffamation des personnels d’éducation. Une automaticité de la protection fonctionnelle pour tout personnel qui la demanderait, « quoi qu’il en coûte ». Une réflexion autour du fléchage des lignes budgétaires de l’éducation nationale et sur les priorités pour améliorer le climat scolaire et le bien-être des personnels et enfin, la prise en compte de la voix des partenaires de l’École et le dialogue systématique sur les problématiques de protection des personnels.

 

Lilia Ben Hamouda

 

Le rapport

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 19 octobre 2022.

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