Philippe Meirieu : En hommage à Guy Avanzini 

"En apprenant le décès de Guy Avanzini (1929-2022), je ne peux m'empêcher de repenser à notre première rencontre en 1976. J'étais alors professeur de français dans un collège du 7ème arrondissement de Lyon. Ce collège bénéficiait d'un statut dérogatoire car nous expérimentions la mise en œuvre d'une pédagogie différenciée systématique (chaque élève choisissait, chaque semaine, son nombre d'heures de cours et ses méthodes d'apprentissage, avant une évaluation et des remédiations en fonction de ses résultats). Pour bénéficier des autorisations académiques nécessaires, nous devions être suivis et contrôlés par un laboratoire universitaire qui devait attester, tous les ans, que nos élèves progressaient mieux que les élèves d'un groupe témoin.

 

 Guy Avanzini était alors professeur en sciences de l'éducation et directeur du "laboratoire de pédagogie expérimentale" de l'université Lyon 2. C'est ainsi, qu'un jour, après une réunion où nous avions examiné le niveau de langue écrite de nos élèves de 4ème et de 3ème, Guy Avanzini m'a pris par le bras et, alors que je n'avais jamais imaginé que cela fut possible, m'a proposé d'écrire un article pour la "Revue Binet-Simon". Et, de fil en aiguille, il en est venu, très vite, à m'engager à préparer une thèse, puis une thèse d'Etat, etc.

 

L'anecdote n'aurait d'autre intérêt que personnel si elle ne témoignait pas de la personnalité profonde de Guy Avanzini : philosophie de formation, curieux de toutes les questions éducatives, avec une culture fabuleuse, il était aussi d'une attention exceptionnelle aux situations et aux personnes. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui pourraient en témoigner. Et dire aussi à quel point il était un accompagnateur exceptionnel, toujours disponible, aussi exigeant que rigoureux, aussi bienveillant que stimulant.

 

Mais, bien sûr, la figure de Guy Avanzini est d'abord associée à la place qu'il a prise dans la promotion des sciences de l'éducation et à ses propres travaux. Il a fait partie de la génération des "fondateurs", avec Gaston Mialaret, Louis Not, Marcel Postic, Jean-Claude Filloux, Gilles Ferry et quelques autres. Il avait, parmi eux, une place particulière. Il fut promoteur de l'œuvre  de Binet qu'il essaya toute sa vie de dégager des stéréotypes liés au Q.I. pour montrer que, contrairement aux représentations les plus tenaces, les tests psychométriques qu'il avait proposés ne permettaient nullement de hiérarchiser les individus mais devaient permettre, au contraire, d'identifier les déficits des institutions qui ne parvenaient pas à les faire réussir.

 

Passionné par les innovations pédagogiques - il était particulièrement attaché à Célestin Freinet qu'il connaissait bien -, il n'eut de cesse de montrer qu'il ne suffisait pas d'innover. Attentif aux apports de toutes les sciences de l'éducation, il n'en était pas moins convaincu du caractère irremplaçable de la pédagogie. Lecteur et chercheur infatigable, il promouvait néanmoins ardemment la recherche coopérative et permit à de nombreux militants syndicaux et de l'éducation populaire d'accéder aux plus hauts grades universitaires. Très fidèle à son engagement dans le christianisme, il eut à cœur de faire connaître les pédagogues les plus divers, anarchistes et libres-penseurs...

 

Ses analyses de l'histoire de la pédagogie et de l'institution scolaire étaient toujours d'une extrême finesse. Il savait prendre en compte toutes les objections et les "travailler" pour en tirer le meilleur. On pouvait être en désaccord avec ses conclusions, on n'en demeurait pas moins admiratif de sa démarche.

 

J'eus, bien sûr, des différends avec lui, et même des conflits, mais jamais cela ne mit à mal l'estime affectueuse que je lui portais. Et, sans aucun doute, il faut retenir de lui son courage et sa radicalité pédagogique. Il ne cessa, en effet, en parfait accord avec quelqu'un comme Jacques Rancière (qu'il ne connaissait pas, me semble-t-il, et dont les engagements et la personnalité peuvent apparaître à l'opposé des siens) de proclamer le caractère fondateur de "l'égalité des intelligences" :

 

" Dire que l'égalité de potentiel est un postulat, c'est dire qu'elle n'est pas l'objet d'un savoir. Nous devons faire comme si tous les enfants étaient égaux. Mais nous n'en savons rien. Et, à la limite, ce n'est nullement notre problème. Il faut postuler sans savoir, mais pour savoir. Si nous ne faisons pas "comme si" avant de savoir, nous ne saurons jamais..." Et aussi, plus radicalement encore : " Avec la même inefficacité pratique que celle de Socrate mais avec la même assurance que la vérité n'a nul besoin d'assentiment pour être ce qu'elle est, la pensée pédagogique ne doit cesser de rappeler en vain, mais à la fois, que l'égalité de dignité affecte tous les êtres humains et que le postulat de l'égalité diversifiée de leurs talents s'impose aux éducateurs."

 

Révolutionnaire Guy Avanzini ? Le mot l'aurait fait sourire. Mais pourtant !

 

Philippe Meirieu

 

 

Par fjarraud , le mercredi 19 octobre 2022.

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