Le film de la semaine : « L’Ecole est à nous » de Alexandre Castagnetti 

Bonne nouvelle! Depuis « La Cour des miracles » notamment en passant par « L’Ecole est finie » ou « Un bon début » jusqu’à « Histoires d’une nation : l’école », en cette rentrée, cinéastes et documentaristes, sur grand ou petit écran, s’emparent à nouveau de l’Ecole, braquant ainsi les projecteurs sur la crise systémique et les menaces pesant sur ses missions essentielles. Réalisateur de « L’Ecole est à nous », Alexandre Castagnetti, également coscénariste avec Béatrice Fournerat et compositeur de la musique originale ici, affiche sa conviction dès le titre de cette comédie enjouée et documentée dans laquelle souffle un vent de liberté revigorant. Son propos se veut résolument optimiste. Il nous raconte ainsi la fabuleuse aventure, individuelle et collective, de Virginie, jeune prof de maths saisissant l’opportunité d’une grève pour proposer à un groupe de collégiens l’expérimentation d’une pédagogie vivante, sans entraves, dynamisant les intelligences à partir de pratiques concrètes. Sous le regard sceptique d’un chef d’établissement frileux et d’une hiérarchie hostile, l’expérience sensible fait mouche et développe des potentialités inespérées chez les adolescents impliqués jusqu’à engendrer une petite ‘révolution’ pour tous. Et si la pédagogie incarnée atteignait le cœur du système éducatif au point d’en changer le cours et d’y intégrer tous les enfants de la République ? Voici une fable, argumentée, énergique et rieuse, propre à susciter en nous le désir de soulever des montagnes. Après tout, l’Ecole est notre bien commun, comme le suggère avec malice Alexandre Castagnetti.

 

Une prof de maths et des élèves, de la grève au ‘collège des merveilles’

 

Une construction moderne, lumière et lignes claires. Un établissement scolaire bien loti, propice à la rentrée de la nouvelle prof de maths, Virginie Thévenot (Sarah Succo, comédienne épatante de justesse). A peine le temps de découvrir l’équipe hétérogène d’enseignants en exercice (pour une raison tout d’abord inconnue, la jeune femme réintègre l’Education nationale après deux ans d’interruption), et elle assiste en salle des profs à la décision rapide de se mettre en grève après qu’est portée  à la connaissance de tous la diminution de la DHG (Dotation Horaire Globale). En un rien de temps le chef d’établissement (Jean-Pierre Darroussin, impayable dans un rôle ‘ingrat’), la mine sérieuse et la voix grave, annonce l’événement et confirme aux parents que le collège reste ouvert pour accueillir si nécessaire, les élèves, conformément à la loi. Et Virginie se porte immédiatement volontaire pour assurer cet accueil, bientôt suivie par Ousmane, le prof de Techno (Oussama Kheddam, remarquable interprète). Alors, sous l’impulsion de la ‘nouvelle’, l’aventure commence. Elle n’a rien à voir avec celle d’une garderie pour grands enfants turbulents.

 

Dés la rentrée d’ailleurs, quelques tentatives brouillonnes et cacophoniques pour déstabiliser la novice aurait dû alerter les trublions. La prof joue en effet une première carte, a priori attendue et provocatrice : chacun des élèves se voit distribuer un exercice de maths à effectuer sur le champ en classe. L’affaire provoque troubles, remous ou sourires satisfaits. En écoutant les commentaires suscités, elle explique ne pas avoir donné le même exercice à chacun mais des questions aux difficultés graduées. Ainsi se construisent les préjugés et les a priori sur la discipline, forgés à partir de la facilité ou de la difficulté à y répondre (‘Je suis génial en maths !’, ‘Je n’y arrive pas’,’ je suis nulle en maths…’).

 

La pédagogue en éclaireuse, son complice et la petite bande d’explorateurs inventifs

 

Nous pourrions comprendre la méfiance du principal (que nous surprenons dans son bureau devant son ordinateur tentant de commencer l’écriture de ses mémoires). Les premières initiatives de Virginie ont de quoi surprendre. Aux quelques élèves présents dans l’établissement déserté en temps de grève, l’enseignante propose de ‘faire ce qu’ils veulent’, sans donner aucune directive ; elle de son côté dessine sur papier devant eux les contours d’un jardin permettant de cultiver plantations et herbes diverses ,  à concrétiser dans un espace dédié de la cour de récréation. Un projet à partager avec ceux qui en ont envie…

 

Au début, certains ne savent comment occuper cette liberté offerte sans contrepartie.Peu à peu des envies émergent : le basket pour l’un, la cuisine pour d’autres -dont Emilie (Lili Aupetit, comédienne subtile), la bonne élève, aussi mal perçue au départ qu’Agnan dans ‘Le Petit Nicolas’ de Sempé. Pour Malika (Sofia Bendra, au jeu dynamique), l’invention d’un prototype permettant la fabrication d’énergie par la marche des élèves dans les couloirs et produisant de l’électricité pour alimenter le collège. Et pour beaucoup, l’aménagement différent de l’espace de la salle de classe et la décoration à coups de pinceau et de graffitis d’un mur éclairé ainsi de couleurs pastel douces et harmonieuses.

 

Alors que les intelligences s’affutent et que les corps sortent du carcan imposé, la CPE, en interprète cocasse d’une obéissance stricte au règlement en vigueur, ouvre des yeux grands comme des tasses à thé et crie son opposition aux méthodes de Mme Thévenot. Ainsi poursuit-elle de sa vindicte Emilie venue apporter un gâteau au caramel fait de sa main après qu’elle a compris en cours de Chimie par quel processus se forme le caramel.

 

De son côté, le chef d’établissement, visiblement dépassé, hésite entre la tolérance modérée et l’hostilité ouverte, surtout lorsque la grève cesse et qu’il veut un ‘retour à la normale’ dans les plus brefs délais. ‘Vous vous prenez pour qui ? Le guide suprême ? Vous m’arrêtez tout ce bazar ! Il y a le brevet à la fin de l’année ! ‘, clame-t-il dans les oreilles de l’audacieuse.

 

Une mise en scène énergique au diapason de l’expérimentation pédagogique

 

Ne comptons pas sur le réalisateur pour nous livrer une démonstration théorique sur la nécessité d’une transformation de l’Ecole à coups de réforme globale ou de politique volontariste. Alexandre Castagnetti croit aux vertus de pratiques pédagogiques exemplaires. Virginie (normalienne, agrégée de maths, balayant parcours d’excellence et culture élitiste pour en nourrir autrement son projet innovant) et Ousmane (originaire du quartier d’implantation du collège ‘Jean Zay’ dans cette banlieue, passé par l’animation et le travail social), duo d’enseignants divergents par leurs formations, convergents  dans leur pratique favorable aux transformations des collégiens impliqués dans cette aventure hors du commun. A l’image de ces deux-là, la comédie, au rythme emporté par une partition musicale parfois plus prégnante que les enthousiasmes formulés, fait émerger quelques figures d’élèves à la personnalité marquante, comme Malika la scientifique en herbe (et qui n’en finit pas de nous étonner par son ‘génie’ précoce ici révélée) ou Emilie la cuisinière en puissance (à la vocation contrariée par un père médecin convaincu que sa fille suivra la même voie que lui, après un changement d’établissement).

 

Pourtant, la fiction, oscillant entre la comédie dramatique et la fable utopique, ne nous laisse pas souffler, ne ménageant ni les rebondissements emballants ni le dénouement terriblement crédible.

 

La charge contre la perpétuation des inégalités scolaires et sociales et contre une institution sourde aux initiatives novatrices se révèle dans sa férocité. Mais la dimension satirique, pleine d’humour et d’humanité, de « L’Ecole est à nous » ne doit pas nous détourner du spectacle réjouissant de l’épanouissement manifeste d’élèves au fil de l’expérimentation inédite d’une pédagogie ouverte, au service de leur émancipation. Une utopie ? ‘Non’, répond à sa manière Alexandre Castagnetti. Une entreprise de ‘salut public’.

 

Samra Bonvoisin

« L’Ecole est à nous », film de Alexandre Castagnetti-sortie le 19 octobre 2022

 

 

Par fjarraud , le mercredi 19 octobre 2022.

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