Bruno Devauchelle : Quelle place du numérique dans les disciplines ? 

L'informatique et le "numérique" sont au coeur des interrogations sur l'avenir de l'école, ses enseignements, ses finalités, ses modes d'action. Comment faire dans le monde actuel tiraillé entre la nécessaire modération et la multiplication des actions numériques portées aussi bien par le commerce que par les administrations et plus généralement les sociétés et les humains ? Sous le titre "Sens et finalités du numérique pour l’éducation" le colloque organisé par le ministère de l'Éducation à Poitiers ces jours-ci, semble montrer qu'il est temps de faire amende honorable et de tenter de construire un édifice durable. Toutefois, comme d'habitude, nous craignons un propos trop peu impliqué, distant, c’est-à-dire permettant à chacun de se situer, en particulier dans les établissements scolaires. Attendons pour voir, mais les dernières informations sur ces journées ne sont pas pour nous rassurer.

 

Une sous utilisation du numérique

 

 En fin 2022, il faut prendre en considération plusieurs évènements et éléments de contexte qui ravivent ces questions. Pandémie du Covid 19 et ses conséquences dans le domaine éducatif, évolution climatique et sobriété (dont le numérique), crise énergétique, équilibres géopolitiques, bref nous sommes fortement malmenés par ce qui se passe et par la manière dont cela nous envahit l'esprit, comme le montrent les récents travaux sur la "fatigue informationnelle" (Obsoco, Fondation Jean Jaurès,). L'enseignement est un des espaces où cela se travaille, en particulier du côté des élèves, mais aussi des enseignants. La récente montée en puissance de l'EMI (vadémécum de janvier) confirme l'importance de s'adresser aux jeunes, aux élèves. Le problème est bien sûr la notion de transversalité des compétences dans ce domaine : "Transversal, l'apprentissage des médias et de l'information se déploie tout au long de la scolarité". Toutes les disciplines sont donc "convoquées" sur le sujet, et l'histoire récente des "éducations à" montre que cette transversalité est rarement effective. Les causes sont autant organisationnelles (quand ou comment développer cela) et cognitives (qui est suffisamment compétent pour).

 

Le rapport "Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques" publié par le Conseil Supérieur des Programmes est intéressant à lire. S'appuyant sur une analyse par discipline qui met en évidence, avec l'analyse des infrastructures, la sous-utilisation du numérique tel qu'il pourrait être préconisé et mis en oeuvre semble une constante qui ne fait que rappeler ce que l'on observe depuis longtemps : un programme officiel peut ne pas être mis en oeuvre, les équipements et autres infrastructures sont encore très fragiles, voir assez insuffisantes (cf les recommandations du Socle Numérique présentes dans les document sur les recommandations -pages 192 et suivantes du document collège - pour le bâti scolaire ), sans parler de l'accompagnement des équipes à la mise en oeuvre réelle du numérique...

 

Des exemples...

 

Rappelons ici qu'il y a, en classe, deux grands types d'utilisations des moyens numériques : par l'enseignant, par les élèves. Force est de reconnaître que les enseignants sont désormais, pour la plupart, en mesure d'assurer leur enseignement en l'enrichissant au moyen des outils numériques. En cela, ils ne transforment pas nécessairement les formes de leur enseignement et parfois même, au contraire, renforcent les pratiques traditionnelles ou habituelles. Mettre les élèves en activité en les invitant à s'appuyer sur des moyens numériques est beaucoup moins fréquent. Le premier obstacle est celui des équipements et infrastructures qui ne facilitent pas les choses : réserver une salle longtemps à l'avance, avoir la garantie de l'utilisabilité (logicielle et matérielle) des postes disponibles, disposer de ressources locales et ou en ligne aisément accessibles etc. Le deuxième obstacle est pédagogique et didactique : intégrer dans la pratique les éléments de programme qui incitent ou imposent un usage du numérique, suivre sa (ou ses) propre discipline et le lien qu'elle entretient avec l'informatique et le numérique. Le troisième obstacle est culturel et plus largement écologique : les enseignants sont souvent réservés (frileux) vis à vis du numérique dans leur classe et s'appuient sur divers arguments pour illustrer leurs craintes : écran, énergie, rayonnements, attention etc.

 

Le Conseil Supérieur des Programmes commence son analyse par l'étude de l'enseignement de l'informatique mis en place dans les textes depuis 2019. En lycée, comme en collège, ces textes tendent à spécialiser les enseignants qui ont en charge ces contenus, et ainsi à dégager les autres disciplines de la prise en compte des possibilités numériques. D'ailleurs à propos du cours de Sciences Numériques et Technologies en seconde, le CSP y voit une place importante pour l'EMI et est particulièrement sévère dans l'analyse de sa mise en place : "le décalage entre les ambitions du programme et la réalité de sa mise en oeuvre peut être expliqué par plusieurs raisons." (page 15 du rapport). On retrouve ce type de formulation dans différents passages de ce rapport. Entre les intentions et la mise en oeuvre, même lorsque l'intention est inscrite dans la loi, l'écart est parfois très surprenant, le champ du numérique n'y échappe pas (comme jadis le B2i ou encore le C2i2e).

 

Au sein d'un établissement scolaire ou d'un réseau d'établissements, il est intéressant que les disciplines réfléchissent concrètement à la place qu'elles donnent ou peuvent donner ou doivent donner au numérique. Ces temps d'échange peuvent amener à ce que l'établissement fasse des choix concrets pour rendre possible, non seulement la mise en oeuvre des textes réglementaires (dont les programmes) mais au-delà d'encourager les initiatives, pour peu que l'argument principal de celles-ci soit la facilitation de l'apprentissage et de l'enseignement (et non pas la seule performance...). Il y a encore du chemin à faire. Attendons que la "stratégie annoncée" pour vendredi lors d'In Fine soit réellement annoncée et ne nous déçoive pas !

 

Bruno Devauchelle

 

Le colloque

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 14 octobre 2022.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces