Oriane Petiot, professeur agrégée d’EPS à l’UFR STAPS de Brest et Jérôme Visioli professeur agrégé d’EPS à l’UFR STAPS de Rennes publient « Les émotions en contexte scolaire » (édition de Boeck). Ils abordent à la fois les émotions des élèves mais également l’activité de l’enseignant, comme un « travail émotionnel ». Une approche qu'ils nous présentent.
Pourquoi le choix de cette thématique ?
Voilà plusieurs années que nous travaillons sur les émotions dans le cadre de nos travaux scientifiques et professionnels. Cet ouvrage constitue finalement une synthèse de 15 années à travailler sur cette thématique en EPS, et plus globalement en milieu scolaire. Force est de constater que les émotions constituent une question d’actualité au sein du système éducatif. La relation pédagogique évolue dans le temps, les publics d’élèves également, et le métier d’enseignant devient plus que jamais autant émotionnel qu’intellectuel. Il s’agit d’être capable de se connaître émotionnellement, de savoir gérer ses émotions et leur expression, mais aussi de percevoir les émotions des élèves pour s’y adapter de manière pertinente. Ces processus sont aussi invisibles qu’essentiels aujourd’hui en contexte scolaire. Simultanément, la prise en compte des émotions des élèves devient une nécessité dans le cadre d’une école valorisant le bien-être, la bienveillance et l’empathie. Certains élèves souffrent en effet de stress et de burnout. Mais l’école reste aussi un espace potentiel de résonance, tant pour les enseignants que pour les élèves, comme le souligne le sociologue Rosa (2018). De notre point de vue, les problématiques de plaisir, de joie et de passion sont à replacer au fondement de l’Ecole. Notre ouvrage s’inscrit dans cette ambition, en tentant de proposer une synthèse vulgarisée des connaissances sur les émotions en contexte scolaire.
La thématique des émotions est devenue à la mode. Mais qu’entendez-vous par émotions, notamment dans le cadre de l’Ecole ?
La première partie de l’ouvrage vise justement à définir le concept d’émotion, qui apparaît particulièrement complexe à délimiter. En effet, il est abordé dans de nombreuses approches philosophiques (hédonisme, stoïcisme, etc.) et scientifiques (histoire, sociologie, psychologie, psychanalyse, etc.), avec des terminologies qui varient et des notions connexes multiples (affectivité, humeur, sentiment, passion, etc.). Néanmoins, aujourd’hui, les chercheurs s’accordent pour définir les émotions comme des moments saillants, ponctuels et isolables du flux continuel des états affectifs. Elles sont induites par les interactions entre l’individu et son environnement et débouchent sur une ou plusieurs actions destinées à rétablir ou maintenir des conditions optimales de bien-être. Phénomène à plusieurs composantes (comportements expressifs, évaluations cognitives, réactions physiologiques, tendances à l’action et expérience subjective), elles peuvent être positionnées sur un continuum entre plaisir et déplaisir.
A l’école, les émotions sont au cœur de la relation pédagogique, en ce sens qu’enseignants et élèves ressentent, perçoivent, expriment et partagent des émotions. La complexité de ces processus à l’œuvre rend l’étude des émotions à l’école particulièrement riche et passionnante. Dans l’ouvrage, nous proposons un tour d’horizon des regards théoriques principaux sur les émotions, avec un effort de vulgarisation, et des illustrations spécifiques dans le cadre de l’école. Pour y parvenir, nous utilisons tout particulièrement des récits d’expérience d’enseignants et d’élèves collectées à l’occasion de nos recherches. Mais nous avons également fait le choix de mobiliser des ressources artistiques multiples, abordant cette thématique en milieu scolaire : des films (« Le cercle des poètes disparus »), des séries (« 13 Reasons Why ») et des romans (« Chagrin d’école »).
Plus concrètement, vous insistez sur la nécessité de prendre en compte les émotions des élèves. Mais qu’est-ce que cela implique concrètement ?
L’intérêt pour les émotions des élèves n’est pas nouveau. Au cours du XXème siècle, le mouvement des pédagogues s’est inscrit dans la volonté d’une révolution copernicienne de l’école permettant de prendre en compte la sensibilité de chaque élève. Mais c’est plus récemment que les travaux scientifiques se sont développés autour de cette question des émotions. L’une des premières pistes concrètes a consisté à opter pour une pédagogie centrée sur les émotions des élèves. Il s’agit alors d’interroger la posture de l’enseignant, en termes d’attachement, de bienveillance et d’empathie. Nous abordons simultanément la question de l’humour, de l’autorité, de la reconnaissance, de l’exigence et de la fierté. Enfin, la construction du respect et de la confiance émerge aussi de la participation collective à des projets ambitieux.
Une autre piste proposée consiste à s’inscrire dans une didactique des émotions. La question est alors d’articuler différents registres de plaisirs pour les élèves dans les choix didactiques, puis de les mener vers avec la joie d’apprendre et de progresser. Le jeu, l’évaluation, la prise en compte de la relation affective au savoir des élèves et l’enthousiasme culturel des enseignants apparaissent ici comme des leviers particulièrement pertinents. Une troisième piste concerne la mise en place d’un environnement émotionnel en classe suffisamment sécurisant pour favoriser le bien-être et l’engagement des élèves. Dans ce cadre, il est possible de réfléchir aux objets utilisés à l’école, mais également en termes d’espaces et d’architectures.
Enfin, la quatrième piste vise à favoriser le développement de l’intelligence émotionnelle des élèves en classe, qui regroupe la compréhension, la régulation, l’empathie et la gestion des émotions d’autrui. Soulignons que si des propositions concrètes existent sur ce point, nous n’en sommes encore qu’aux prémices d’une réelle opérationnalisation de ce travail autour des émotions des élèves.
Vous insistez sur l’idée qu’enseigner devient de plus en plus un « travail émotionnel ». De quoi s’agit-il ?
Dans cet ouvrage, les émotions des enseignants sont particulièrement abordées sous l’angle du « travail émotionnel ». Ce concept a initialement été développé par Hochschild (1983) dans une perspective sociologique, pour désigner l’effort réalisé par un professionnel afin de maitriser ses émotions au travail. Nous concernant, nous développons des travaux sur le travail émotionnel des enseignants dans une perspective psychologique située, en nous appuyant sur un constat récurrent : les enseignants font face à des situations professionnelles de plus en plus sollicitantes sur le plan émotionnel. L’augmentation du burnout dans cette profession est un indicateur des « maux » auxquels il s’agit de faire face dans le quotidien de la classe.
Dans le cadre de cet ouvrage, une partie entière est donc consacrée au travail émotionnel des enseignants. A cette occasion, nous nous appuyons à la fois sur les données scientifiques et des témoignages recueillis dans le cadre de nos recherches auprès d’enseignants exerçant en contextes diversifiés. Nous abordons ainsi le travail émotionnel de l’enseignant en éducation prioritaire, auprès d’élèves en situation de handicap ou à haut potentiel intellectuel, et même en milieu fermé (centre éducatifs fermés ou établissements pénitentiaires). Les inducteurs du travail émotionnel des enseignants sont présentés afin d’aider le lecteur à mieux comprendre d’où proviennent les émotions positives et négatives en situation de classe. Enfin, chaque chapitre se conclut par des pistes à destination des formations d’enseignants. Ces pistes ont en commun de viser une revalorisation des dimensions émotionnelles du métier au sein des formations, qui ont toujours mis en avant les aspects cognitifs liés à la profession. Certains dispositifs concrets, comme l’exploitation du théâtre d’improvisation, sont proposés comme des moyens de faire vivre des expériences émotionnellement saillantes associées à un fort potentiel de formation.
Propos recueillis par Antoine Maurice
Oriane Petiot, Jérôme Visioli, Les émotions en contexte scolaire, De Boeck supérieur, ISBN 9782807331747, 32,90€.
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