AFAE : Parlons des élèves... 

" On est élève, on fait tourner l’établissement, mais on a l’impression de ne pas exister". Ce constat ouvre ce numéro 175 d'Administration & éducation, la revue de l'AFAE. Reprenant le thème du colloque 2022 de l'association, il interroge la place des élèves dans l'institution scolaire. Des élèves ou des professeurs ? Car, au final, le numéro se clôt sur un appel à réglementer davantage le travail enseignant et à intervenir sur leurs pratiques pédagogiques. Entre temps; JP Delahaye et MA Grard auront rappelé la place des élèves pauvres dans une institution qui semble ne pas les voir.

 

Ecouter les élèves pour quoi faire ?

 

" Alors que l’école n’existe que parce qu’elle a pour public des élèves à éduquer, instruire et former, ces derniers restent globalement invisibles, sans doute parce qu’ils ont longtemps été considérés comme destinataires d’enseignements, de consignes faisant la part belle aux règles et à la « discipline », et moins comme porteurs d’aspirations, de projets et de propositions, y compris pour repenser l’organisation et le fonctionnement de l’institution scolaire". En introduction à ce numéro, Aziz Jellab fait un état des lieux de la place des élèves dans le système éducatif. " La loi du 10 juillet 1989 a marqué un tournant, sur fond de débats passionnels et de controverses idéologiques, en affichant la volonté politique de « placer l’élève au centre du système », ce qui peut apparaître comme une réelle avancée réhabilitant les publics scolaires. Dès lors, comment soutenir que l’élève, les élèves, restent invisibles ou à tout le moins minorés ? Répondre à cette question exige d’abord de préciser ce que signifierait leur visibilité, notamment à partir de la place qui leur est reconnue, de la prise en compte de leurs aspirations, et de les mettre en perspective à l’aune de l’invention historique de la catégorie d’élève durant le processus de scolarisation". Car "écouter les élèves", rappelle t-il "c'est s'interroger sur la prise en compte effective de leur parole".

 

Or, comme le rappellent C Monnin et Y Zarka, " En dépit des avancées encore assez maigres qui ont été faites, surtout sur le plan formel, réglementaire, la démocratie scolaire peine à trouver son souffle et son rythme sur le terrain. Parmi les facteurs qui peuvent expliquer ce constat partagé par les participants de l’atelier, indéniablement figure une certaine frilosité des professionnels à s’en emparer pleinement, traduisant la cristallisation d’une tradition séculaire qui l’avait ignorée".

 

L'Ecole et les enfants pauvres

 

Mais de quels élèves s'agit-il ? Jean-Paul Delahaye et Marie Aleth Grard, rappellent l'inadaptation de l'Ecole aux enfants pauvres. " Les personnels de l’Éducation nationale n’ont pas toujours une exacte mesure de la diversité sociale au sein de nos établissements", écrit JP Delahaye. " C’est d’autant plus dommageable que la population scolaire de nos établissements est beaucoup plus populaire en moyenne qu’on ne le pense. Tous nos élèves ne sont pas des enfants de cadres ou d’enseignants ! Stéphane Bonnéry, dans l’ouvrage Comprendre l’échec scolaire, Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques documente le  fait que l’écart entre les cultures rencontrées par les enfants et adolescents à la maison d’une part, et d’autre part à l’école, reste important pour beaucoup d’entre eux". Et de rappeler le peu d'intérêt pour ces enfants si on le mesure à l'aune des réactions sur le budget social des établissements et sur les programmes du bac général. " On peut supprimer des dizaines d’heures d’enseignement général en baccalauréat professionnel, où l’on rencontre assez peu d’enfants de bourgeois et d’intellectuels, dans un silence médiatique absolu. La fraternité n’est pas vraiment mise en oeuvre dans ces situations qui sont défavorables à la jeunesse populaire. Mais si l’on touche à un cheveu du programme de terminale générale où sont les enfants des cadres, on est assuré de faire l’ouverture de tous les journaux télévisés de 20 heures". Il rappelle l'importance de l'aide au travail personnel des élèves et du lien avec leurs familles.

 

Ecouter les élèves un problème pédagogique ?

 

D'autres contributions se détachent. Elisabeth Schneider évoque la culture juvénile et ses effets sur la réussite scolaire. Elle invite à " prendre en compte les pratiques pour les questionner, les secondariser, pour mettre à distance les dérives industrielles dans ces domaines ; déterminer les priorités et aider à distinguer le savoir jetable proposé par les industries qui surstimule et appauvrit, et le savoir pérenne qui fait grandir proposé par l’École. Repérer les inégalités et les problèmes de santé".

 

Benoît Galand invite les enseignants à revoir leurs pratiques  en s'appuyant sur "des résultats évalués par d'autres scientifiques.. répliqués dans plusieurs contextes". Il en déduit des règles pour l'engagement des élèves qui sont des règles pour les enseignants : "veiller à la progressivité des apprentissages; mettre en place un apprentissage guidé..., organiser des activités collectives conviviales; se montrer disponible; valoriser les comportements attendus" etc. Une intervention canadienne clôt le numéro en montrant qu'il faut changer les obligations des enseignants pour prendre en charge les élèves.

 

Fort intéressant sur bien des points, ce numéro s'accompagne de glissements. Doit-on parler des élèves ou de démocratie lycéenne ? Car celle-ci doit tout à des circonstances politiques. Ce n'est pas le souci de démocratiser l'Ecole ou des réflexions pédagogiques qui ont ouvert la démocratie lycéenne mais les émeutes de 1968 ou celles de 2005. Cette perspective politique est totalement omise du numéro alors qu'elle est le moteur de la démocratie lycéenne.

 

Cela amène à un autre glissement. Si les jeunes ne sont pas porteurs de projets et de revendications institutionnelles, les remèdes sont entièrement à trouver dans la pédagogie et chez les enseignants. S'opère là un autre glissement sur le front interne aux adultes entre l'administration et les enseignants.

 

François Jarraud

 

Administration & éducation n°175

 

 

Par fjarraud , le lundi 10 octobre 2022.

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