Abdelkader Benmbarek : A la recherche des professeurs démissionnaires  

Que sait-on des professeurs qui abandonnent leur poste ? Abdelkader Benmbarek, doctorant à l’université d’Aix-Marseille, a présenté les premiers résultats de sa recherche lors de la SIEF. Il parle de "décrochage" des enseignants et nous explique pourquoi il choisit ce terme. Surtout il nous dit ce qui fait décrocher les enseignants. Et aussi ce qui les retient de partir...

 

Pourriez-vous nous présenter votre étude ?

 

Ce travail vise à comprendre le décrochage des enseignants et enseignantes à travers sa dimension subjective. Nous avons donc mené un premier travail, sous forme d’étude exploratoire, pour connaître les représentations sociales du décrochage des enseignantes et enseignants. Ce projet de recherche qui va s’étendre sur les trois prochaines années présente deux finalités principales. La première est la construction d’une échelle française de diagnostic du décrochage des enseignantes et enseignants. La seconde consiste à penser un dispositif d’intervention-prévention en collaboration avec les acteurs du terrain de l’éducation nationale. Cela sera réalisé dans le but d’aider les enseignants en phase de décrochage à, soit se maintenir dans le métier, soit envisager une sortie du métier sans dommage sur l’environnement scolaire.

 

Pourquoi mener une telle étude ?

 

Le décrochage et les abandons de poste sont des phénomènes de plus en plus fréquents dans les pays de l’OCDE, où les enseignantes et enseignants débutants sont les plus impactés. Lorsqu’on s’intéresse à la lecture médiatique autour du métier d’enseignant ces vingt dernières années dans le monde, une phrase est à retenir : « We just can’t do it anymore ! ». En France plus particulièrement, ces trois dernières années ont fait l’objet de débats sur les plans médiatique et politique autour du métier d’enseignant. Lorsqu’on interroge les enseignantes et enseignants, ils et elles disent être « bousillés » par ce métier.

 

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’entreprendre un travail scientifique sur ce sujet et d’engager une réflexion sur la question du décrochage. Le but de cette réflexion est simple et réside dans la question que nous posons : comment pouvons-nous, en tant que chercheurs en sciences de l’éducation, contribuer en proposant une compréhension nouvelle et plus approfondie du problème du décrochage des profs, et surtout comment pouvons-nous les aider à trouver des solutions concrètes et durables ?

 

Vous distinguez décrochage et abandon. Quelle est la différence ?

 

Oui, nous pensons que le fait de confondre décrochage des enseignantes et enseignants et l’abandon du métier d’enseignant nuit à la compréhension approfondie et complète du processus d’abandon et peut nous conduire à omettre d’apporter des solutions concrètes et durables.

 

Le métier d’enseignant est un vécu professionnel qui s’installe dans le temps. Un enseignant n’abandonne pas son métier du jour au lendemain. Cette décision passe par une phase caractérisée par un ensemble de situations psychologiques, sociales et professionnelles difficiles. Cela s’accompagne donc par une remise en question de ses convictions, de sa valorisation salariale, de son utilité, de la place de l’enseignant dans la société, et de son identité professionnelle de manière générale. C’est une phase que l’on peut qualifier d’usure professionnelle à la suite de laquelle l’enseignant affiche un comportement de désengagement graduel. Cela rend compte d’une situation de rétention-résignation caractérisée par une indécision face à son avenir professionnel et par un déchirement entre les avantages que lui offre le métier et ses aspects négatifs. C’est exactement cette phase qu’on appelle communément le décrochage des enseignantes et enseignants. : une phase de pré-abandon, pendant laquelle il ou elle peut entreprendre une stratégie de sortie, volontaire ou involontaire, déclenchant un processus d’abandon qui finit par l’abandon définitif du métier.

 

Qu’est ce qui fait que les enseignantes et enseignants ne quittent pas leur métier ?

 

Les résultats de notre analyse suggèrent une première hypothèse selon laquelle les élèves se retrouvent au centre des aspects de maintien en poste. En effet, les enseignants et enseignantes interrogés lors de notre étude exploratoire rapportent que le fait de se sentir utile pour les élèves et avoir de bonnes relations avec eux sont les éléments principaux qui contribuent à leur protection contre le décrochage. Ces deux éléments, renvoyant à la bonne gestion de la classe et des élèves, contribuent à l’augmentation du sentiment d’auto-efficacité personnelle. En continuité, le fait de se sentir utile pour la société est un aspect de maintien central aussi. Les enseignants évoquent le sentiment d’être animés par une mission noble qui va au-delà du métier et qui réside dans le fait de transmettre et de construire la société de demain. C’est ce qui les aide à se maintenir en poste.

 

Deuxièmement, la vocation est aussi un élément important. Elle se traduit selon trois aspects : l’amour du métier, la passion d’enseigner et l’amour de la discipline enseignée. Avoir la vocation aide des enseignantes et enseignants à résister aux difficultés professionnelles et psychologiques du métier.

 

Enfin, les enseignantes et enseignants interrogés évoquent les garanties offertes par le métier d’enseignant aujourd’hui en France, à savoir la stabilité professionnelle et financière. En dépit de toutes les difficultés, les enseignantes et enseignants, comme tous leurs concitoyens, ont besoin d’un travail et d’un salaire stables qui leur permettent de payer leurs factures et donc de subvenir à leurs besoins quotidiens.

 

D’autres aspects de maintien des enseignantes et enseignants ont été identifiés lors de notre étude, avec des importances moyennes variées, dont les plus importantes sont : le temps de travail aménagé, les vacances scolaires, le dynamisme du métier en évolution continue, la liberté professionnelle et pédagogique, le manque de perspectives de reconversion de par leur formation initiale d’enseignant, la difficile reprise à zéro pour certains... etc.

 

Qu’est-ce qui fait qu’ils et elles le quittent ?

 

Les premiers résultats ont mis en la lumière quelques éléments importants qui poussent les enseignantes et enseignants à quitter leur métier. Premièrement, celles et ceux interrogés sont unanimes quant au fait de subir une dévalorisation salariale. Toutefois, ces derniers jugent que le salaire n’est pas un élément aussi important, d’autres causes sont plus déterminantes.

 

En tête, les enseignantes et enseignants expriment une souffrance principalement liée à un manque de considération et à une dévalorisation du métier par la société. Ils et elles expriment également un certain mépris perçu envers elles et eux. Ce mépris est identifié comme provenant particulièrement de la hiérarchie éducative, des élèves et des parents d’élèves.

 

En outre, les conditions de travail qui deviennent de plus en plus difficiles constituent un élément clé dans le cadre de la compréhension de ce qui les poussent à vouloir quitter leur poste. La complexification du métier, les tâches administratives qui l’accompagnent, le nombre de missions extrascolaires imposées, le manque et la dégradation des moyens matériels et humains, la lourdeur des responsabilités, les problèmes relationnels, le manque de soutien de la hiérarchie éducative et des politiques, etc., viennent en seconde position. Enfin, nous avons identifié des problèmes liés à la gestion de la classe et des élèves, ce qui a tendance à diminuer le sentiment d’auto-efficacité personnelle.

 

D’autres causes du décrochage des enseignantes et enseignants ont été recueillies lors de notre étude, avec des importances moyennes variées, dont les plus importantes sont : le manque de perspectives professionnelles, la perte de convictions et de sens du métier, et des problèmes liés à la formation initiale qui reste très théorique et qui ne les prépare pas à la réalité du terrain. Cela tend à rendre compte in fine d’une problématique en termes d’identité professionnelle qui sera abordée dans le travail doctoral que nous allons conduire.

 

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

 

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Par fjarraud , le mercredi 21 septembre 2022.

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