Pourquoi les données probantes ne marchent pas en classe ? 

Alors que P Ndiaye annonce un "fonds d'innovation pédagogique" doté de 500 millionset la "généralisation des bonnes pratiques" innovantes, connait on les conditions de réussite des expérimentations dans l'ensemble du système ? Car, si le ministère s'obstine à imposer des pratiques pédagogiques fondées sur des preuves, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un bel exemple en est donné par les dédoublements en Cp et CE1 sont très en dessous des attendus voire négatifs pour certains élèves. "L’idée qu’un transfert direct de dispositifs ou de pratiques fondés sur des données probantes est possible à l’échelle d’un système éducatif ou, au moins d’une large partie de ce système, ne va pas de soi", affirment Laurent Lima et Marina Tual (université Grenoble Alpes), dans un article publié par Education & didactique (n°16-1). Ils en donnent de nombreux exemples. Ils montrent que pour réussir une implémentation il faut l'adhésion de toute la communauté éducative. C'est probablement ce qui a manqué aux dédoublements Blanquer. "Les implementation sciences permettent aussi d’adopter un regard critique sur la façon dont les innovations ont été implantées jusqu’à présent dans le système éducatif français"...

 

Les ratés des expérimentations

 

 C'est l'idée fondatrice du Conseil scientifique de l'Education nationale fondé par JM Blanquer : définir les "bonnes méthodes" et imposer leur généralisation dans le système éducatf, par exemple à l'aide de "guides" qui préparent le travail des enseignants et qui sont fortement recommandés par les inspecteurs. C'est par ces injonctions et l'encadrement des enseignants par des protocoles précis que l'on pense obtenir les mêmes bons résultats en classe qu'en laboratoire.

 

Or il n'en est rien, rappellent Laurent Lima et Marina Tual.  Et ils en donnent de nombreux exemples. Ainsi le projet américain CRISS (2004) sur la compréhension de l'écrit portant sur 6000 écoliers : plus de 90% des enseignants sont formés et autant appliquent le programme. Au final l'effet est significativement négatif.  En France l'expérimentation menée Gentaz dans 56 écoles obtient des résultats négatifs. Selon les auteurs sur 77 expériences de transfert de pratiques fondées dur les preuves, seules 7 ont réussi.

 

Mais le plus bel exemple est celui des politiques de réduction de la taille des classes. Plusieurs études expérimentales prédisent des effets importants. Or les exemples de mise en place ne les confirment pas. Une expérience en Californie aboutit aux mêmes résultats que les dédoublements français : " En moyenne, les tailles d’effet obtenues par ces politiques de réduction de la taille des classes sont donc, a minima, deux fois plus faibles que celles observées dans le cadre d’expérimentations randomisées".

 

Des effets de système

 

Laurent Lima et Marina Tual donnent une clé d'explication : dans les deux cas ces dédoublements ont ouvert une fenêtre pour les enseignants. Leur nombre a augmenté permettant ainsi aux plus expérimentés de changer d'école ou de région. Ils ont été remplacés par des débutants.

 

Conclusion : " La mise en oeuvre à grande échelle d’une modification du dispositif éducatif, son implémentation sur le terrain, porte en elle-même les potentielles conditions d’une efficacité moindre que celle observée dans un cadre expérimental". Ce qui pose la question de l'implémentation des innovations.

 

Là aussi des études existent qui définissent des conditions d'une implémentation efficace. Notamment l'implication des différents niveaux du système éducatif, l'amélioration continue du dispositif et même la capacité à faire évoluer le système. Mais "il n'existe pas de validation empirique des ces cadres de travail pour l'implémentation" dans le domaine de l'éducation.

 

Alors que le ministre annonce un fond d'innovation de 500 millions et la généralisation des "bonnes pratiques", pour les auteurs il est clair que basculer les procédures validées expérimentalement dans le système éducatif, ce que continue à faire le ministère même après le départ de JM Blanquer, est inefficace.

 

Pour réussir à faire passer une innovation, "il est nécessaire d’agir non seulement sur ce qui se passe dans la classe mais aussi sur l’ensemble des membres de la communauté éducative (enseignants, tuteurs, administration, et parents) ainsi qu’une prise en compte de la nécessité d’un accompagnement au long cours de l’ensemble de cette communauté". Et c'est bien tout ce que le ministère ne semble pas savoir faire...

 

François Jarraud

 

L'article

Hugues Draelants : La politique des preuves en éducation

 

 

Par fjarraud , le vendredi 16 septembre 2022.

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