Lecture : Les enseignants de CP n'en font qu'à leur tête... 

Que sait-on de l'enseignement de la lecture en CP ? On a les travaux de R Goigoux. M. Bianco, M-L. Bosse, C. Boggio et C. Pobel-Burtin apportent, dans un nouveau numéro d'Education & Formations (n°104), un nouvel éclairage. A la grande surprise des auteurs, les enseignants de CP n'en font qu'à leur tête. Bien sur ils privilégient des méthodes qui lient graphèmes et phonèmes. Mais ils ne se servent pas des évaluations nationales et se réfèrent prioritairement à leurs collègues pour résoudre les difficultés.

 

Dans la suite de Roland Goigoux

 

"Les démonstrations scientifiques ne suffisent pas à installer les pratiques les plus efficaces en classe, qui doivent être relayées par les institutions". Proches du CSEN, les auteurs vont pourtant avoir à s'interroger sur le désintérêt des enseignants pour les recommandations officielles. Pour les auteurs, leur enquête portant sur un ou deux milliers de professeurs de CP, poursuit le travail de Roland Goigoux. Ses travaux sont cités et mis en parallèle avec les résultats de l'enquête. Les auteurs soulignent quelques évolutions.

 

L'enquête vise à savoir si les professeurs utilisent un manuel unique ou en combinant plusieurs manuels ? Comment les différents outils des manuels sont utilisés notamment numériques ? Enfin toute une partie concerne la gestion de l'hétérogénéité. Comment les enseignants se servent ils des évaluations nationales et quelles sont leurs pratiques pédagogiques.

 

Dans la cuisine des leçons...

 

" Questionnés sur l’utilisation d’une méthode pour l’enseignement de la lecture, 10 % des PE ont répondu avoir créé leur propre méthode et 88 % ont déclaré utiliser au moins une méthode éditée". La moitié complètent cette méthode avec des ressources qu'ils ont crées et un tiers avec des ressources trouvées sur Internet. Ceux qui utilisent plusieurs méthodes piochent dedans pour faire de la différenciation.

 

" S’ils avaient à choisir une nouvelle méthode, la quasi-totalité des PE se conformeraient aux directives actuelles puisque 99 % adopteraient une méthode qui traite des correspondances graphèmes-phonèmes de manière systématique". Voilà qui enterre la vieille accusation d'utiliser la méthode globale. Mais " 96 % des PE préfèreraient aussi une méthode qui introduit quelques mots outils par rapport à une méthode qui n’en introduirait aucun." Les PE sont peu intéressés par les tablettes pour l'apprentissage de la lecture.

 

" En 2019, 88 % des PE interrogés déclarent utiliser au moins une méthode éditée, ce qui est nettement plus élevé que les 69 % observés avant 2016 (Goigoux, 2016)", note les auteurs. Parmi eux un seul des 5 manuels soutenus vivement par le CSEN trouve une place dans les classes. Les 4 autres en sont quasi absents.

 

Une forte résistance aux pressions ministérielles

 

" Quant aux critères qui ont sous-tendu le choix de leur méthode actuelle, la conformité au programme arrive en troisième position (34 %) après l’orientation théorique (50 %), la progression et l’intérêt des textes (38 %). Cette observation est conforme à ce qu’expriment les PE à travers les méthodes qu’ils privilégient et leurs critères de choix pour de futures méthodes. Elle montre qu’ils sont attentifs à ce qu’énoncent les instructions officielles, mais gardent une attitude relativement critique".

 

"La culture de l’évaluation normée est faible", déplorent les auteurs. "L’utilisation des évaluations nationales n’est pas une pratique habituelle des PE... Ce faible usage des informations données par les évaluations nationales est d’autant plus frappant que les PE font majoritairement passer ces évaluations. Comment expliquer la volonté affichée des PE d’aider les élèves en difficulté et leur faible utilisation d’outils permettant d’objectiver le repérage de ceux-ci ?" se demandent les auteurs. Ils souhaiteraient davantage de pression sur les enseignants.

 

" Les PE ont recours prioritairement et très massivement à leurs collègues pour les aider à construire des réponses pédagogiques. Cette tendance converge avec les résultats de la littérature. Face à la difficulté, ils se tournent très peu vers les aides institutionnelles comme leur hiérarchie directe (inspection). Ainsi, les sites internet de ressources officielles ou les animations pédagogiques ne sont pas plébiscités... Les conseillers pédagogiques de circonscription (CPC) et les inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) ne sont pas perçus comme personnes ressources".

 

Après 5 années de pressions ministérielles, les enseignants ont repéré les outils et les méthodes utiles. Et ils continuent à ignorer dans leurs pratiques les outils qu'on veut leur imposer.

 

François Jarraud

 

Education & formations n°104

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 25 août 2022.

Commentaires

  • Amytrezan, le 25/08/2022 à 14:56

    Bonjour,

    Cet article concernant le positionnement des enseignants sur leur pratique par rapport aux directives est intéressant. Mais une fois de plus avec le Café Pédagogique, cet angle sert plus à une mise en opposition des acteurs éducatifs, qu’à une synthèse possible des pratiques efficaces avec les élèves.

    Et si on faisait vraiment le point sur un consensus possible entre la Conférence de consensus sur la lecture (animée entre autres par Goigoux, lamentablement ostracisé par le ministère) et les directives du livret orange du précédent ministre ?

    Par exemple, deux axes semblaient déterminants dans les deux documents :
    1. le taux de lisibilité des textes
    2. le nombre de relations graphème/phonème abordées avant les vacances de la Toussaint.

    1. Pour le taux de lisibilité, la conférence actait qu’un taux de plus de 60 % de lisibilité du texte était un facteur de réussite. Le ministère visait 100 %. Concrètement beaucoup de collègue ne savaient pas trop, ou pas du tout, le taux des textes qu’ils proposaient à leurs élèves. L’IFE en cohérence avec la Conférence de consensus a proposé depuis 2017 un logiciel ANAGRAPH gratuit en ligne qui comptabilise ce taux, le nombre de mots outils déjà appris, et repèrent les lettres muettes. Il semble que le Café Pédagogique n'ait plus évoqué ce logiciel depuis 2017… Symptomatique d’une guerre larvée où les positions moyennes ne sont plus entendues.
    Beaucoup de collègues en 2019 utilisaient leurs propres textes ou des textes avec encore très régulièrement un taux de lisibilité extrêmement bas. Alors quel consensus possible ? Au moins un taux de lisibilité du texte supérieur à 60 % ?

    2. La conférence de consensus actait une meilleure réussite avec un nombre autour de 15 relations graphème/phonème abordées avant les vacances de Toussaint. Idem pour le livret ministériel. Le consensus est total. En 2019 beaucoup de collègues en proposaient 7 à 8 sur cette période. En réactualisant le travail déjà effectué en GS ce taux n’est pas démesuré. Cette pratique solidifie les stratégies des élèves.

    En évoluant sur ces deux pratiques, des collègues ont pu observer des progrès spectaculaires, avec, à leurs propres dire, une avance en lecture déchiffrage de 1 mois ½ à 2 mois. Particulièrement dans des CP à 12, où les collègues pouvaient cibler plus précisément les compétences des élèves.

    Le précédent ministre est parti. Notre pays sans majorité absolue doit travailler en collaboration. Puissions-nous partenaires institutionnels (oui avec Goigoux !), médiatiques comme le Café Pédagogique, travailler de concert pour dégager des consensus utiles aux élèves ?

    • leonelstanly, le 21/09/2022 à 12:14

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  • delacour, le 25/08/2022 à 08:16

    Notre écriture n'est pas alphabétique.

     

    On continue d'enseigner que "a" se décode /a/ ou que /a/ s'écrit  "a". En témoigne l'enseignement du décodage de "iso" dans les Instructions officielles dernièrement parues, page 69  du petit livre orange, "iso" se décoderait /izo/. Or, dans le corps même du texte on découvre une large majorité de visuels "iso" qui ne se décodent pas /iso/, comme dans raisonnement,  où iso se décode /èzo/.

    Pour décoder iso, il faut que le mot oral comporte les sons /iso/. Voir les lettres "iso" ne conduit pas à un seul décodage, sauf si on ne propose que des décodages conformes à la "loi" du décodage, uniquement des mots comportant /iso/ à l'oral.

     

    Si on observe scientifiquement nos écrits, on ne peut pas en conclure qu'un son est codé avec une seule lettre ou un seul groupe de lettres, ni qu'une lettre se décode toujours de la même façon.

    Il faut  alors avoir le courage de se poser les bonnes questions :

    Pour apprendre à lire, le décodage est-il une solution ?

    Comment décodez-vous "a" ?  

    Bon décodeur vous avez déjà décodé /a/. Mais comme vous savez aussi lire,  vous savez implicitement décoder "a" en 12 phonèmes différents (/o/ par exemple). Ecrivez 12 mots illustrant chacun des 12 décodages effectifs de "a". Si vous n'y parvenez pas c'est bien que vous ne lisez pas en décodant, mais en reconnaissant les mots. Et une seule erreur de décodage interdit la lecture, l'accès au sens.

    Une hirondelle ne faisant pas le printemps, les décodeurs à qui j'ai essayé d'expliquer le rôle du codage, n'ont pas été convertis par un seul exemple, leur prudence est louable. Connaisseurs du système alphabétique de la parole, les décodeurs le transfèrent sans aucune analyse sur l'écrit, ils continuent d'enseigner que b-a fait /ba/… A l'oral certainement, à l'écrit, avec de la chance, peut-être, mais sans aucune certitude!

    On peut généraliser ce constat avec de nombreux autres exemples :

    Comment décodez-vous "e" ?

    Peut-être /e/ ? Comme dans tenir. Mais "e" présent dans un mot peut se décoder de 33 manières différentes si on compte les "e" finaux comme dans terre ou minute.  

    Et il en va ainsi pour toutes les lettres et même les groupes de lettres. Le décodage est incertain si on n'a pas commencé par coder du sens. Dans 98% des cas, il existe plusieurs décodages possibles pour une même lettre. 

    Comment décodez-vous "en" ?

    Il ne vous vient pas instantanément /in/ même si vous lisez sans souci examen. Le lecteur lit du sens, il ne décode pas. Lisez ceci : Solennels, ils viennent à l'examen en tenue de sport. Soulignez les "en" et voyez qu'ils sont loin de tous se décoder /en/!

    Vous pouvez continuer de croire en un seul décodage possible, vous ne pourrez plus en consultant les tableaux des différents décodages en fin de texte. Si notre écriture était alphabétique il n'y aurait qu'un seul décodage possible ("a" se décoderait toujours et uniquement /a/). Notre écriture est orthographique, chaque code pluriel,  conduisant à une multitude de décodages possibles en fonction du sens qui a été codé.  

     

    L'entrée par un codage est-elle plus acceptable ?

    En enseignant que /a/ se code avec "a" respecte-t-on la vérité ?

    Ecrivez un mot où /a/ ne se code pas avec "a" et un autre où /o/ se code avec "a"….

    Un autre où /i/ ne s'écrit pas "i".

    Un autre où /é/ ne se code pas avec "é".

    Un autre où /p/ ne se code pas avec "p".

    Un autre où /è/ se code avec plusieurs codes, etc. etc.

    Les codes multiples d'un même phonème ne peuvent pas être alphabétiques !

    Le propre du code orthographique est justement de multiplier les codes représentant les sons en mobilisant des lettres parmi les 26 de l'alphabet pour représenter du sens. Dès ce moment plus aucun phonème n'est certain d'être codé de façon stable et unique, "régulièrement" comme disent les décodeurs, tous les codes choisis étant plus fonction du sens que du son ce qu'illustre à merveille les homophones non homographes (différent et différend).

    Le tableau des codes orthographiques, l'écritoire, voir ci-dessous, présente la majorité des codes les plus usités de nos 36 phonèmes. Et si vous comptez bien le nombre de codes existant réellement, plus de 500, cela interdit de dire qu'il y a 130 graphèmes. D'autant que, par définition, il ne peut exister que 36 graphèmes[1]. Les graphies constituant la classe de chaque graphème sont nombreuses, par exemple "o, au, eau, aux, aud, eaux, ho", etc. pour coder /o/ au sein d'un sens.

    On ne peut donc pas plus s'appuyer sur une entrée phonologique qui serait parfaitement alphabétique, que sur le décodage, pour apprendre à lire. Le code n'est pas alphabétique. On ne peut pas coder : "le bato par en mèr", il faut coder "le bateau part en mer".

     

    La solution ?

    La seule possibilité respectant la genèse du fonctionnement de notre écriture, c'est de commencer par coder du sens (et pas des sons). Alors il y a congruence effective et totale entre le sens, les phonème et les graphies utilisées. Si on veut pouvoir lire les "a" dans aquarium il faut commencer par transformer le sens oralisé /acoiriome/ en écrit "aquarium". Il n'y a pas d'alternative. Apprendre à écrire du sens, passer du codage oral au codage visuel, permet en retour d'entrer en communication écrite.

    C'est le grand enseignement des observations de Maria Montessori qu'elle relate lors de sa conférence de 1936 à Paris « Les observations qui sont à la base de ma méthode »

    "Un beau jour, ils commencèrent vraiment à écrire avec de la craie ; alors, ils écrivirent tous les mots qu’ils savaient, en emplissant le plancher et les meubles de la pièce. Nous avons appelé ce phénomène « l’explosion de l’écriture ». Et c’est ainsi que nos enfants commencèrent à écrire à l’âge de quatre ans et demi…Par exemple, le fait que l’écriture est plus facile que la lecture et que l’écriture ne doit pas venir du livre, mais de l’analyse du langage existant déjà dans l’esprit, fut une des contributions pratiques les plus sérieuses au succès de ma méthode d’éducation." Les décodeurs n'ont pas lu Montessori.

    Et cerise sur le gâteau, comme le constate N. Catach, ce codage initial de notre langue a le bonheur d'être majoritaire dans notre système orthographique d'écriture. Dans 85 à 95% des cas le codage d'un phonème utilise une seule et même graphie. Les élèves s'en aperçoivent vite, ce qui les aide à porter leur attention sur les cas particuliers de codage, donc de lecture. Après chaque codage ils sauront lire sans aucune hésitation rhume et rhum (un seul "e" distingue ces deux mots), couvent et couvent, excellent et excellent, as ou as, ces homographes rendant justice au codage du sens, ou des mots comme femme, monsieur, solennel, harmonium, dont certains codes sont particuliers et minoritaires, appris au moment du codage, ou des mots comme niche et chien ou nier et rien démontrant la nécessité de commencer par coder, les valeurs sonores de la majorité des lettres n'étant pas transférable. Le code n'est pas alphabétique.

    La lecture énactée par le codage, toujours correcte, n'est pas un décodage, mais un souvenir des codes utilisés pour écrire les phonèmes d'un sens, une reconnaissance du sens à la vue du mot.

    En codant, les élèves apprennent et comprennent ceci : chaque phonème est codé, parfois avec des codes particuliers. Alors on ne lit même plus en décodant, on reconnaît le sens. Si jamais on n'a aucune idée du codage effectué, il est presque  certain qu'un décodage sans codage préalable conduira à l'échec. On l'a vécu dernièrement à la télé : Simbel a été décodé /s-im-b-è-l/ et Teste-de-Buche décodé en faisant sonner le "s" (les noms propres n'ayant pas subi les modifications du type "forest"[2] devenu forêt).Les journalistes ayant oublié que le sens et le mot prononcé imposent l'écriture et le la lecture des mots : /simbel/ était là avant "simbel" !

    C'est obligatoirement le codage de l'oral qui fournit par la suite les phonèmes d'un mot, sa lecture. Il faut donc obligatoirement commencer par apprendre à écrire les mots, à les coder, si on veut parvenir à la lecture. Le déchiffrement ânonnant, ne conduisant pas forcément au sens[3]. Tout un travail d'accès au sens par la vision doit suivre l'écriture des mots.

     

    Le jour où ce principe de priorité au codage orthographique sera mis en œuvre, en oubliant totalement le décodage sous sa forme b-a, ba[4], alors tout enfant de CP ne sera plus stressé devant les mots. A la limite, hésitant, il demandera : vous pouvez me pointer ce mot ? Et le pointeur se déplaçant sur les codes composant ce mot offrira les sons et finalement le sens : pour coder /équateur/, le pointeur ira cueillir le "a" dans la colonne des écritures de /oi/. On demandera immédiatement à l'apprenti de repointer le mot pour qu'il puisse fixer les codes utilisés en mémoire procédurale et reconnaître ce mot.

    En s'appuyant sur les stades par lesquels l'enfant s'est saisi de la parole, il apprendra à lire en moins de trois mois.

    Au départ une simple découverte d'une prosodie qu'on reproduit. Ce sera la sonographie, activité codant les sons au sein d'un rythme prosodique. Vite succédé par la combinaison de voyelles, on parvient à la phonographie en quelques jours. Puis les phonèmes s'ajoutant l'un après l'autre permettront de coder du sens oralement, des mots. L'écrit correspondant invitera l'élève à coder des mots prononçables avec les quelques phonèmes déjà étudiés : il faudra retenir leur orthographe puisque notre écriture n'est pas alphabétique. Mais quel plaisir de découvrir qu'avec les codes de /normal/, on peut déjà proposer des dizaines de mots qu'on peut écrire puis lire. On ne travaille qu'avec du connu, le sens et les sons, les codes des phonèmes déjà étudiés et ceux du phonème nouveau qui va s'ajouter à la sauce pour faire prendre la mayonnaise et affirmer la conscience phonémique et le rôle de la combinatoire.

    Ceci ouvrira la porte à un long cheminement d'améliorations et de pratiques qui  transformeront l'apprenti en un lecteur habile, saisissant le sens et les nuances de ce qu'il lit.

    Le site "écrilu" et les documents d'accompagnement sont à votre disposition.



    [1] Le graphème est au phonème ce que la graphie est au son. Il existe 36 phonèmes et 36 graphèmes, des centaines de sons et des centaines de graphies.

    [2] Une illustration de l'arbitraire du code cher à Saussure.

    [3] La preuve, on fait décoder des non-mots ne supportant aucun sens…

    [4] b-a, ba est valable uniquement à l'oral, pas à l'écrit : bauge, bancal, baigner…


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