Pap Ndiaye : Le ministre sur le fil 

De quel coté Pap Ndiaye va t-il basculer ? Encore marqués par les 5 années du ministère Blanquer, les enseignants traduisent les propos du ministre de l'éducation nationale à travers les lunettes du premier quinquennat. S'il s'affirme dans le "ni ni", Pap Ndiaye alterne des marquages personnels et la continuité des mesures de son prédécesseur. Le ministre semble avoir pris en main davantage ses dossiers que sa communication. Surtout, il est le ministre d'un président qui a arrêté une politique éducative. De ce coté là aussi il lui faudra définir, ou pas, son territoire...

 

Le ministre du "ni ni"

 

"D'emblée il a dit qu'il faut évacuer l'opposition simpliste avec JM Blanquer. Il a dit qu'il ne serait ni dans la continuité ni dans une démarche à 180°". Cette confidence d'un syndicaliste à l'issue du premier Conseil supérieur de l'éducation de Pap Ndiaye, le 20 juin, définit un ministre qui veut rester dans un prudent  "ni ni".

 

Le "ni ni", Pap Ndiaye l'a entretenu depuis le début de son ministère. Le 20 mai, lors de la passation de pouvoir avec JM Blanquer, Pap Ndiaye avait repris la "consolidation des savoirs fondamentaux", un des thèmes dominants de son prédécesseur, tout en annonçant "une adaptation nécessaire de l'école". Le 14 juin , alors qu'il présente son programme  au Conseil des ministres, il reprend le thème macronien de l'Ecole du futur et suit scrupuleusement la feuille de route élyséenne. Il parle de revalorisation dans le cadre du "nouveau pacte" lancé par E Macron.  Et dans son entourage se croisent des personnalités proches de l'Elysée et d'autres liées à JM Blanquer.

 

Fin juin, le ministre s'engage un peu plus dans la circulaire de rentrée. " La maîtrise des savoirs fondamentaux - la lecture, l'écriture, les mathématiques - conditionne la réussite scolaire et constitue ainsi l'objectif prioritaire de nos politiques de réduction des inégalités", affirme t-elle. La circulaire étend à la maternelle cette obsession des fondamentaux. Il se situe là clairement dans la continuité avec la politique menée par JM BLanquer. Le texte évoque aussi les concertations à la rentrée dans les écoles et établissements dans la suite des annonces d'E Macron. Si Pap Ndiaye marque aussi son souci de la mixité sociale, la méthode annoncée (créer des filières d'élite dans les établissements ségrégués) est connue comme inefficace. Sur ce point là aussi on reste dans la continuité de l'action blanquérienne.

 

La différence avec JM Blanquer se voit surtout dans ses interventions médiatiques. Lors du voyage à Marseille avec E Macron, le tout nouveau ministre est réduit à l'état de potiche muette. Deux mois plus tard, à Boulazac (24) il professe des banalités. Et devant le Sénat il confond encore école primaire et élémentaire ce qui montre une faible maitrise de ses dossiers.

 

Un tournant cet été ?

 

Il faut attendre le 2 août, son intervention devant la commission éducation de l'Assemblée nationale pour que le ministre commence à se révéler. Certes P Ndiaye s'inscrit dans la continuité. Il évoque à nouveau les fondamentaux et même les tests de fluence, symbole de la politique blanquérienne. Il salue S Dehaene, autre symbole. Il parle "d'égalité des chances" et non de mixité sociale.

 

Mais Pap Ndiaye se défend bien contre les accusations de wokisme. "La République vacille quand les inégalités sociales ne sont pas corrigées", dit-il. "Refaire la république ce n'est pas seulement inculquer notre devise mais montrer qu'elle est valable pour tous et toutes".

 

Le 18 août dans un tweet il prend ses distances avec JM BLanquer. "A chaque rentrée revient une petite musique sur l'utilisation de l'allocation de rentrée scolaire", écrit-il. "Cette aide est nécessaire et juste pour les dépenses de rentrée de plus de 3 millions de familles. Faire peser un soupçon sur son utilisation est infondé et stigmatisant". En 2021 JM Blanquer avait dit "qu'il y a parfois des achats d'écrans plats plus importants au mois de septembre". Des propos qui avaient été soutenus par le président de la République. En aout 2022 P Ndiaye tacle les Républicains qui ont déposé une proposition de loi encadrant l'ARS. Mais il le fait parce que la majorité a décidé cette fois ci de se démarquer des Républicains sur cette question.

 

Naissance d'un ministre

 

Peut-être le plus important changement chez Pap Ndiaye est ailleurs. Lors de l'adition à l'Assemblée, on a découvert un ministre capable de répondre à des questions précises sur les dossiers de son ministère. Certes il est entouré de membres de son cabinet qui lui passent des fiches. Mais il était visible qu'il maitrisait certains sujets.

 

Et particulièrement des questions où il se démarque de son prédecesseur. Par exemple sur l'instruction en famille, P Ndiaye ne remet pas en question le principe de l'interdiction imposé par JM Blanquer. Mais il n'hésite pas à dire que celui-ci est appliqué de façon inégale selon les académies par son administration  et qu'il y mettrait bon ordre. Alors que JM Blanquer a mené la guerre contre les jardins d'enfants lors de la loi Blanquer, P Ndiaye a expliqué qu'il cherchait un moyen légal de les maintenir.

 

On voit ainsi apparaitre peu à peu un vrai ministre. "Il appréhende mieux la grande maison Education nationale", nous dit Sophe Vénétitay, secrétaire générale du Snes Fsu. "Mais pour autant son jeu d'équilibriste ne va pas tenir longtemps". "C'est un ministre qui se fait son avis par lui-même", estime Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa. "Il me semble être rentré davantage dans le détail des dossiers et dans leur multiplicité".

 

Défis à venir

 

S'il veut marquer son passage rue de Grenelle, il lui reste pourtant bien des épreuves. La première est celle des médias. Depuis sa nomination, P Ndiaye a été le premier ministre de l'éducation à écarter les médias. Au mépris de la liberté d'information, le ministre a jusque là réservé ses déplacements et ses interventions à un tout petit nombre de médias soigneusement triés. Or Pap Ndiaye doit tenir sa conférence de presse de rentrée le 26 août et tous les médias seront là.

 

Mais la principale épreuve d'un ministre de l'éducation c'est de savoir gérer son président. Etre ministre c'est aussi être capable de dire non à l'Elysée. Tous ont du le faire. On imagine que les relations entre V Peillon et F Hollande n'ont pas été un lit de roses. A droite, L Chatel a su dissoudre les initiatives les plus saugrenues de N Sarkozy. Par exemple quand il voulait lier chaque écolier à un enfant déporté. Quand il voulait imposer des mesures sécuritaires face à la violence scolaire. Ou encore quand N Sarkozy lui a demandé de supprimer une année les concours de recrutement des enseignants pour récupérer des postes.

 

Avec un président aussi investi dans les questions d'éducation, avec des ambitions de transformations importantes, comme le nouveau pacte, la revalorisation ou la réforme de l'enseignement professionnel, Pap Ndiaye va avoir à monter qu'il est réellement ministre.

 

François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le mardi 23 août 2022.

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