Fournitures scolaires : Ce qui se joue vraiment 

Alors que les médias dissertent sur la proposition de loi des Républicains pour encadrer l'allocation de rentrée scolaire et la prise de position contraire de Pap Ndiaye, une intéressante étude de l'été dernier permet d'aller plus loin dans la question des fournitures scolaires. Qu'est ce qui se joue vraiment entre les parents, les enseignants et l'institution dans cette question ? Pourquoi tant de crispations sur une question qui apparait purement technique ? Le rapport de Cécile de Vareilles sur un expérience de fournitures gratuites à Clichy-sous-Bois éclaire puissamment la question.

 

 " Dans le cadre de ce travail sur les fournitures scolaires, il s'agit donc de dépasser le point de vue purement descriptif, et d'essayer de comprendre ensemble ce qui se joue, derrière cette question. Bien plus qu'un ensemble de cahiers et de crayons, les fournitures peuvent être l'objet de pratiques de distinction pour les élèves et leurs parents (acheter telle ou telle marque, avec tel logo ou telle illustration). Elles sont aussi au coeur des rapports entre ces familles et l'école, et particulièrement, les professeurs des écoles, qui établissent les listes de rentrée, et pour qui le matériel des élèves est une condition à leur pratique professionnelle : un élève qui n'a pas de matériel ne pourra pas suivre l'enseignement – indirectement, il s'agit donc d'un outil de travail nécessaire à l'enseignant.e. Pour les professeurs des écoles, les fournitures incarnent aussi la liberté pédagogique de laquelle ils sont supposés jouir : tous n'utilisent pas les mêmes méthodes, et ne demandent donc pas le même matériel".

 

Dans cette étude publiée sur le site du Carep de Créteil , Cécile de Vareilles pose excellemment les questions concernant les fournitures. Elle étudie les réactions à la décision des communes de Clichy sous Bois et La Courneuve (93) de remplacer les listes de fournitures des professeurs des écoles par une liste commune, pilotée par l'IEN. Cette mise en commun permet aux communes de doter les familles de matériel gratuit.

 

Elle montre que jusque là l'élaboration des listes est encore largement solitaire (43% des PE). Seule une minorité d'école discute d'une liste commune. Quant à la liste de fournitures du ministère seuls 17% des enseignants l'utilisent. Un gros tiers n'en a jamais entendu parler !

 

Aussi les réactions à la liste municipale commune  sont assez négatives. Et C de Vareilles explique bien pourquoi. " Le fait de mettre en place une liste unique par niveau de classe a conduit à s'interroger sur la possibilité et l'acceptabilité pour les enseignants de modifier leurs méthodes pédagogiques pour correspondre au matériel distribué. Si le « petit matériel » ne pose pas de problème particulier, du fait de l'universalité des besoins (de crayons, stylos, gommes...), dès que l'on touche aux supports (cahiers, classeurs, lutins), la question de l'adaptation émerge : est-ce aux enseignants de s'adapter au matériel donné, ou au matériel de s'adapter aux pratiques des enseignants ? Cette tension va de pair avec le sentiment d'une insuffisante consultation pour la plupart des enseignants, qui a donné à certains le sentiment d'une ingérence dans leur liberté professionnelle et pédagogique. En effet, la majorité des professeurs ne sont pas prêts à modifier leurs outils et méthodes pédagogiques pour correspondre aux fournitures distribuées aux élèves".

 

D'autre part, " Les enseignants ont aussi un besoin d'implication des parents d'élève dans la scolarité de leur enfant. Cela renvoie à la frilosité quant au « tout gratuit » que l'on retrouve chez de nombreux professeurs... Parents et enfants semblent avoir quant à eux un besoin réciproque de rituels et de symboles marquant l'engagement dans la scolarité, ensemble. Comme l'expliquait l'une des enseignantes en entretien, le moment de la rentrée, avec l'achat des fournitures scolaires, consiste à être « ensemble pour l'école ». Il ne s'agit pas seulement d'un aspect matériel, ainsi, mais aussi d'un geste révélant un soutien parental à l'élève".

 

On retiendra donc sa conclusion. " Il apparaît important que les dispositifs mis en place puissent l'être en concertation avec les enseignants, pour qui les fournitures sont indirectement un outil de travail, mais aussi avec les parents, qui investissent souvent une part de l'accompagnement de la scolarité de leur enfant dans la démarche et l'achat du matériel scolaire... Les fournitures scolaires ont une place particulière pour les enseignants, dans leur métier et dans leur identité professionnelle, du fait de l'importance qu'elles ont pour eux dans leur pratique quotidienne. Elles sont souvent associées aux méthodes et donc à la liberté pédagogiques, ce qui peut conduire à des crispations si la mise en place d'un dispositif d'aide aux familles se fait sans prise en compte de cet aspect".

 

François Jarraud

 

L'étude

 

 

Par fjarraud , le lundi 22 août 2022.

Commentaires

  • fc9d518, le 23/08/2022 à 23:32
    L'un des gros problèmes concernant les fournitures est que les profs sont toujours incités (par les formateurs, par la hiérarchie...) à utiliser des méthodes et des manuels industriels.
    Non seulement ces outils sont inefficaces et véritablement toxiques pour les élèves et pour les profs, mais en plus ils coûtent très cher !
     
    Donc un moyen de diminuer les coûts c'est d'enseigner sans méthodes ni manuels industriels. Ce que certains instits font depuis un siècle, et avec beaucoup de succès.
    Le résultat est que les seules fournitures à acheter ce sont principalement des "consommables" (papier, feutres, stylos, cahiers, etc...), et en principe les crédits mairie sont largement suffisants pour ça.
     
    En fonctionnant de cette manière, non seulement je ne demandais jamais aucune fourniture aux parents, mais en plus j'avais presque du mal à dépenser tous mes crédits mairie !
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