Le film de la semaine : « I’m your man » de Maria Schrader 

Comment une jeune femme d’aujourd’hui peut-elle trouver un amour authentique à l’heure de l’individualisme triomphant et des algorithmes dominants ? En s’inspirant librement d’une nouvelle d’Emma Braslavsky, la cinéaste allemande Maria Schrader (avec son coscénariste Jan Schomburg) imagine la rencontre expérimentale entre Alma, linguiste, et Tom, humanoïde programmé pour la séduire. Loin des scénarios classiques des films de science-fiction où les robots produits de l’intelligence humaine se retournent contre leurs créateurs, « I’m your man », à coups de retournements inattendus, de rebondissements teintés de drôlerie ou de mélancolie, passe de la comédie romantique à la fable aux prolongements insoupçonnés. Au-delà de l’impasse d’une liaison entre la chercheuse exigeante et le beau gosse androïde, l’expérience troublante agit comme un révélateur des blessures intimes d’une femme complexe, hantée depuis l’enfance par le rêve récurrent d’un bonheur émancipateur.

 

Test scientifique et tentation du bonheur

 

Drôle de pari pour Alma (Maren Eggert, jeu subtil aux nuances infinies), linguiste spécialisée dans le décryptage des inscriptions cunéiformes sumériennes au Musée de Pergame à Berlin. En échange du financement de sa recherche par une entreprise spécialisée en intelligence artificielle, elle consent à accueillir chez elle pendant trois semaine un robot humanoïde apte à satisfaire ses besoins et à combler ses désirs. Sacré tour de force d’autant que notre héroïne, en apparence, se caractérise davantage par son esprit de sérieux que par son envie d’un partenaire idéal.

 

Après un premier dîner au restaurant en tête-à-tête qui vire au fiasco (le ‘robot’ mal programmé réagit trop mécaniquement et doit être exfiltré rapidement), la pensée nous effleure qu’il s’agit d’une mise en scène ou d’un fantasme tant l’atmosphère irréelle et le décor feutré de tentures rouges font songer à un plateau de théâtre dysfonctionnel !

 

Une fois remis en état et mieux adapté aux aspirations supposées de sa future partenaire, Tom (Dan Stevens, fin interprète d’une créature à la mécanique déroutante) débarque chez Alma et prend des initiatives, comme s’il allait au devant de souhaits non formulés. Dans le vaste appartement aux lignes claires, il effectue à toute vitesse ménage et rangement d’enfer, il s’essaie à l’humour et à la détente…Sans rire, il compare les yeux de la belle à ‘deux lacs alpins’ dans lesquels il ‘veut se noyer’. Nul doute, pour la volontaire terrassée par le conformisme de son interlocuteur (lequel d’ailleurs demande avec naturel s’ils vont tous les deux dormir dans le même lit), l’expérience de cohabitation risque de tourne court.

 

Devant pareil décalage, Tom (dont l’intelligence artificielle élevée fait montre d’une plasticité inattendue) ne cherche plus à séduire Alma. Et ce changement engendre d’autres paradoxes. Il se refuse à elle alors que sous l’emprise de l’alcool elle manifeste un besoin de rapports sexuels. Bien plus, il découvre une étude issue d’une revue scientifique qui remet grandement en question le texte qu’Alma et ses collègues étaient sur le point de publier.

 

Limites de l’intelligence artificielle, mystère infini de l’âme humaine

 

Alma et Tom de fait poursuivent l’expérimentation sous d’autres formes. Lors d’une escapade en pleine nature, ils se rapprochent, vont même jusqu’à imaginer un passé commun,  conformément à l’incitation du ‘bailleur de fonds’. L’esquisse d’une liaison et une nuit d’amour donnent l’illusion du bonheur.

 

Alma, flanquée de Tom, tombe sur son ancien compagnon, à nouveau en couple avec une jeune femme, enceinte quant à elle (alors qu’Alma n’a pas pu à l’époque de cette ancienne relation aller au bout de sa grossesse). Alma décide d’arrêter le test avec Tom. Pourtant, de désaccord affiché en retrouvailles insolites, Alma fragilisée par cette expérience révélatrice accède bien davantage à elle-même. Jusqu’à retrouver (mais en sommes-nous bien  sûrs ?) Tom, l’étrange humanoïde,  sur les lieux de son premier amour  d’adolescente au Danemark.

 

Les derniers plans, pleins de grâce, de mélancolie et de mystère, lèvent cependant un voile sur la blessure secrète d’Alma. A travers l’évocation de la présence d’un garçon, son amoureux à chaque fois, allongé à ses côtés à chaque fois, -une présence évanouie à chaque fois qu’elle ouvre les yeux-, l’héroïne à la sensibilité extrême et à l’imagination fertile, est peut-être tombée amoureuse d’un ‘homme’ qui n’existe pas, en harmonie avec ses désirs profonds, aux antipodes de l’ordre du monde et du diktat de l’intelligence artificielle. Une vision fugitive au service d’une mise en scène, étrange et pénétrante, créant un univers mental proche d’un David Lynch ou d’un Alfred Hitchcock, celui de « Vertigo ». Ainsi sommes-nous amenés à réviser notre vision de « I’m your man’ » comme si la fiction dans son ensemble devenait l’expression manifeste du rêve inépuisable d’émancipation d’une femme éprise d’absolu. C’est aussi une belle définition du cinéma.

 

Samra Bonvoisin

« I’m your man », film de Maria Schrader-sortie le 22 juin 2022

Prix d’interprétation à Maren Eggert, Festival de Berlin 2021

 

 

Par fjarraud , le mercredi 22 juin 2022.

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