Retour sur la "continuité pédagogique" 

Quel bilan peut on faire de la "continuité pédagogique" ? Puisque le ministère semble ne rien avoir tiré de cette expérience inédite, c'est la recherche qui l'interroge. Julien Netter montre dans Recherches en éducation (n°48) qu'elle a conduit à augmenter les inégalités scolaires. Patrick Rayou fait un bilan plus positif en ce qui concerne les relations entre les acteurs : professeurs, élèves, parents. Il en tire aussi des conclusions pour le métier enseignant.

 

Réécriture des signes

 

 On n'en a pas fini avec la "continuité pédagogique". Alors que l'épidémie semble vouloir repartir, Pap Ndiaye a annoncé le 14 juin que les établissements devraient revoir leur plan de continuité pédagogique à la rentrée. Surtout, la revue Recherches en éducation publie un numéro (48) qui lui est consacré sous la direction d'Hélène Buisson-Fenet et de Lisa Marx. Il esquisse un bilan contrasté d'une période qui reste un traumatisme pour l'Ecole.

 

Julien Netter s'appuie sur une enquête menée avant , pendant et après le confinement dans une école primaire du 93. Il montre comment le passage au distanciel modifie les systèmes de signes mobilisés. " Lors du passage à la classe à distance, les signes accompagnant les échanges entre enseignants et élèves se transforment largement. Avec la transmission de travail ou d’activités par mail, mobilisée, au moins au début du confinement, par 20 des 21 enseignants ayant répondu au questionnaire, l’écrit prend une place encore accrue. Les échanges se font par écrit, la consigne est écrite. Les enseignants mobilisent alors également différents outils pour se démarquer de ce passage radical à l’écrit. Les capsules audio (8/21 répondants) ou vidéo (18/21 répondants) parfois enregistrées semblent, par le recours à l’oral et à l’image qu’elles permettent, se démarquer de l’écrit. Mais il s’agit d’un oral sans rétroactions, où les effets du discours doivent être anticipés autant que possible et qui relève donc également de formes largement littéraciées", explique t-il.

 

Renforcement des inégalités scolaires

 

Le distanciel pose aussi la question de l'autonomie des élèves et d eleurs parents face au travail scolaire et la question de l'étayage. " Avec la classe à distance, l’aide directe devient difficile. Lorsque le travail est envoyé par mail ou laissé sous forme de fiches dans des points de collecte, elle est absente. Lors d’une dévolution du travail par téléphone, elle peut intervenir un court instant en début d’activité mais pour un nombre limité d’élèves... Ainsi, les élèves se sont généralement trouvés tributaires d’une part de leur capacité à interpréter seuls l’activité dévolue et d’autre part des formes d’aide directe qu’ils pouvaient trouver à leur domicile. Pour les élèves les plus éloignés des attentes scolaires, en France souvent issus de milieux populaires (OECD, 2019), les aides fournies par des parents eux-mêmes peu diplômés (Dubet, Duru-Bellat & Vérétout, 2010) ont plus que pour les autres risqué d’être mal adaptées".

 

Finalement, " Les élèves les plus fragiles scolairement au début du confinement sont ceux dont les interprétations sont les plus éloignées de ce qui est attendu pour réussir à entrer dans les activités scolaires. Ce sont donc eux qui sont les moins autonomes face aux activités, c’est-à-dire pour qui l’aide indirecte se révèle vite insuffisante, et qui ont donc le plus besoin d’une aide directe, y compris face à des tâches que d’autres considèrent comme des « révisions » mais qui, pour eux, sont susceptibles de constituer des apprentissages non consolidés, voire non encore réalisés. Leurs parents sont plus souvent peu diplômés si bien que l’aide qu’ils peuvent leur fournir, lorsque leur situation le leur permet, risque d’être peu adaptée aux exigences scolaires. Ils disposent statistiquement de moindres revenus, si bien que leur équipement et leur connexion sont plus aléatoires, que leurs parents font face à des difficultés matérielles qui les occupent plus".

 

Prise de conscience des limites de l'Ecole

 

Patrick Rayou apporte un éclairage plus positif à partir d'une étude menée dans un collège d'éducation prioritaire. Il souligne les inégalités d'équipement des familles et aussi l'inégalité des ressources familiales pour le travail à distance. " Cette période d'extrême tension est l'occasion pour les enseignants de prendre conscience de réalités préexistantes avec lesquelles ils vivaient, mais qui apparaissent brutalement comme des freins à l’action.... Ces constats brutaux, rapidement partagés, donnent très souvent lieu à des adaptations immédiates ou à des projets à plus long terme."

 

Mais pour lui, la prise de conscience est plus vaste. C'est celle des limites du système éducatif "normal". "Le double désajustement que constitue d’une part le transport du cœur de l'apprentissage de la salle de classe à la maison, et d’autre part la déconnexion du temps d'enseignement de celui de l'apprentissage, a surtout mis en évidence des désajustements ordinaires et interrogé la pertinence de l’organisation habituelle des relations entre la classe et le hors la classe. Le désarroi des familles devant la nécessité de se muer en professeurs de leurs enfants n’a souvent été que la version amplifiée de leurs difficultés quotidiennes à accompagner le travail hors la classe".

 

Nouvelle co-éducation

 

Autre retour important, la construction de liens nouveaux entre enseignants et familles. " N'avoir plus « la discipline à faire » apaise et ouvre aux singularités des élèves, permet notamment des rapports « plus intimistes » selon Mme Courtepointe qui échange des « petites gentillesses », avec ses 6e notamment. Mme Lavisse (arts plastiques, 2 ans) estime avoir « gagné la confiance » d'élèves qui voyaient les professeurs comme une contrainte « et puis maintenant ils ont remarqué, certains, que finalement on était vraiment une aide ». Selon elle, grâce au suivi individuel rendu possible, certains ont « commencé à nous poser un peu plus de questions que d'habitude, à montrer un peu plus d'initiative, etc., les résultats étaient meilleurs »."

 

Pour lui, l'épisode du confinement a permis de lever des barrières séculaires entre les différents acteurs de l'école et il va jusqu'à parler de co-éducation. " L'affaiblissement des distances entre les faces publique et privée des acteurs constitue selon nous le troisième bouleversement de cet épisode de « continuité pédagogique ». Or l’enquête donne à voir que ce troisième désajustement a pu permettre aux enseignants et aux parents de se retrouver plus proches autour de l’intérêt supérieur des enfants, et a ainsi remis en cause le devoir de réserve respectif de ces deux groupes d’acteurs adultes dont l’utilité, par ces temps de crise mais vraisemblablement au-delà, n’allait plus de soi... La présence de savoirs professionnels, l’émergence d’un groupe qui s'organise lui-même peuvent apparaître comme deux éléments essentiels sur la voie de la professionnalisation".

 

On lira avec intéret les autres contributions à ce numéro. Parce qu'on n'en a pas fini avec le risque épidémique. Parce qu''il y a une nécessité immédiate à compenser les manques générés par cet épisode aussi bien en terme de niveau scolaire que de compétences sociales. Mais aussi parce que cette période a été d'une très grande richesse pédagogique et a montré la capacité du système à la résilience dès lors que la hiérarchie est empêchée...

 

François Jarraud

 

Le numéro

Le nuémro de la revue de l'AFAE

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 16 juin 2022.

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