Maths : Retour de séminaire  

Les maths sont universelles mais elles doivent s'adapter aux différents publics. C'est ce qu'a montré le séminaire national de l'Apmep les 11 et 12 juin. Parce qu'on n'enseigne pas les maths de la même façon à des mal voyants, à des dyspraxiques et à des sourds. Un séminaire qui fait voyager dans des univers différents ce qui interroge nos pratiques...

 

Le weekend dernier, c’était le séminaire national de l’APMEP. L’APMEP, c’est l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public. Cette association, complètement indépendante, regroupe des étudiants, des enseignants du premier degré, du second degré, du supérieur, des inspecteurs de l’enseignement public. Les adhérents élisent le comité, qui a la responsabilité de l’action de l’APMEP. Le comité élit en son sein le bureau national, chargé de mettre en œuvre les décisions du comité et du fonctionnement quotidien de l'association (expression et défense des positions, gestion, ...).

 

Depuis un an, je suis membre du comité et du bureau. Je connaissais déjà de nombreux collègues de l’APMEP : je suis adhérente de longue date et je participe souvent aux journées nationales, au début des vacances de la Toussaint (une occasion formidable de se former, de mutualiser et de se régénérer). Mais en étant membre du comité et du bureau, j’ai pu mieux connaître ces collègues, en découvrir beaucoup d’autres. J’ai l’occasion de contribuer à un groupe qui œuvre pour les élèves et les étudiants, et pour les enseignants eux-mêmes. Et croyez-moi, c’est addictif.

 

Géométrie et dyspraxie

 

Lorsqu’on est membre du comité ou du bureau ou qu’on est en charge de responsabilités au niveau national, on a la chance de pouvoir assister au séminaire national. Au moment où j’écris cet article, je suis dans le train qui me ramène chez moi, et j’ai la tête pleine de nouveaux savoirs, de curiosités développées, de nouvelles rencontres. Je rentre plus compétente que je ne suis partie. En ces temps de formation continue dégradée, raréfiée, de plus en plus difficile à obtenir, c’est un bonheur. Je vous résume ce weekend dense.

 

Alice Gomezet et Joris Mithalal, de l’Université de Lyon, nous ont présenté une intervention sur géométrie et dyspraxie : « penser l’inclusion à la lumière des sciences cognitives, de la didactique, et des EIAH ». Entre 2% et 20% des enfants en âge scolaire sont dyspraxiques. Ce sont des jeunes sans déficit intellectuel, dont les capacités motrices ne sont pas absentes, mais qui sont dans l’incapacité d’effectuer de façon autonome certaines tâches. Cela varie d’un individu à l’autre : une personne dyspraxique n’est pas stéréotypée. Comme l’a dit Alice Gomez, « Se dire "quand il veut, il peut" est une erreur ». Il est essentiel d'adapter l'enseignement à chaque individu, en fournissant des outils complémentaires à ces élèves, et de rendre accessible notre enseignement. Adapter n’est pas différencier : lorsqu’on adapte, la situation d'apprentissage est pensée dès sa conception, et non modifiée plus tard, en action en classe par exemple. Nous avons appris sur la déconstruction instrumentale, la déconstruction dimensionnelle, la manipulation, la perception de l’espace, le raisonnement mathématique.

 

Inventer le vocabulaire en LSF

 

Roméo Hatchi nous a proposé, l’après-midi, « rendre les mathématiques accessibles en langue des signes ». Il était accompagné de deux interprètes en LSF, qui ont accompli un travail remarquable toute la journée. Roméo Hatchi est sourd. Il enseigne en lycée à des élèves entendants, et il est membre de l’équipe Sign’maths. Il y a une quarantaine d’années encore, la LSF était interdite dans les écoles et on contraignait les élèves sourds à oraliser. Cette décision scandaleuse a fait baisser le niveau de compétences des personnes sourdes, qui comptaient plus de 80% d’illettrés. En 1984, la première classe bilingue a été créée. Cependant, encore aujourd’hui, les dispositifs existants ne suffisent pas.

 

Et il manque un glossaire mathématique : l’interruption de la LSF alors que les mathématiques se développaient dans le contexte scolaire a laissé des lacunes considérables. Il manque des mots : il faut donc créer des néologismes. Roméo Hatchi nous a expliqué comment le groupe Sign’maths en invente, dans une démarche rigoureuse et réflexive.

 

Brailler les maths...

 

J’ai également assisté à l’atelier de Julien Say, professeur de mathématiques à la Cité scolaire René Pellet de Villeurbanne, un établissement régional d’enseignement adapté à la déficience visuelle. Julien nous a exposé les différents types de handicaps visuels et nous a placés dans la situation de ses élèves : les yeux bandés, nous avons dû reconnaître des formes au toucher, lire des coordonnées de points de la courbe représentant une fonction ou tracer sur un support adapté, sur lequel tracer crée un relief, un triangle de côtés de 7cm, 8cm et 9cm. C’était complexe et épuisant. Julien Say nous a amenés à réfléchir aux moyens de transmettre des concepts des différents domaines des mathématiques, selon le déficit visuel. Il nous a également présenté rapidement le braille appliqué aux mathématiques. Un « brailliste » n’a pas accès à l’information en une seule fois : il est obligé de se relire, de réajuster sa compréhension de ce qui est écrit. On privilégie la représentation au concept, on cherche à se rapprocher de la norme des voyants. L’approche est fondamentalement différente de ce que nous avons découvert dans l’atelier précédent avec la LSF : elle est davantage de l’ordre de la transcription de la façon d’écrire des voyants. Cela mène à une écriture particulièrement lourde.

 

Dyscalculie

 

Dimanche, nous avons terminé notre épopée avec Marie-Line Gardes. Sa présentation s’intitulait : « Que cache la dyscalculie ? ». Entre 3% et 7% de personnes sont dyscalculiques. La dyscalculie place l’individu en situation de handicap dans la vie de tous les jours ; mais la frontière est mince entre ce qu’on appelle difficulté et trouble des apprentissages, et pour cette raison la dyscalculie n’est pas reconnue de façon partagée, même chez les chercheurs. Elle est l’objet de peu de recherches, et ces recherches ne mobilisent pas les psychologues et les didacticiens de façon conjointe. C’est regrettable, car croiser les regards est nécessaire. La dyscalculie est un trouble neurodéveloppemental, qui se traduit par des difficultés importantes en mathématiques, qui ne sont pas dues à un retard intellectuel, ni à un déficit sensoriel. Elle est souvent associée à la dyslexie et au trouble de l'attention, ce qui rend plus difficile le diagnostic. Ses causes sont encore assez méconnues. Les premiers travaux ont mis à jour les difficultés quant au nombre, d'où le mot "dyscalculie", mais elle affecte aussi le raisonnement, par exemple, et c’est loin d’être tout.

 

Je n’ai pas eu la chance d’assister à l’intervention du Cartable Fantastique, car plusieurs ateliers se déroulaient en parallèle. Mais les interventions que j’ai suivies étaient toutes d’une très grande qualité. Je suis admirative de l’utilité des contenus, en lien direct avec notre discipline, ainsi que de la simplicité et l’accessibilité des intervenantes et des intervenants. Je suis mieux outillée, je sais aussi où chercher pour approfondir encore, j’ai des pistes pour la classe. Et encore, je ne vous parle pas des échanges informels, de la découverte de ressources, de jeux, de la présentation de Littéramaths (parce que quand on fait des maths, on aime aussi la littérature !), des discussions passionnées et des moments de convivialité.

 

 

Alors si vous enseignez les mathématiques (si vous êtes professeur des écoles ou professeur de lycée professionnel, vous les enseignez tout autant que vos collègues d’enseignement secondaire général !), si vous étudiez pour devenir enseignant, rejoignez-nous. Vous contribuerez à un projet de société tout en continuant de vous former et de partager, au travers des événements tels que les journées régionales et nationales. Et si vous n’êtes pas dans ce cas, il vous reste à devenir prof de maths. Il semble qu’il y ait de la place, justement…

 

Claire Lommé

 

 

Par fjarraud , le mardi 14 juin 2022.

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