Dépolitisés, les curricula scolaires empêchent-ils de former des citoyens aptes à traiter les questions environnementales ? 

" Nos analyses montrent que la manière dont les questions environnementales (QE) sont traitées privilégie la technologie comme source de solutions aux problèmes humains, participe d’une conception positiviste de la science, et relève d’une approche anthropocentrée. Les programmes et manuels transmettent implicitement un rapport au monde très ancré dans le paradigme de la modernité". Malou Delplancke et Hanaà Chalak (Université de Nantes) étudient de près, dans Education et socialisation n°63, les programmes du collège et du lycée. Elles montrent qu'il reposent sur des conceptions qui empêchent une formation du citoyen.

 

Le risque d'impolitisme

 

 Alors que l'éducation au développement durable a fait l'objet d'apports récents dans les programmes (circulaire de 2020), M Delplancke et H Chalak dénoncent " une dérive normative, une faible capacité de problématisation et une faible distance avec les pratiques sociales,... un risque important d’impolitisme entendu comme un défaut d’appréhension globale des problèmes liés à l’organisation d’un monde commun", alors même que " face à l’urgence écologique, les QE peuvent être l’opportunité de contribuer à une éducation au politique". Leur discours, dans Education et socialisation n°63, se fonde sur une analyse croisée des programmes et des manuels du collège et du lycée.

 

Pour elles, " à travers les QE, l’éducation scientifique peut contribuer à l’exercice de la pensée critique en faisant émerger les valeurs priorisées dans les différentes mesures de protection et les privilèges accordés à certains acteurs ou modèles idéologiques par certaines pratiques de gestion (par exemple les mesures de compensation carbone au service du modèle de la croissance verte)... Une analyse critique permet de débusquer les non-dits et les incohérences entre des valeurs annoncées (comme la « transparence » ou le « bien commun ») et les décisions ou actions... L’irréversibilité et la gravité de la crise écologique font qu’il y a urgence à revisiter nos manières d’agir sur l’environnement et le vivant, à remettre en question notre rapport à la nature. Il s’agit, dans une approche éducative, d’inscrire les sciences de la nature dans une réflexion éthique sur l’objet même de leur connaissance et de contribuer à considérer la valeur intrinsèque de la nature comme une fin en soi et non comme un moyen dans une perspective de durabilité".

 

Des exemples

 

Les autrices se fondent sur plusieurs analyses des programmes de SVT ou d'enseignement scientifique (ES) au lycée.  Ainsi à propos de l'étude de l'érosion en 2de, elles montrent que " l’érosion est d’abord traitée du point de vue scientifique et celui de la compréhension des phénomènes naturels. Puis, l’activité humaine est introduite avec les conséquences qu’elle peut avoir sur les paysages qui peuvent être limités par la mise en place de plusieurs mesures. L’humain perturbe, mais il peut aussi protéger et l’environnement est à la fois à exploiter (environnement ressource) et générateur de risques (à détecter, à prévenir). Ce récit linéaire sous forme d’étapes successives ne permet pas, selon nous, de problématiser de façon multidimensionnelle la notion de risques en lien avec l’érosion causée par les humains. Ainsi, avant d’envisager un ensemble de mesures comme les projets de géo-ingénierie, il y aurait matière à questionner les fondements d’un unique modèle de société fondée sur le développement, qui ne tient pas compte de toute une pluralité d’autres expériences (culturelle, économique, politique et sociale)".

 

Sur le changement climatique au collège, " Nos analyses (figures 1 et 2) montrent qu’aux cycles 3 et 4, les raisonnements sont surtout de nature scientifique et technoscientifique et que peu de place est accordée au raisonnement socioscientifique. De plus, les savoirs controversés et les incertitudes épistémiques ne sont pas évoqués ce qui pourrait contribuer à la construction d’une vision réductrice de la sciencee. Elles dénoncent "une vision utilitariste de la nature".

 

Pour elles, " l’ensemble de nos analyses montre que la manière dont les QE sont traitées dans les programmes transmet implicitement un rapport au monde très ancré dans le paradigme de la modernité. En effet, la partie sur les écosystèmes telle qu’abordée en Première spécialité SVT a du mal à s’extraire de l’opposition nature culture, d’une vision anthropocentrée et d’une gestion rationnelle des services écosystémiques".

 

Faut-il repolitiser les questions environnementales en classe ?

 

Elles appellent à "repolitiser" les questions environnementales. "Repolitiser les QE pour éduquer au politique passe nécessairement par le fait de redonner des choix entre plusieurs scénarios possibles, ce qui suppose de travailler à la fois l’exercice d’une pensée prospective  et d’éduquer au choix. À travers ces QE, l’objectif est d’engager l’élève à exercer une citoyenneté scientifique et politique qui allie analyse critique des situations et réflexivité sur son propre rapport aux savoirs et à l’action".

 

Une critique qui interpelle. Mais qui a aussi ses limites. D'abord parce que l'observation des programmes et des manuels ne rend pas vraiment compte du travail réalisé en classe. Ensuite parce que l'EDD fait partie des questions vives. Ce sont des questions où les savoirs ne sont pas toujours stables et qui renvoient à des enjeux de société que les enseignants ont appris à aborder avec délicatesse.

 

François Jarraud

 

L'article

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 12 avril 2022.

Commentaires

  • Amytrezan, le 12/04/2022 à 11:30

    Bonjour, 

    Les curricula scolaires auraient été « dé-politisés », qu’il faudrait alors enfin retrouver leur politisation ?
    Les curricula scolaires ne sont-ils pas plutôt par nature a-politiques, dès le fondement des disciplines en transpositions didactique de sciences, elles-mêmes apolitiques ?
    Oui, notre climat est en partie responsable de notre mode de pensée. Est-il pertinent pour autant de politiser les curricula scolaires, mettant l’école à la merci de tous les atermoiements du moment, ou plutôt de mettre en place à l’école un temps d’examen critique du mode de pensée qui a construit nos sciences, notre école et généré notre monde, avec ses réussites et ses échecs ?

    Il pourrait alors être judicieux d’envisager dès le collège :
    - un temps spécifique de réflexion globale sur les sciences et leur rapport au monde.
    On rappellerait la nécessité du cloisonnement disciplinaire. Ce temps de réflexion épistémologique permettrait aux élèves de comprendre comment le travail scientifique doit nécessairement définir son champ scientifique, et isoler ainsi une partie du réel. Et donc de comprendre comment chaque science « assèche » nécessairement le réel et ne prévient pas de tous les risques.
    Ce préalable permettrait d’éclairer les élèves sur cette essentielle « apolitisation » des curricula scolaires, de comprendre comment on en est arrivé à ce climat. Mais surtout d’être éclairés sur leurs relations aux sciences, sur la possibilité et les risques d’un travail scientifique sur la complexité du monde, avec la prise en comporte de différents champs scientifiques, ou de champs avec des niveaux de vérités plus statistiques... Non, on ne lirait pas Edgar Morin dans le texte … Cela passe bien sûr par des exemples concrets pour des élèves.
    Cf La vidéo de « Le microsophe » : La science et la complexité.
    Ce temps d’enseignement serait aussi une belle occasion pour les élèves de donner du sens à l’ensemble de leurs enseignements, mis en lien, et de donner du sens à leur approche du monde dont ils sentent souvent à l’école trop coupés.

    - de donner dans chaque discipline des exemples permettant de montrer les limites de l’angle pris par chaque champ scientifique. De fait chaque science « interprète » le monde. Bruno Latour parle alors du « pluralisme des modes d’existence ». Cf France Culture, l’émission avec Bruno Latour : "Il ne faut jamais simplifier le réel".

    Pour les mêmes raisons, un temps de réflexion critique sur les sciences serait utile en formation initiale des enseignants. Cela leur permettrait aussi d'exercer un meilleur examen critique des apports des sciences dans l’éducation, devenues au fil des ans, le terrain de luttes politiques incessantes, qui discréditent l’apport de toutes sciences.

    En résumé, ne pas politiser les enseignements, mais prendre le temps de donner les moyens à chacun librement de procéder à un examen critique du mode de pensée scientifique, essentiel à l’école, et de sa place dans notre relation au monde.

    Cordialement.


    • eularobel, le 05/07/2022 à 16:08
      Nous évoquerions l'exigence de l'isolement disciplinaire. Les étudiants pourraient comprendre comment l'effort scientifique doit inévitablement identifier son sujet scientifique et ainsi isoler une partie de la réalité pendant cette période Cookie Clicker d'enquête épistémologique. et de comprendre comment chaque science « assèche » inévitablement la réalité et n'élimine pas entièrement tous les dangers
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