Dominique Momiron : L’école inclusive dans la campagne présidentielle  

Pendant toute la précampagne électorale, on a pu regretter que la politique éducative soit absente des projets des candidats. On découvre dans la dernière ligne droite que le thème de l’école tient finalement une place importante avec des idéologies contrastées. La question de l’école inclusive ne manque pas elle aussi d’inspirer une majorité des douze candidats à la fonction présidentielle. Mais comme ailleurs, les différences sont notables, même si quelques invariants apparaissent.

 

Une école inclusive limitée ?

 

Le respect du droit à l’école des enfants handicapés apparaît chez tous les candidats, même chez Zemmour qui cherche à se rattraper après avoir suscité une indignation générale lorsqu’il a stigmatisé ce qui est selon lui une obsession de l’inclusion en arguant que certains enfants handicapés sont mieux ailleurs qu’à l’école.

 

Pourtant certains projets atténuent sérieusement le principe visant à faire de notre école une école inclusive. Pour quelques candidats, il est question d’instaurer un examen d’orientation à l’entrée de la 6e de collège, avec en corolaire la création de classes de consolidation ou de réinsertion (Pécresse, Zemmour), le retour à l’apprentissage dès 14 ans (Zemmour), ou la création d’établissements spécialisés, en internat et avec mesures de sécurité renforcée, afin d'y accueillir les exclus définitifs qui devront y rester au moins un an et « devront faire leurs preuves avant un retour dans un établissement normal » (Dupont-Aignan). Ces mesures instaureraient des filières scolaires séparées et hiérarchisées entre elles au collège. De fait, elles concerneraient une grande partie des élèves en situation de handicap présentant des altérations des fonctions cognitives ou des troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage, voire des troubles neuro-développementaux (autisme, dyspraxie, TDHA). Or toutes les études internationales ont montré que l’institution de filières éducatives séparées et hiérarchisées à ce niveau de scolarisation amplifie les déficiences d’acquisition et de progrès des élèves orientés dans les structures les plus basses. C’est sur le constat de ces études nombreuses et réitérées que l’ONU et l’UNESCO ont fondé les principes de l’éducation inclusive. A contrario, des études internationales nombreuses et réitérées ont mis en évidence que non seulement la scolarisation inclusive commune ne nivelle pas par le bas, mais qu’elle profite largement aux élèves les plus fragiles comme aux élèves les plus performants.

 

Un passage obligé : l’aide humaine et les AESH

 

Un élément apparaît chez presque tous les candidats : l’amélioration de l’aide humaine auprès des élèves en situation de handicap, ainsi que celle de la condition des AESH qui en sont chargés. Cette préoccupation rend compte de deux phénomènes.

 

D’abord, elle tient à la place prépondérante qu’a prise la fonction d’AESH dans l’école inclusive française. Le nombre des AESH s’est accru chaque année de manière considérable : en 2006, on comptait un peu plus de 6 500 AVS (titre des AESH de l’époque), alors qu’on en dénombre 125 000 aujourd’hui (3e catégorie professionnelle dans les classes, derrière les professeurs des écoles et les professeurs certifiés). Et pourtant, alors que chaque année leur nombre s’accroît, il n’y en a jamais assez pour répondre aux besoins notifiés par les CDAPH, et les parents qui constatent le manque d’aide pour leur enfant manifestent logiquement leur indignation, comme les enseignants confrontés à cette carence. Parallèlement, même si le statut d’emploi des AESH s’est amélioré avec des contrats de l’État de 3 ans et l’accès au CDI, la condition économique de ces salariés demeure modeste avec pour l’immense majorité d’entre eux un temps partiel imposé (corrélé au temps de l’élève) et payé aux marges du salaire minimum, sans avoir beaucoup de perspectives d’évolution de carrière. La question des AESH est donc devenue un fait social incontournable.

 

L’accessibilité pédagogique oubliée ?

 

Le second phénomène que traduit la place fréquente des AESH dans les programmes des candidats relève d’un autre ordre. Les candidats ne perçoivent l’école inclusive que par l’entrée du handicap alors qu’elle touche toutes les origines de besoins éducatifs particuliers, au-delà du handicap, et donc tous les élèves. Ils ne la conçoivent que par la compensation qui est externe à l’acte d’enseignement. Même quand deux d’entre eux évoquent le développement de l’accessibilité universelle (Pécresse, Jadot), ils ne l’étendent pas explicitement à la pédagogie et de la didactique. Or cette accessibilité pédagogique est essentielle dans l’éducation inclusive. Si l’AESH effectue des fonctions importantes et indispensables de compensation en apportant une aide humaine que l’enseignant ne peut assurer, l’AESH n’est pas chargé d’enseigner. Tant qu’on n’aura pas donné à tous les enseignants les compétences professionnelles et les outils didactiques pour dispenser un enseignement accessible à tous leurs élèves, les CDAPH, sous la pression des « prescripteurs cachés » que sont les parents et les enseignants légitimement inquiets, continueront à décider de notifier encore plus d’aide humaine chaque année jusqu’à ce que tous les élèves handicapés en soient dotés à titre individuel et permanent. Mais l’école ne sera pas pour autant « pleinement » inclusive.

 

Une gestion des AESH différenciée idéologiquement

 

Les dix candidats qui se préoccupent des AESH sont tous volontaristes sur ce sujet, mais certains demeurent sibyllins, ce qui laisse ouvert le champ des possibles sans trop d’engagements. Pécresse, par exemple, se limite à écrire qu’elle veut « revaloriser le métier d’AESH ». Zemmour affirme via sa représentante à Handébat 2022 qu’il propose de créer 50 000 postes d’AESH et de les former. Interrogé pour dire si à ses yeux l’augmentation du volume d’AESH budgétée pour la prochaine rentrée est suffisante (4000 ETP), Le Pen répond « On verra bien, on en mettra autant qu’il faut. Il en faut autant qu’il est possible de faire ». Macron veut augmenter leur temps de travail à hauteur de 35 heures hebdomadaires en prolongeant leur accompagnement sur le temps de cantine, après l’école et pendant les vacances pour leur permettre de « tourner la page du temps partiel subi ». Il veut en faire des accompagnants non plus d’élèves, mais d’enfants en situation de handicap. Toutefois, il ne dit pas comment s’articuleront ces différents temps : qui sera l’employeur, qui sera le coordonnateur, comment se réguleront les conflits d’intérêts entre l’école, l’association, la collectivité territoriale et la famille, comment s’y retrouveront l’AESH et l’enfant ? Dupont-Aignan, quant à lui, propose aux AESH qui le souhaitent d’avoir un temps complet via des cours de soutien scolaire aux élèves en situation de handicap en difficulté, oubliant que l’accès à l’emploi d’AESH se fait au niveau du CAP ou du bac et non de la licence ou du master.

 

Sur l’autre rive politique, la question du statut des AESH est posée : Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo et Jadot veulent en faire un statut pérenne, intégré à la fonction publique avec un salaire décent. Roussel précise même qu’il souhaite l’accès à la catégorie B avec un temps plein de 24 heures et 24 mois de formation. Mélenchon va dans le même sens avec la création d’un nouveau corps de fonctionnaires et un service de 24 heures pour un temps plein. Roussel se distingue des autres candidats de gauche en proposant à Handébat un recrutement de 90 000 AESH en plus des 125 000 actuels pour être « à la hauteur des besoins ». Mais aucun des candidats n’évoque le support budgétaire nécessaire ni les changements législatifs indispensables aux évolutions souhaitées (le statut d’emploi actuel des AESH est porté par la loi).

 

Mélenchon et Roussel veulent supprimer les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés) qu’ils estiment cause des difficultés des AESH et source de dégradation de l’aide humaine. Cela nécessiterait une loi, puisque les PIAL ont été institués dans le Code de l’éducation par la loi « pour une école de la confiance » de juillet 2019. Cela ne supprimerait pas la compétence des MDPH de notifier les aides « mutualisées » dénoncées par ces deux candidats. Ce type d’aide a été créé et inséré dans le Code de l’éducation par un décret de juillet 2012 et sa part a constamment augmenté, bien avant la création des PIAL sept ans plus tard.

 

De grands élans de générosité

 

Le Pen, Mélenchon, Lassalle souhaitent augmenter encore le nombre des ULIS (ce qui se fait depuis plusieurs années). Dupont-Aignan veut augmenter celui des IME. Jadot veut recruter 2000 médecins scolaires, 3000 infirmières et 1000 assistants sociaux, ce qui est louable mais ne résout pas l’actuelle crise de recrutement : les places offertes aux concours restent vacantes. Roussel veut reconstruire la médecine scolaire et (comme Lassalle) les Rased, recruter des Atsem (compétence actuelle des municipalités), des assistants sociaux, des CPE et des personnels administratifs. Dupont-Aignant (ignorant peut-être les compétences des médecins scolaires en la matière et celles des enseignants et formateurs spécialisés) veut instituer un expert orthophoniste de l’Éducation nationale par département pour attester de manière certaine les troubles, établir une feuille de route pour les enseignants et former les équipes. Poutou veut un recrutement massif de personnels et limiter les effectifs à 20 élèves par classe, 12 en éducation prioritaire. Pour Roussel, la limitation serait de 15 élèves en PS, 20 en GS et en élémentaire et 25 à partir du collège et systématique dans les classes comprenant un élève handicapé. Pour Mélenchon, ce serait 19 élèves par classe et 15 en LP, avec 160 000 enseignants supplémentaires. Lassalle veut limiter les effectifs par classe dans tout le primaire et dans les REP pour le second degré. Mélenchon veut aussi augmenter le nombre d’enseignants référents chargés du suivi des élèves handicapés, ce qui répond effectivement à une faiblesse notable. Enfin, Mélenchon, Roussel et Macron projettent d’améliorer la prise en charge des étudiants handicapés à l’université.

 

Une formation généralisée ou particulière ?

 

La formation des enseignants en vue de leur permettre la prise en charge des élèves handicapés apparaît chez quelques candidats. Pour Lassalle, il la faut chaque fois qu’un enseignant a un élève handicapé dans sa classe. Pour Dupont-Aignan, Hidalgo, Mélenchon et Jadot, elle doit être systématique en formation initiale et continue (disposition qui existe déjà depuis la loi « pour la refondation de l’école de la République » de juillet 2013, mais qui peine vraiment à se mettre en place du fait de la concurrence avec les autres priorités pédagogiques). Hidalgo et Mélenchon souhaitent que toutes les catégories de personnels disposent de cette formation. Roussel, quant à lui, veut reconstruire toute la formation initiale et continue des enseignants.

 

Trois candidats se préoccupent à juste titre des compétences spécifiques pour les élèves sourds : Dupont-Aignan et Mélenchon veulent développer l’apprentissage de la Langue des signes française, et Roussel veut recruter des interprètes en LSF et des codeurs en Langue française parlée complétée. Il est vrai que le manque de professionnels compétents dans ce domaine est patent et met régulièrement les académies en difficulté face aux besoins.

 

En finir ?

 

Royalement, après avoir insisté sur son bilan, Macron affirme dans une capsule vidéo que si on lui fait confiance, « l’école inclusive sera au cœur du prochain quinquennat ». Généreusement, Hidalgo propose « des états généraux de la pédagogie […] organisés en 2022 pour s’inspirer des enseignants qui innovent pour une école ouverte aux nouvelles pédagogies plus inclusives et collaboratives, et permettre leur diffusion ». Jadot veut de son côté « donner du sens à l’école inclusive » avec les AESH. En choisissant bien dans toute la panoplie des mesures proposées, il y aurait certainement de quoi répondre aux attentes des familles et des enseignants. Mais si le projet d’une école inclusive apparaît désormais indiscutable, la nature de certaines dispositions restrictives et les moyens humains et budgétaires considérables d’autres dispositions généreuses en limitent la réalité à venir. Sans doute, au-delà des bonnes intentions en faveur des élèves handicapés, faudrait-il que le débat sur ce que signifie véritablement une école inclusive soit plus partagé et mieux diffusé qu’il ne l’est. Car c’est tout le système scolaire de notre république qui est en jeu.

 

Dominique Momiron

 

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Par fjarraud , le jeudi 31 mars 2022.

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