AFAE : L'école sur le métier 

"Le système éducatif français n’est-il pas sclérosé par une culture administrativo-juridique qui étouffe, sous une avalanche de textes et règlements à caractère national, l’autonomie des établissements et de leurs acteurs et néglige la réalité quotidienne et concrète des métiers et des contextes ?", affirment les coordinateurs de ce numéro 173 d'Administration & éducation, la revue de l'AFAE. Le ton est donné d'emblée. Pour ceux qui cherchent à savoir vers quelle réforme évolue le système éducatif, les cadres de l'AFAE laissent voir ce qu'ils attendent (et obtiendront probablement). La revue annonce des directeurs d'école "leaders", des "préfets des études" à la place des professeurs principaux, et surtout la fin du statut enseignant. Faute d'équilibre, ce numéro penche sérieusement. Mais au moins on sait vers où on va...

 

Immobilisme et statut

 

"Tout en réaffirmant les valeurs originelles de l’École, le présent numéro veut nourrir la définition ou la redéfinition d’identités professionnelles qui traduisent les responsabilités nouvelles des acteurs du système, en périphérie de la classe mais au service de la pédagogie, pour faire réussir les élèves. Car, au-delà des contenus, c’est un renouvellement des pratiques, de l’organisation et du pilotage qui tend à s’imposer en appelant à une gestion qualitative et dynamique des ressources humaines", expliquent Claude Bisson Vaivre (IG), Romuald Normand (universitaire) et Pierre Pilard (IPR) qui coordonnent ce numéro. Ils défendent "d'inévitables ruptures". "À n’en pas douter, ce numéro sur les métiers de l’éducation se positionne  au début d’un processus de transformations profondes des métiers et des relations au sein des organisations scolaires".

 

C'est tout naturellement Alain Bouvier qui ouvre le numéro en associant statut et immobilisme. "En France, comme dans beaucoup de pays, les missions des acteurs et des entités du système éducatif sont fixées par le politique, c’est-à-dire chez nous par les pouvoirs publics (Parlement et Gouvernement), alors que les statuts relèvent plutôt du règlementaire et donnent ainsi à la lourde technostructure (syndicats compris) un vaste champ pour affirmer son pouvoir et accentuer la sclérose. Rien n’évolue plus lentement que les statuts ! Tout se  passe comme s’ils étaient les principaux obstacles aux réflexions de fond", explique t-il. Aux "statutologues" s'opposent les professeurs innovants qui vont sauver l'Ecole...

 

Leaders et préfets des études

 

Frédérique Alexandre Bailly , ex rectrice, évoque les changements que doit apporter la gestion RH de proximité. "Fonder la gestion des carrières dans l’Éducation nationale sur la gestion par les compétences, comme l’ont fait d’autres secteurs professionnels, permettrait de maintenir la motivation des personnels, leurs compétences et donc leur performance durable", explique t-elle, jetant au panier le statut.

 

Patrice Lemoine, Dasen, présente comme une "nécessité" d'avoir des directeurs d'école "considérés et formés comme leaders". "L’extension de leurs missions dans le cadre des futurs emplois fonctionnels permettra d’amplifier leur capacité à résoudre les problèmes concrets que posent les idéaux et les lois, en adaptant leurs fonctions à ces réalités nouvelles. Or les responsabilités sont diluées entre des acteurs et décideurs aux priorités et représentations diverses et quelquefois divergentes. La pleine mise en oeuvre de l’école inclusive nécessite donc que les directeurs soient des leaders particulièrement compétents, formés, portés et soutenus, pour garantir le suivi des élèves au sein d’équipes pluriprofessionnelles."

 

Eric Rottier,proviseur, explique que c'est "la fin des professeurs principaux" au lycée. La réforme Blanquer ayant supprimé les classes, la fonction de professeur principal a du mal à s'exercer, ce qui est exact. Par quoi les remplacer ? "Une des pistes possibles peut très certainement se trouver dans la réactivation des « préfets des études », institués en 2010 dans le cadre de l’expérimentation du programme « Clair » et porté par Jean-Michel Blanquer, alors DGESCO". C'est à dire des cadres ayant autorité sur les enseignants. "Si la création d’un encadrement intermédiaire au sein des établissements, d’une fonction plus clairement identifiée de « cadre enseignant », apporte un début de solution, elle fait naître aussi de nombreuses questions, dont celle du positionnement institutionnel de ces nouveaux professionnels".

 

Un contrepoint

 

Il revient à un seul article, celui de Maurice Tardif (CRIFFE, université de Montréal), d'apporter le contrepoint en s'appuyant sur l'exemple des Etats Unis. On nous pardonnera de le citer longuement. M Tardif montre que ce nouveau management public qui a imposé un pilotage par les résultats se marie très bien avec la bureaucratie. "Alors que le nombre d’enseignants a été multiplié par quatre depuis 1950, le personnel administratif est multiplié par cinq, tandis que le personnel (appelé Instruction Coordinators ou Curriculum specialists) qui gère les programmes scolaires, qui met en place les standards d’enseignement et les évalue a été multiplié par dix. Quant aux cadres scolaires intervenant directement dans les établissements (directions, directions-adjointes, etc.), leur nombre a quintuplé".

 

"Dans un tel contexte idéologique et politique, le professionnalisme enseignant, basé sur l’expertise, l’autonomie et la collaboration, est détourné de son sens et devient ce qu’on peut appeler un professionnalisme managérial soumis à des contrôles externes, à des mesures de performance, à des évaluations qui peuvent être récompensées par des primes, mais aussi conduire à des congédiements et, pour les établissements sous-performants, à des fermetures. Mais au final le métier réel change peu. "Le temps d’enseignement n’a pas vraiment changé depuis 2000. .. En effet, les enseignants passent l’essentiel de leur temps à travailler avec les élèves en classe... Aux États-Unis, le temps passé avec les élèves occupe 75 % de la semaine normale de travail. Or, la plupart de leurs autres tâches hors classe concernent aussi les élèves et elles sont principalement réalisées par les enseignants de manière individuelle : préparation des leçons et du matériel pédagogique, correction des copies et évaluation des élèves, surveillance des élèves, entretiens avec les élèves, suivi des élèves en difficulté, etc. Tout cela indique que le travail des enseignants n’a pas varié dans sa structure de base... En dépit du mouvement de professionnalisation de l’enseignement, on observe que les enseignants possèdent un très faible pouvoir sur leur environnement de travail et, plus largement, sur l’administration du système scolaire et sur la définition de ses orientations par les autorités politiques. Encore aujourd’hui, le personnel enseignant reste principalement un corps d’exécutants. De ce point de vue, lorsque la collaboration et le travail collectif lui sont imposés comme normes de son travail, ne sont-elles pas encore une nouvelle modalité de son contrôle par des acteurs non enseignants ?"

 

François Jarraud

L'école sur le métier : évolutions et turbulences, Administration & éducation, n°173

 

Le nuémro

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 17 mars 2022.

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