Le film de la semaine : « Ali & Ava » de Clio Barnard 

Un amour entre deux solitudes que tout (ou presque) sépare peut-il s’épanouir, dépasser les différences et balayer les préjugés ? La réalisatrice  anglaise, Clio Barnard, attentive aux êtres fragilisées  depuis son entrée remarquée dans le cinéma de fiction avec « Le Géant égoïste » [2013], s’inscrit avec originalité dans la continuité artistique de Ken Loach, de Mike Leigh et de Stephen Frears. Elle s’affranchit de leur prestigieuse influence et nous raconte la rencontre,  improbable et romanesque, d’Ali et d’Ava, appartenant à des communautés différentes de quartiers pauvres de Bradford, citoyens britanniques, l’un d’origine pakistanaise, l’autre irlandaise. De la confrontation de deux existences cabossées, opposées par leurs différences d’origine, de situation familiale et un écart d’âge, naît un sentiment profond voué à transcender les conventions et les haines en tous genres. Pour ce faire, Clio Barnard s’appuie sur une préparation approfondie, inspirée par deux fortes personnalités croisées dans la vraie vie, associant à travers des ateliers divers habitants de cette région du nord de l’Angleterre, mêlant comédiens confirmés et acteurs non-professionnels. Résultat : un mélodrame sans mièvrerie, sensible et généreux, dynamité par une bande son galvanisante, cocktail épatant de pop, rap et folk, comme si la composition musicale reliait les spectateurs aux aventuriers amoureux. 

 

Quand Ali rencontre Ava, l’émergence de l’intime

 

Première séquence nocturne insolite et joyeuse. Sur le toit d’une voiture, la silhouette d’un homme se découpe, son corps dansant au son d’une musique tonitruante à un rythme effréné. Une situation cocasse dégageant une énergie communicative. Nous venons de faire la connaissance d’Ali (Adeel Akthar), d’origine pakistanaise, ancien DJ, probable chauffeur de taxi, fou de rap, de pop et d’électro, fanfaron barbu arborant une splendide casquette rouge vif. Mais aussi individu corseté par les traditions de sa communauté et de sa famille à qui il n’ose avouer la séparation prochaine entre sa femme Runa (Ellora Torchia) et lui…

 

Régulièrement, il mène à l’école la petite Sofia, six ans, fille de ses locataires. Pour accompagner cette enfant timide et  mal dans son corps, Ava (Claire Rushbrook), auxiliaire scolaire, regard bleu clair, peau laiteuse illuminant un visage et un corps fatigués, –veuve, mère et grand-mère d’une famille éclatée, hantée par le traumatisme d’un mari violent-, est là, pleine d’attention et de délicatesse. L’un et l’autre échangent autour de la personnalité attachante de la fillette qui les touche.

 

Une averse soudaine et la proposition d’un court trajet en voiture pour y échapper, heureux hasard digne des classiques hollywoodiens, rapprochent deux êtres humains culturellement destinés à se croiser sans se rencontrer vraiment.

 

Les premiers échanges, anodins en apparence, portent sur leurs goûts musicaux respectifs : pour elle une déclaration d’amour au folk, immédiatement ‘ringardisé ‘ dans un rire par l’adepte des formes contemporaines, en particulier le rap. Pourtant, une complicité tendre et pudique les lie déjà au-delà des mots et des petites vantardises de l’ex-DJ, joueur de guitare à ses heures.

 

Intolérance d’une société fragmentée, musique amoureuse des cœurs blessés

 

La cinéaste n’élude pas les obstacles qui se dressent dans chaque communauté et brident l’épanouissement de cet amour naissant. Ali est ‘officiellement’ marié, Ava rajeunit à vue d’œil au contact du musicien fou, des sons et des danses découvertes ensemble. Au grand dam du fils de cette dernière, Callum (Shaun Thomas), vociférant son opposition ouverte et hostile à cette idylle entre sa mère et un homme de couleur. Ava, inquiète et personnellement écorchée, craint la répétition d’une violence qu’elle a autrefois elle-même subie. L’insouciance, le retour aux gamineries de l’enfance et la douce tendresse, lisibles sur les visages des amoureux filmés souvent en plans rapprochés, s’évaporent brusquement. Comme si le rêve esquissé d’un ‘pont’ entre deux communautés fermées s’effondrait à jamais.

 

Une séparation et un malentendu renvoient Ali à ses contradictions personnelles  et Ava à un inconsolable chagrin et à une solitude infinie au milieu des autres. Sans déflorer tous les secrets de ce mélodrame lucide et sensible, la formidable composition musicale d’Harry Escott, le subtil mélange de folk, de pop, d’électro et de rap (y compris  la création de MC Innes spécialement conçue pour ce film) continuent à irriguer la fiction dans ses rebondissements les plus sombres. Ali ne perd jamais sa foi en la musique et en sa puissance libératrice.

 

Aussi Clio Barnard filme-t-elle avec fluidité et habileté le renversement de situation auquel notre barbu à casquette parvient face à des gamins du quartier où vit Ava. A l’arrivée de son long véhicule de couleur crème, les jeteurs de pierres se précipitent animés d’une joie mauvaise. Les cailloux pleuvent, Ava sort de la voiture, hausse le ton  pour disperser la petite meute et Ali entame un rap endiablé, entrainant bientôt dans son sillage et sa danse les fauteurs de trouble. Désarmés et rieurs. Ainsi va « Ali et Ava » de Clio Barnard, cinéaste engagée, plaidant modestement pour la tendresse et le partage, mettant en lumière la petite utopie d’un amour dépassant les vielles douleurs et les ressentiments présents,  oeuvrant pour une fraternité retrouvée dans une société apaisée, au diapason d’une partition musicale capable d’accueillir aussi bien Ocean Wisdom que Bob Dylan, des airs ouverts à tous les vents.

 

Samra Bonvoisin

« Ali & Ava », film de Clio Barnard-sortie le 2 mars 2022

Sélection ‘Quinzaine des Réalisateurs’, Cannes 20021. Meilleur Acteur, Meilleure Musique, British Independant Film Awards 2021

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 02 mars 2022.

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