Le film de la semaine : « Les Promesses » de Thomas Kruithof 

A l’heure où les paroles et les pratiques politiques dominantes décrédibilisent souvent la chose publique et démonétisent l’exercice du pouvoir, Thomas Kruithof, cinéaste exigeant et observateur attentif, réussit un thriller social centré sur un sujet casse-cou, peu attractif : la bataille de la maire (et de son chef de cabinet) d’une cité francilienne pour financer la rénovation d’un quartier insalubre miné par le surendettement, les exactions des marchands de sommeil et l’exaspération de ses habitants. Après une plongée glaçante dans le monde de l’espionnage avec « La Mécanique de l’ombre »[2016], le réalisateur s’attèle à ce projet en apparence beaucoup plus terre-à-terre. Son ambition : mettre en scène le courage politique  dans ses contradictions à l’échelon local sur le terrain. Rencontres avec des élus, échanges avec des associations, déplacements répétés auprès des habitants de plusieurs banlieues déshéritées, trois ans d’écriture d’un script documenté avec Jean-Baptiste  Delafon, scénariste et coauteur de la série ‘Baron noir’ nourrissent « Les Promesses ». Une fiction sous tension, saisissante de vérité, tournée à Clichy-sous-Bois, associant finement acteurs non professionnels, jeunes pousses et comédiens chevronnés, dont Isabelle Huppert et Reda Kateb dans les rôles titres. Loin des clichés attendus, l’exploration des échelons de décisions et de pressions entrant en jeu pour faire aboutir un projet de transformation du cadre de vie primordial (le logement en l’occurrence) pour les résidents du quartier sinistré s’incarne ici avec force dans la complexité humaine des protagonistes. Résultat : un suspense réaliste, lucide, dénué de cynisme, en un inextricable mélange d’intime et de collectif, d’ambition et d’idéal, capable d’engendrer une amélioration concrète de l’existence de quelques milliers de citoyens ordinaires. « Les Promesses » parie encore sur la parole politique (même sous des formes détournées) à condition qu’elle se transforme en acte. Une fable optimiste et vivifiante.

 

Ultime combat  d’une maire en fin de mandat

 

Des débuts aux allures de film catastrophe. L’eau dégouline de partout, du plafond, les murs suintent et des silhouettes s’affairent pour colmater et éponger une nouvelle fuite. Les occupants de la cité des Bernardins n’en sont pas à leur première colère. D’ailleurs, nous le comprendrons progressivement, beaucoup ne paient plus les charges, aggravant l’endettement et le cercle vicieux de l’impossibilité d’une réhabilitation des logements.

 

Pour son dernier mandat en tant que Maire, Clémence (Isabelle Huppert)  prévoit une succession assurée par son adjointe Naïdra (Naïdra Ayadi). Elle veut mettre en œuvre une ‘promesse’ mainte fois formulée, toujours repoussée, celle de rénover, dans ce quartier particulièrement démuni, les logements insalubres, devenus la propriété de marchands de sommeil (et loueurs à prix exorbitant d’espaces délabrés où s’entassent des demandeurs d’asile). Pour leur part, les résidents les plus anciens ayant acheté leur appartement pour y vivre leur retraite se retrouvent propriétaire d’un lot qui ne vaut pas un clou.

 

Soutenue par son chef de cabinet Yazid (Reda Kateb), à la fois enfant du coin, fidèle lieutenant et uni à cette dernière par un respect mutuel, Clémence, silhouette énergique, pas et regard vifs, parole affranchie, entreprend de trouver les moyens de financer pareille entreprise, considérée par beaucoup comme désespérée.

 

Forces et fragilités du duo municipal dans l’écheveau des échelons de pouvoir

 

Prises de parole de la Maire au milieu des résidents rassemblés, réunions d’associations de quartier, mises en place en petit comité à la mairie d’une stratégie d’attaque des sphères de décisions administratives et gouvernementales…Par un montage habile, nous pénétrons ainsi alternativement dans les différentes espaces d’échanges : paroles de citoyens fatigués de leur propre impuissance, excédés par l’incapacité des ‘puissants’ et des gouvernants à faire bouger les choses. Des conseils prévisibles de bonne conduite de la part des amis du Parti (sans couleur politique affichée). Des négociations en haut lieu, propos feutrés, accord tacite ou proposition mirobolante…

 

Des voyages des lieux les plus démunis aux espaces les plus sophistiqués non loin des dorures de l’Elysée cohabitent ainsi dans notre champ de vision et nous font mesurer la force de persuasion surhumaine que la Maire, d’un côté, Yazid, du sien, doivent déployer pour que l’obtention d’une subvention d’Etat (63 millions d’euros) ait des chances d’aboutir. Les données du problème nous sont livrées peu à peu de manière très concrète : les charges impayées s’élèvent à 100 000 euros, la réhabilitation financée permettrait de changer le cadre quotidien de 3000 personnes.

 

Loin de la chronique sociale au réalisme plat, « Les Promesses » se transforme sous nos yeux en un thriller à la fois psychologique, social et politique où chaque étape soulève de nouveaux obstacles et d’autres interrogations.  Pourquoi le haut fonctionnaire représentant l’Etat (Laurent Poitrenaux)) est-il sceptique quant au bien-fondé de cette demande de subvention et quant à la légitimité de la lutte juridique menée par l’association des résidents ? Qui parmi les propriétaires joue double jeu et sous-loue aux exploiteurs de migrants en mal d’hébergement ? Et Clémence elle-même, entre intimité secrète, ambition personnelle et engagement au service d’un idéal collectif, est-elle si sûre de résister aux (nouvelles)  sirènes du pouvoir ? Yazid, de son côté, serait-il prêt à prendre la tangente, à jouer sa propre partition en solo ?

 

Mise en scène tendue d’une fable politique optimiste

 

A partir d’un sujet ardu (la mise au jour des coulisses de l’action municipale), Thomas Kruithof, grâce à un script fouillé et à un casting épatant, déroule une intrigue foisonnante, apte à révéler les enjeux sociaux et moraux de tout engagement politique s’il est mené jusqu’à sa réalisation, y compris dans ses implications les plus subjectives.

 

 « L’Exercice de l’Etat » de Pierre Schoeller [2011] nous donnait à voir le renoncement à ses convictions d’un ministre des Transports au nom de la ligne choisie par le gouvernement (la privatisation des grandes gares). Sous un autre angle « Alice et le Maire » de Nicolas Pariser [2019] mettait en scène le Maire d’une grande ville en panne d’idées qui recourait à une jeune philosophe pour renaître à la pensée et finissait par se retirer de la vie publique.

 

« Les Promesses » à travers le duo municipal refuse de céder à pareille tentation. Tournant le dos à la voie du renoncement, le cinéaste ne cache ni l’ambition personnelle ni les blessures intimes que le pouvoir pourrait combler mais il valorise à l’écran ce qui fonde l’action politique à tous les niveaux de la vie publique chez ceux qui s’y investissent : s’engager auprès de leurs concitoyens pour fabriquer ensemble une communauté démocratique.

 

Samra Bonvoisin

« Les Promesses » de Thomas Kruithof-sortie le 26 janvier 2022

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 26 janvier 2022.

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