Yannick Trigance : Démocratiser la réussite scolaire : une urgence 

Le rôle de l’école dans la lutte contre les inégalités scolaires prend souvent la forme d’un questionnement : l’école peut-elle contribuer à limiter l’aggravation des inégalités entre les élèves ? Si cette question est régulièrement posée, c’est avant tout à partir d’un diagnostic aujourd’hui tabou : de la maternelle à l’université, l’école est pensée par et pour les catégories sociales les plus favorisées et notre système éducatif n’a jamais été conçu pour faire réussir tous les élèves.

 

C’est ainsi qu’en 2015, à l’issue de la scolarité du premier degré, à l’entrée en sixième, un enfant d’ouvrier sur dix souffrait d’un retard dans son parcours scolaire contre seulement 3% d’enfants de cadres. Cet état de fait se confirme au niveau du baccalauréat : seuls 36% d’enfants d’ouvriers et 52% d’employés obtiennent un baccalauréat général quand 75% des enfants de cadres et d’enseignants le réussissent.

 

Si l’école ne peut, à l’évidence, être tenue pour responsable de cette situation, il n’en demeure pas moins qu’elle ne permet pas aux élèves des classes modestes de compenser les faiblesses de l’environnement social et familial dont on connaît l’impact majeur sur la réussite scolaire : pour être clair, ce n’est pas notre école qui creuse les inégalités mais elle ne parvient pas à les réduire.

 

C’est pourquoi, dans une campagne présidentielle qui gagnerait à placer l’éducation aux avant-postes des débats, nous devons examiner les leviers qui doivent permettre à l’École de lutter efficacement contre les inégalités pour mieux garantir une démocratisation de la réussite scolaire aujourd’hui encore réservée à quelques-uns.

 

Trois thématiques apparaissent comme essentiels et nécessitent à la fois un véritable changement de paradigme ajouté à un courage politique jusqu’alors trop timide : la mixité sociale et scolaire, l’éducation prioritaire et la reconnaissance des personnels d’éducation.

 

L’indispensable mixité sociale et scolaire

 

Si l’objectif de mixité sociale et scolaire est bien inscrit dans l’article 1 de la loi de Refondation de l’Ecole de 2013, seules quelques expérimentations ont été financées conjointement par l’État et les collectivités territoriales.

 

Or le constat est éloquent : 12% des élèves fréquentent un établissement qui accueille 2/3 d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés. En classe de 3ème au collège, 45% des établissements pratiquent une ségrégation active et 25% des formes de séparatisme social. L’enseignement privé -qui perçoit des subventions publiques pour la majorité d’entre eux- scolarise 36,7% d’élèves d’origine sociale favorisée contre 20,6% dans le public.

 

Alors que l’importance de la mixité sociale et scolaire pour tous les élèves n’est plus à démontrer, la persistance d’une ségrégation sociale et scolaire entre établissements, entre les classes d’un même établissement et entre public et privé -du fait même de l’État- alimente quotidiennement un entre soi qui reproduit les inégalités et entrave toute démocratisation de la réussite.

 

Plus que jamais les expérimentations destinées à améliorer la mixité sociale et scolaire -comme celle de Toulouse- doivent être développées et soutenues, les questions de carte scolaire doivent être revisitées pour un meilleur équilibre en intégrant notamment les établissements privés qui bénéficient des subventions de l’État sans être à ce jour soumis aux mêmes obligations d’accueil que l’enseignement public.

 

L’éducation prioritaire doit être….une priorité

 

Au risque de déplaire aux contempteurs du « donner plus à ceux qui ont moins », rappelons ici que sans les dispositifs d’éducation prioritaire installés depuis 1981, la situation des inégalités scolaires et de réussite des élèves dans les quartiers concernés seraient bien plus grave qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans un environnement socio-économique qui s’est dégradé sur de nombreux territoires.

 

Pour autant, ces inégalités ne vont pas en diminuant et les écarts se creusent entre ceux qui réussissent et ceux qui sont en grandes difficultés, faute d’un investissement massif -plutôt qu’un saupoudrage inefficace- dans trois domaines au moins qui impactent durablement les apprentissages et la réussite des élèves.

 

•          La santé :

Comment réussir sa scolarité en REP -Réseau d’Education Prioritaire- quand les enfants de 6 ans qui y vivent ont deux fois plus de problèmes dentaires, d’audition et d’obésité que dans les écoles hors-REP ? Comment réussir sa scolarité quand les enfants de ces quartiers ont en moyenne 30% de problèmes de vue en plus que la moyenne hors éducation prioritaire ?

 

Comment prétendre à une école « inclusive » dans ces quartiers prioritaires quand le ministre Blanquer refuse le versement de la prime REP/REP+ aux personnels les moins rémunérés que sont les Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap –AESH- ?

 

La médecine scolaire -médecins, infirmières- doit être omniprésente dans ces établissements afin de permettre dès l’école maternelle une prévention médicale de tous les instants, un véritable travail en lien avec les équipes éducatives, les familles et les structures de soins dans les quartiers.

 

•          Des financements à la hauteur des enjeux :

Cessons de rabâcher l’antienne éculée selon laquelle « l’éducation prioritaire, ça coûte cher». Et rappelons que par exemple, à effectifs identiques, un collège en éducation prioritaire peut avoir une masse salariale inférieure à celle d’un centre-ville du fait du nombre important de jeunes enseignants en début de carrière dans les établissements en REP ou REP+.

 

De la même manière peut-on continuer à accepter que l’État finance en moyenne 18,80 euros par élève en éducation prioritaire pour l’accompagnement éducatif et dans le même temps 45 fois plus pour un élève qui prépare les concours en classe préparatoire ? –rapport de la Cour des Comptes de 2016- Il est grand temps que les responsables politiques tournent le dos à une politique de saupoudrage  en mettent en place une véritable politique de financement massif  et pérenne sur ces secteurs les plus en difficultés.

 

•          La scolarisation des enfants de 2 ans :

Véritable lieu d’éducation, de socialisation, de construction de la citoyenneté fondée sur les valeurs de solidarité, de coopération et de responsabilité, l’école maternelle dès l’âge de 2 ans permet à chaque enfant de développer ses potentialités, de construire ses connaissances et compétences, face à des inégalités comme celle de l’acquisition du langage: à 4 ans ,un enfant défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu'un enfant de famille aisée.

 

Le quinquennat Blanquer rue de Grenelle a drastiquement réduit la scolarisation des enfants de moins de trois ans, la faisant passer de 11,6% en 2017 à 9,4 % en 2020. Plus grave encore : la mise en place de l’instruction obligatoire à 3 ans va définitivement éradiquer la scolarisation des enfants de 2 ans, faute de postes budgétaires et de moyens des collectivités qui, dorénavant, vont devoir financer la maternelle privée pour les 3 ans.

 

Reconnaître les enseignants, piliers de notre République

 

Sans eux, rien ne sera possible : reconnaître les enseignants à leur juste place au cœur de notre projet de société, c’est à la fois les former, revaloriser leur fonction et c’est aussi leur faire confiance en tant que pédagogue.

 

•          Une formation initiale et continue digne de ce nom :

Tant qu’on ne comprendra pas qu’enseigner, plus qu’une vocation, est un métier qui nécessite des professionnels de très haut niveau, nous ne parviendrons pas à faire de l’école un levier dans la lutte contre les inégalités.

 

N’oublions jamais, comme le soulignent régulièrement les études de l’OCDE, que les systèmes éducatifs performants sont ceux dont les enseignants ont bénéficié de longs stages pratiques de formation initiale et qui, par la suite, ont pu bénéficier d’une formation continue importante basée sur les besoins des équipes pédagogiques.

 

•          Des salaires décents et attractifs :

Le constat est aujourd’hui connu : après 15 ans de carrière, les enseignants français du premier degré sont payés 14% de moins que les autres de l’OCDE et ceux du second degré 20% de moins. Autre constat : 70 % des professeurs des écoles et 50 % des certifiés gagnent moins de 2 500 euros nets, primes et heures supplémentaires comprises.

 

L’instabilité des équipes éducatives, souvent liée aux difficultés d’exercice, au manque d’attractivité des postes, impacte fortement la réussite des élèves avec des absences d’enseignants plus nombreuses et moins bien remplacées, de nombreux contractuels et de jeunes enseignants moins expérimentés nommés sur des postes non pourvus.

 

Il y a donc urgence à permettre une rémunération digne dès le début de carrière et à augmenter fortement la rémunération des enseignants mais aussi de tous les personnels au contact d'élèves (professeurs, Conseillers Principaux d’Education, personnels médico-sociaux…). Redonner confiance et permettre aux métiers de l'enseignement et de l'éducation de redevenir attractifs quand le nombre de démissions a triplé en dix ans, c’est aussi placer la question de la revalorisation des personnels au cœur des enjeux éducatifs.

 

•          Les enseignants sont des pédagogues :

La mainmise du ministre Blanquer sur la liberté pédagogique des enseignants via la diffusion de guides (« petits livres orange »), les réformes descendantes du ministre sans concertation ni consultation et plus récemment encore les assertions sous forme de menaces à peine déguisées au sujet de la laïcité resteront dans les mémoires comme autant de remises en cause de l’autonomie et des conceptions éducatives des enseignants.

 

Valoriser et mutualiser les projets pédagogiques innovants, donner du temps de concertation pour le travail en équipe, permettre les expérimentations, co-construire les réformes avec les personnels et leur donner du temps pour se les approprier au bénéfice des élèves : autant de pistes qui redonneront aux enseignants une légitimité pédagogique sans laquelle l’Ecole ne pourra sérieusement lutter contre les inégalités.

 

Réaffirmons avec force que pour que certains réussissent, il n’est pas nécessaire que d’autres échouent et que les inégalités ne sont pas une fatalité.

Une Ecole juste pour tous, exigeante pour chacun, une Ecole qui ne laisse personne au bord du chemin : telle doit être notre ambition collective.

 

C’est un immense défi : sachons le relever.

 

Yannick Trigance

Conseiller régional Ile-de-France

Secrétaire national PS Ecole, Education, Accès aux savoirs

 

 

Par fjarraud , le lundi 24 janvier 2022.

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