Un rapport parlementaire demande le droit à la déconnexion pour les enseignants 

"Le droit à la déconnexion, des enseignants comme de tout actif, est la condition d’une vie professionnelle et privée équilibrée". Présidée par Frédéric Reiss (LR) et animée par Béatrice Piron (LREM), la "Mission d'information sur le cadre juridique et statutaire de l'enseignement hybride ou à distance dans l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur" a remis son rapport le 19 janvier. Elle a abandonné l'idée de toucher au statut des enseignants même si elle  préconise une obligation de formation au numérique. Elle demande l'inscription dans les règlements intérieurs des école et établissements d'un droit à la déconnexion. Le rapport ne croit pas en l'installation durable de l'enseignement hybride dans les écoles et établissements. IL souhaite uniformiser les ENT et impliquer les enseignants dans la rédaction des plans de continuité pédagogique.

 

Un rapport qui change d'objectif

 

Curieuse évolution pour cette mission d'information présidée par Frédéric Reiss (LR) et animée par Béatrice Piron(LREM). L'idée de départ était d'étudier s'il faut inclure dans les obligations de service des enseignants de la formation hybride, dans un système éducatif qui resterait acquis à une forme d'hybridation.

 

Mais comme le reconnait la rapporteure, Béatrice Piron (LREM), personne ne considère plus que l'hybridation doive s'installer dans le système éducatif. L'épisode du confinement et ses suites est présenté comme exceptionnel. Et tout le monde souhaite le retour à l'enseignement en présentiel. Comme le souligne la rapporteure, personne, pas même l'administration, ne veut de modification du statut. La Mission a donc du changer de cap. Et le rapport, censé dessiner un grand bond en avant dans le distanciel éducatif, réduire ses ambitions.

 

Pour le rapport les obligations des enseignants sont déjà définies dans des textes ministériels qui les charge de préserver le lien pédagogique à distance et de maintenir les contacts avec les élèves. Ils restent responsables de leur pédagogie et de leur enseignement.

 

Notons quand même que ce changement de cap a laissé des traces. Les rapporteurs, comme l'administration, restent tentés par l'enseignement à distance pour boucher les trous de la carte scolaire. Sous prétexte que "c'est mieux que rien", un enseignement à distance de spécialités rares par exemple reste bienvenu. Cette idée est aussi soutenue par l'administration. Ainsi le ministère a fait passer récemment un décret permettant aux AED de faire des heures supplémentaires pour encadrer des séances d'enseignement à distance. Les rapporteurs trouvent aussi normal qu'un enseignement arrêté comme cas de covid puisse enseigner à distance à ses élèves, là aussi avec l'aide d'unAED pour surveiller les élèves.

 

" S’il apparaît que personne, pour des raisons diverses et complémentaires, ne souhaite finalement que des évolutions majeures soient apportées au cadre juridique et statutaire des enseignants, il n’en reste pas moins, aux yeux de la rapporteure, que certaines recommandations pourraient être apportées et que cette crise doit être l’opportunité de reprendre le chantier du service public du numérique éducatif", écrit la rapporteure.

 

Une lecture de la crise qui met l'accent sur la formation et l'équipement

 

Le rapport revient sur la crise qu'a connu le numérique éducatif lors du premier confinement. Pour B Piron, la responsabilité en revient au plan Hollande qui n'a pas assez investi dans la formation des enseignants ce qui fait que les enseignants français étaient moins bien préparés que les autres au basculement dans le distanciel. Le rapport dénonce une "articulation insuffisante entre l’État et les collectivités territoriales" en ce qui concerne les équipements avec de fortes inégalités entre collectivités territoriales.

 

Sur le choc du premier confinement, le rapport dresse des lauriers au ministère et énumère les quelques circulaires hors sol qui sont parues surtout avant la fermeture mais trop tard pour avoir un impact. La réalité fut toute autre comme l'a montré un excellent numéro d'Administration & éducation. " Le radeau de la Méduse c'est quand les fonctionnaires de l'Education nationale ont vu leur administration s'éloigner au loin et l'Ecole menacée de couler. Rappelons nous ces premiers jours qui ont suivi le 12 mars et l'annonce de la fermeture des écoles alors que le ministre avait affirmé le contraire. Si certains Dasen sont restés fidèles au poste, d'autres disparaissent jusqu'au mois de mai. L'administration ne fonctionnant plus c'est par les chaines d'actualité que des informations passent. Les enseignants découvrent "le caractère inopérant des outils.. du fait de la volonté dogmatique d’imposer les outils nationaux". Le rapport mentionne les plans de continuité pédagogique rendus obligatoires par leministère tout en reconnaissant qu'ils sont peu connus du terrain.

 

Pour le rapport les problèmes rencontrés par les enseignants sont de sproblèmes de formation et de bon fonctionnement des outils. Un exemple intéressant est donné dans le slycées 4.0 du Grand Est. " L’éloignement des enseignants par rapport au numérique est parfois telle que lors du déplacement de la mission dans le Grand-Est pour s’informer sur l’expérimentation en cours des « Lycées 4.0 », il est apparu que les enseignants de ces établissements, que l’on pourrait a priori supposer plus sensibilisés à ces problématiques – d’autant que le projet a été initié fin 2016 –, ont également indiqué ne pas avoir été prêts au moment du premier confinement : alors même que dans le cadre de cette expérimentation tous les lycéens sont équipés d’un ordinateur personnel, les enseignants indiquent avoir dû faire face comme ils l’ont pu avec des outils mal maîtrisés, que la plateforme du CNED, par exemple, à laquelle renvoie la circulaire du 28 février 2020, leur était inconnue et n’avait jamais été utilisée. Personne n’était prêt et, là comme ailleurs, c’est la « débrouille » qui a prévalu dans un premier temps."

 

" Pour nombre de chercheurs, « l’Éducation nationale, en tant qu’institution, n’était pas du tout préparée à ce fait social total numérique qu’a été le confinement", poursuit le rapport. "Depuis quarante ans, malgré la succession des plans, le numérique s’articule encore mal avec l’univers scolaire. Au-delà des difficultés matérielles, des difficultés de connexion, ce sont surtout des difficultés de pratique du numérique pédagogique qui ont été dévoilées par le confinement articulées avec des expériences préalables et des capitaux culturels numériques très inégaux chez les enseignants".

 

Une obligation de formation pour les professeurs mais pas pour le ministère...

 

Les recommandations du rapport reflètent son changement d'objectif et , dans la suite, un certain manque d'ambition.

 

Pour la formation des enseignants, les rapporteurs demandent une "obligation statutaire de formation au numérique éducatif intégrant l'utilisation des ENT". C'est comme si l'obstacle était le peu d'enthousiasme des enseignants à se former. La réalité est toute autre comme le montre l'enquête Talis de l'OCDE. Les enseignants français sont à la fois ceux qui ont un regard le plus négatif sur les formations qu'on leur propose et qui émettent le plus d'attentes pour des formations où le numérique a sa part. Si le numérique , selon le rapport, n'a pas sa juste place en formation initiale, le vrai problème de la formation continue c'est d'être une variable d'ajustement budgétaire. L'obligation serait plus utile si elle était adressée au ministère et non aux enseignants...

 

Généraliser les ENT dès le primaire

 

Le rapport veut éviter le blackout des outils pédagogiques comme on l'a connu en mars 2020. Pour cela il préconise la généralisation des ENT, du primaire au lycée. Le rapport ne demande pas un ENT unique mais une uniformisation des fonctions des ENT, autrement dit un cadrage très étroit du cahier des charges. Evidemment cela pose la question du financement des ENT dans le premier degré. Même si ce marché est en plein développement, la plupart des communes n'ont ni la volonté ni les moyens de payer ces services. On voit pas comment on pourrait imposer cette généralisation sauf à remettre en cause les compétences communales.

 

Le rapport demande aussi "des tests de montée en charge des ENT" pour être sur qu'ils ne sautent pas en cas de confinement. La rapporteure souhaiterait des tests aussi pour tous les outils utilisés dans les établissements. Par exemple elle a constaté que dans le Grand Est des établissements 4.0 n'ont pas une bande passante suffisante pour multiplier les cours en visioconférence. Le rapport demande un" inventaire des moyens et outils des établissements à destination des enseignants, notamment des capacités de charge et de connexion".

 

Toujours contre les couacs du premier confinement, le rapport demande un téléphone professionnel pour les chefs d'établissement et les directeurs d'école. La mesure toucherait donc plutôt ceux-ci. Pour les enseignants, il demande simplement une boite mail professionnelle fonctionnelle pour que les enseignants n'utilisent pas d'adresse privée.

 

Installer le droit à la déconnexion

 

Finalement la principale idée neuve de ce rapport c'est " rappeler les principes et conditions d’exercice du droit à la déconnexion dans le règlement intérieur des établissements" et "inclure une charte des bons usages au sein du règlement intérieur des établissements scolaires réitérant notamment les dispositions de la circulaire de 2004 relatives à la responsabilisation des utilisateurs des outils du numérique éducatif".

 

Le rapport revient sur "les sollicitations très nombreuses sollicitations très nombreuses de la part des élèves et des familles que les enseignants ont subies sur leurs messageries et téléphones privés, et bien au-delà, fréquemment, des horaires normaux de service" durant le premier confinement. D'où l'idée de rappeler le droit à la déconnexion qui "doit être garanti par l'administration.

 

" Rien ne semble faire obstacle à ce que le règlement intérieur des établissements scolaires décline les principes posés dans l’accord du 13 juillet 2021. Préparé par les chefs d’établissement en concertation avec les autres membres de la communauté éducative – représentants des personnels, des élèves et des parents d’élèves – adopté en conseil d’administration et ensuite signé par chaque parent et par chaque élève, le règlement intérieur pourrait inclure systématiquement des dispositions relatives aux conditions d’exercice à distance des enseignants et encadrer précisément les conditions et modalités de contact et de relation des élèves et de leurs parents avec les professeurs, en indiquant par exemple quand et de quelle manière ils sont joignables, et ce qu’il est attendu ou exigible de leur part" précise le rapport qui en fait une de ses recommandations.

 

Impasses pédagogiques et sociales

 

En conclusion, le rapport " invite au lancement par le ministère d’une large concertation avec l’ensemble des parties prenantes, qui devra se concrétiser par l’élaboration d’une stratégie nationale du numérique éducatif. Elle sera destinée à mettre en oeuvre l’ambition définie par le législateur en 2013 en instituant le service public du numérique éducatif." Les relations entre collectivités locales et Etat sont au coeur de cette concertation.

 

Si ce rapport est documenté et intéressant par bien des points, on peut regretter les impasses sur le plan pédagogique et social.

 

On n'y trouvera pas de réflexion sur les apports du numérique pour l'enseignement. Ceux ci sont proclamés positifs mais c'est tout. Les rapporteurs ont par exemple été impressionnés par le dispositif d'enseignement à distance synchrone HySy. Ils ne voient pas qu'il est loin d'être une panacée et qu'il ne convient qu'aux élèves les plus adaptés à l'école traditionnelle, autrement dit les plus favorisés. Pour les autres il est une autoroute vers le décrochage.

 

Le rapport fait l'impasse sur les élèves et les familles sauf à dire qu'imposer des ENT au primaire permettrait d'amener toutes les familles à se familiariser avec les outils numériques. Mais ce qu'a révélé le confinement c'est l'ampleur de la fracture numérique et les formes variées qu'elle peut prendre. La fracture est matérielle, résidentielle mais aussi culturelle dans le rapport aux enseignements. On pourra par exemple se reporter à cet article de R Delès ou à cette réflexion de B Devauchelle.

 

François Jarraud

 

Le rapport (que nous nous sommes procuré) sera publié à cette adresse

 

 

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 20 janvier 2022.

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