Claire Lommé : Travailler l'implicite  

"Travailler ces supports a selon moi des avantages spécifiques : étudier des documents manifestement datés, mais pas trop, s’appuyer sur l’illustration, voir les maths sous un aspect utilitaire parfois périmé mais transposable, et, surtout, devoir décoder. C’est ce qui fait pour moi la force de ces cartes : leurs énoncés sont terriblement chargés d’implicite. Peut-être est-ce dû au décalage d’époque, mais les mots de la consigne (mots d’époque, évidemment) ne sont parfois pas les mêmes d’une question à l’autre alors qu’ils désignent la même chose". Claire Lommé présente une pratique de classe : les problèmes de Mamie...

 

Les problèmes par l'image

 

En ce moment, je travaille sur les problèmes de « la boîte à Mamie ». Un de mes élèves les a  nommés ainsi il y a deux ans. Et j’ai gardé l’appellation. Il s’agit en fait des Problèmes par l’image, édités chez Studia, conçus par messieurs Beugin et Winkopp. Ils datent des années 50-60, ce qui en effet correspond à peu près à la génération des grands-parents de mes élèves.

 

J’ai quatre boîtes à Mamie, jusqu’ici. Il m’en manque encore au moins deux, que je cherche, sans succès. Cela me fournit déjà une bonne base de problèmes, chacun sous forme d’une carte avec une illustration et très peu de texte, du CP à la sixième ; quelques cartes sont utilisables en cinquième, en particulier dans le domaine des pourcentages et des calculs de volumes.

 

Mes cartes, je les ai photocopiées, plastifiées, catégorisées, j’ai collé dessus de petites pastilles de couleurs qui me permettent de trouver ce que je cherche même en cas d’urgence, et j’en dégoupille lorsque je veux faire de la recherche de problème en différenciant : les cartes sont de niveaux variés et même si je veux faire travailler les élèves à un même domaine, voire à une même compétence ou une même notion, c’est assez simple. Une fois la phase de recherche et de mise en forme terminée, je ramasse le travail des différents groupes, sous forme d’affiche ou d’enregistrement audio. Plus tard dans la semaine j’organise une restitution-synthèse avec présentation par les élèves de démarches transposables dans d’autres contextes, et ensuite j’expose les problèmes pour que les élèves identifient la raison pour laquelle j’ai choisi ceux-là : qu’y a-t-il en commun, quels objectifs avais-je, quelles différences y a-t-il entre ces situations ?

 

Travailler l'implicite

 

C’est une activité que j’aime beaucoup : comme dans toute recherche de problème, elle permet de travailler toutes les compétences institutionnelles ou presque, de modifier favorablement le rapport à l’erreur (les essais sont nécessaires, les erreurs font avancer), de développer le répertoire de gestes de recherche des élèves (« oui, tu as le droit » est sans doute la réponse que je prononce le plus souvent lors de la première séance de recherche ; le droit de manipuler, simplifier, imaginer, dessiner, …), d’apprendre à travailler ensemble efficacement, d’avoir accès à des types de raisonnements auxquels on n’aurait pas pensé tout seul, de progresser dans les capacités de communication verbale et écrite.

 

Travailler ces supports précisément a selon moi des avantages spécifiques : étudier des documents manifestement datés, mais pas trop, s’appuyer sur l’illustration, voir les maths sous un aspect utilitaire parfois périmé mais transposable, et, surtout, devoir décoder. C’est ce qui fait pour moi la force de ces cartes : leurs énoncés sont terriblement chargés d’implicite. Peut-être est-ce dû au décalage d’époque, mais les mots de la consigne (mots d’époque, évidemment) ne sont parfois pas les mêmes d’une question à l’autre alors qu’ils désignent la même chose. Il manque des précisions indispensables (on parle d’un carreau de carrelage mais on ne précise pas qu’il est carré, par exemple ; c’est peut-être évident concrètement, mais il faut l’expliciter). Et de là où je suis, c’est top.

 

Vous me direz : « ah tu dois être contente, les manuels regorgent d’énoncés imprécis et de consignes bancales ; pourquoi vas-tu t’embêter à chercher des problèmes des années 50 ??? » Question pertinente, en effet. Mais j’ai une réponse : je chasse les implicites de consignes des exercices que je propose en classe. Mais pas là. Là, cet implicite, et l’étrangeté pour des élèves du vocabulaire utilisé, est en grande partie dû au décalage d’époque. Et cela me donne un argument pour justifier de ces difficultés : les élèves acceptent de passer par une phase de décodage, un peu comme lorsque nous traitons un exercice en anglais ou en Russe, ou que nous lisons des nombres gravés sur une pyramide égyptienne. Ils vont chercher le sens des mots, relever ce qui n’est pas clair, et ensuite nous en discutons tous ensemble en verbalisant les indices, les conjectures, les conclusions auxquelles nous avons abouti. Là où l’implicite les bloque sur une consigne actuelle, ils enquêtent sur les problèmes de la boîte à Mamie. Et plus tard, je pourrai remobiliser ces compétences sur les consignes qui leur semblent peu claires en général. Ces problèmes donnent le droit de ne pas comprendre la consigne naturellement. C’est leur superpouvoir.

 

Des exemples

 

Un exemple ? Mais bien volontiers. Plaçons-nous au niveau sixième.

Question 1, à partir de cette illustration : de combien de longueur de circuit dispose chaque convive ? Ça tape, non ? Et pour moi c’est extra : je remobilise le vocabulaire du disque, les notions d’aire et de périmètre, le calcul du périmètre, le nombre π (et donc nous réactivons avec entrain entiers, fractions et décimaux), la division…




Allez, question suivante :

 

 

Question 2 : combien de personnes pourront prendre place autour de la table ainsi agrandie ?

Alors heuuuuu attendez je réfléchis. Est-ce la même table que dans la première question ? Dans ce cas, doit-on prévoir la même « longueur de table » pour chacun ? Ou alors non, c’est une autre table, et le dessin est à l’échelle pour que je mesure le diamètre des parties circulaires ? Et alors comment décider combien de personnes placer ? Il y a des règles, là-dessus ? Mes élèves ont fait l’essai : ils se sont placés côte à côte avec assez d’espace pour manger à l’aise, et un autre a mesuré. Nous avons donc plusieurs façons de résoudre le problème, selon ce qu’on en comprend. Est-ce grave ? Non, à partir du moment où j’insiste assez pour que les élèves ne pensent pas que « les problèmes, c’est n’importe quoi ».

 

La dernière question est celle-ci :

Question 3 : de quelle longueur de pourtour disposeront-elles chacune ? Ah, voilà qui donne une indication sur la façon dont il faut comprendre la question 2…

 

Claire Lommé

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 18 janvier 2022.

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