Ismael Cariz : Un instit à l’hôpital 

Ismael Cariz partage son quotidien partage avec des enfants, qui, quoique malades ou encore accidentés, sont heureux d’aller à l’école. Il est professeur des écoles spécialisé en milieu hospitalier. Un poste très peu connu. Mais qui concerne aujourd’hui 800 enseignants, premier et second degrés confondus, pour une dizaine de milliers d’enfants hospitalisés. Un métier pour lequel il éprouve "un coup de foudre pédagogique" et qui lui révèle quel type d'enseignant il veut être...

 

 Ismael Cariz a grandi dans un quartier populaire du Val de Marne (94).  « Particulièrement faible en orthographe » comme il l’explique, il ne s’imaginait pas devenir enseignant un jour. « J’ai toujours su que je voulais travailler dans un domaine avec un volant social, si possible jamais dans un bureau, sans trop savoir ce que je voulais faire pour autant. Lycéen et étudiant, j'ai multiplié les petits boulots l'été, pendant les vacances scolaires, et ensuite au cours de l'année. J'ai vite compris que je ne voulais pas consacrer ma vie à bosser à l'usine, ni à faire de la vente. L’idée de devenir éducateur spécialisé, auprès des jeunes en difficulté, m’a traversée l'esprit. Mais finalement, je me suis dirigé vers l'enseignement. Pourtant je n'ai jamais aimé notre système éducatif, en tout cas, depuis que j'ai pris conscience des inégalités entre les milieux défavorisés et les milieux privilégiés mais je me suis dit que si je voulais être critique sur l’école autant que je sois légitime ».

 

Parachuté dans l’enseignement spécialisé

 

Lauréat du concours de professeur des écoles en 2013, il intègre l'école Jean Jaurès à Champigny sur une classe de CM1. « Dès mon année de stage j'ai été confronté au handicap avec quelques-uns de mes élèves. Mais le tournant majeur fut l'année de T1 (ndlr : titulaire première année), lorsque j'ai été nommé remplaçant ASH - handicap, poste qui n'apparaissait absolument pas dans mes vœux. À la suite d’une formation d'une semaine, pendant laquelle on nous a laissé choisir entre nous les postes - scène incroyable à vivre - j'ai finalement atterri au collège Dulcie en ULIS option D – élèves en situation de handicap ». Ismael y découvre alors les PE au collège :  SEGPA et ULIS mais aussi l'autisme, la dyslexie, la dyspraxie… « J'ai été marqué par ma difficulté à affronter des situations sociales dramatiques mais j'ai appris à créer des barrières mentales, pour ne pas me laisser trop affecter par ces situations ».

 

Coup de foudre pédagogique

 

L'année suivante, Ismael se retrouve dans une ULIS option C à l’école des Guiblets de Créteil, « remplacement qu'on m'a spécialement proposé parce que "vous avez déjà travaillé dans le spécialisé". Je me souviens avoir trouvé cet argument incroyable. Je ne connaissais pas l'option C, troubles moteurs avec difficultés d'apprentissages associées. Je n'avais jamais mis les pieds dans une ULIS élémentaire, jamais géré les inclusions au sein d'une école de 10 classes, jamais géré les transports des élèves, ni les ESS … Et pourtant, ce fut mon coup de foudre pédagogique. J'ai travaillé au sein d'une équipe incroyable qui m'a beaucoup appris, beaucoup apporté. Certes, nos élèves sont des enfants en grande difficulté motrice, mais ils ont une telle énergie, une telle joie d'être élève, de venir à l'école. Je me souviens de la première matinée, j'avais la boule au ventre puis j'ai vu nos élèves arriver dans ce couloir rénové, en K-walker, en fauteuils électriques ou manuels, des enfants qui marchaient avec difficulté, mais le sourire aux lèvres, exprimant la joie de se retrouver entre copains, de retrouver les enseignants ». Cette expérience, Ismael la qualifie de révélatrice de quel type d’enseignant il voulait être. « J'ai commencé à comprendre certains aspects de la pédagogie que je n'avais pas eu le temps d'intellectualiser. J'ai dû comprendre pourquoi mes élèves n'arrivaient pas à comprendre les leçons dans le format habituel et dû composer en conséquence. Manipulation est devenu le maître mot de ma démarche pédagogique ».

 

Une école dans l’hôpital

 

L’année suivante, Ismael faisait partie des trois enseignants qui ont pu bénéficier de la dernière formation CAPA SH (ndlr : spécialisation). En septembre 2016, il atterrit sur un poste de PE à l’Unité d'Enseignement du centre de rééducation des hôpitaux de saint Maurice sur une classe de MS/GS. Quatre classes de maternelle, quatre d'élémentaire. Cinq enseignants. L’une des plus grosses structures hospitalières d’Ile de France. 150 enfants y sont scolarisés, enfants qui sont à l'hôpital pour suivre des rééducations plus ou moins longues - de 3 mois, à plusieurs années, pour différentes raisons, suites à différentes pathologies. Il y existe trois grands services de rééducations - un service pour les maladies neuro congénitales, un service orthopédique, et un service pour les lésions cérébrales acquises - qui ont chacun leurs particularités, des chefs de services, des équipes pluridisciplinaires, des médecins différents et qui suivent une cinquantaine de patients chacun.

 

« Nous les accueillons presque tous dans nos classes de 5 à 9 élèves et par petits groupes. Ils sont présents prioritairement pour mener leurs rééducations, et nous, enseignants, sommes présents afin d'assurer une continuité pédagogique, et également pour apporter nos observations lors des équipes de suivi de la scolarisation, pour les aiguiller au mieux dans les établissements qui leur correspondent le mieux.

 

Pourtant, Ismael a une « vraie classe », avec des projets, des apprentissages, adaptés mais tout de même suffisant pour permettre le passage dans le niveau supérieur « Pour ceux qui sont davantage en difficulté motrice, et qui ont des troubles d'apprentissages trop importants, ils bénéficient souvent de plus d'heures d'école ici qu'ils n'en auraient en IEM ou IME. Les enfants qui le peuvent ont souvent au moins 15 heures d'école. Aller à l'école est la normalité pour eux. Nous, nous avons tendance à reproduire l'école que nous connaissons, avec les adaptations en plus. Les couloirs qui sont dédiés aux écoles ressemblent donc beaucoup à une école. Mais il suffit d'assister aux staffs menés par les médecins - 1 fois par semaine pour chaque service, ou de se balader dans les chambres, pour se rappeler qu'on est à l'hôpital… »

 

Une classe un peu comme les autres finalement…

 

Dans sa classe de MS/GS, les élèves d’Ismael ont entre quatre et sept ans. Certains issus du service neuro congénital - nés avec un handicap, ou le sont devenus étant bébé - et d’autres du service des lésions cérébrales acquises. « En gros, certains n'ont pas de difficultés d'apprentissages trop importants, voir le contraire dans certains domaines, mais sont très peu autonomes. Et les autres bougent plus, mais rencontrent des difficultés d'apprentissages importantes et sont parasités dans leurs mouvements, ce qui ne les rend pas plus autonomes pour les apprentissages ». L’enseignant alterne entre ateliers autonomes, qu'ils choisissent librement et avec lesquels ils travaillent différents domaines pédagogiques, et des temps collectifs. « Nous partageons également plusieurs moments avec l'autre classe de MS/GS, et la classe adaptée, pour faire du sport, des jeux de société, la chorale, mais également avec les PS/MS pour des temps de lecture, ou pour des projets exceptionnels, comme pour partager le résultat d'une recette, ou pour des spectacles ».

 

École, hôpital, deux institutions qui souffrent du manque de moyens

 

L’une des grosses particularités de l’enseignement en milieu hospitalier est bien la place prédominante du domaine médical, comme l’explique Ismael. « Il m’a fallu m'habituer à travailler avec plusieurs équipes pluridisciplinaires, à des équipes plus grandes et avec les médecins qui prennent les décisions médicales, et parfois d'orientation ».

 

Des enfants malades, Ismael en a rencontré beaucoup, pour autant, il ne s’y habitue toujours pas. « En gros pour travailler à l'hôpital, il faut se sentir capable d'accompagner dans les apprentissages des enfants qui vivent, très souvent, des vies particulièrement tristes et/ou dures. Et s'ils dépendent de nous, c'est souvent, qu'en plus d'être en fauteuil, ou de souffrir de maladies diverses, ils sont fatigables, et souffrent donc de troubles de l'attention. Et, il y a quand même le spectre de la mort, de la maladie qui n'est jamais très loin : les opérations, les accidents graves, maladies… »

 

Ismael, désabusé, songe à quitter sa fonction à court terme. « C’est dur. Parfois plus qu'à d'autres moments. Le manque de moyens me choque, me fatigue. Selon moi, il y a trop peu d'investissements matériels et humains pour nous permettre d’effectuer notre travail correctement. Et puis, enseigner à l’hôpital c’est être à la croisée de deux institutions – même si chacun fonctionne selon ses prérogatives. Et ces deux institutions se meurent faute d’investissements des différents gouvernements. De manière générale, je ne supporte plus d'être traité comme ils le font... »

 

L’hôpital, l’école, deux institutions cruciales de notre pays se meurent faute d’investissement. Les enseignants exerçant à l’hôpital souffrent de ce double délaissement de nos politiques. A quand un recentrage des moyens sur ces deux piliers de notre pays ?

 

Lilia Ben Hamouda

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 12 janvier 2022.

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