Des professeur.e.s des écoles épuisé.e.s  

Épuisés, oui les profs sont épuisés. En cette fin d’année, à dix jours des vacances scolaires, les enseignants et enseignantes n’en peuvent plus. Pas de cette fatigue habituelle liée à l’excitation des enfants avant Noël. Non une fatigue plus profonde. Pourtant, ils et elles tiennent le cap, « pas pour l’institution, vraiment car si cela ne tenait qu’à cela, cela fait des semaines que je serais arrêtée. Mais pour les enfants, nos élèves. Eux on y tient alors on essaie malgré tout… » explique Lilou, directrice d’une école maternelle de Seine-Saint-Denis qui témoigne sous pseudonyme par crainte de sa hiérarchie. Un ras-le-bol qui cache surtout un mal-être dont témoignent aussi Mme Maïs, Sandrine et Christelle. Toutes sous pseudo par volonté de garder l’anonymat.

 

Madame Maïs : Des mesures qui créent de la tension dans les écoles

 

Madame Maïs, les utilisateurs de Twitter la connaissent bien. Enseignante en CE2 à Paris, elle partage des tranches de vie de sa classe avec ses milliers d’abonnés. Elle partage aussi son ras-le-bol quant au manque de considération pour le monde enseignant. Et cette période est dure pour la jeune enseignante. « On a commencé l’année normalement, on a recommencé à monter des projets, à organiser des choses… et là, nouvelle vague et rebelote. On a l’impression qu’on en voit plus le bout de cette crise sanitaire ». Dans son école de 17 classes, cinq classes ont déjà fermé à cause du Covid. Aujourd’hui, avec le nouveau protocole, plus de classes fermées, les élèves sont absents et concrètement, cela signifie pour les enseignantes et enseignants, faire classe en présentiel et en distanciel. « Je travaille en REP, mes élèves ne sont pas équipés. Alors lorsqu’ils sont absents, je prépare des enveloppes d’activités que les parents ou des proches viennent chercher. Puis je leur demande de me les déposer dans la mesure du possible. J’envoie aussi des mails, j’essaie de faire en sorte de ne pas les perdre ». Même avec la meilleure volonté du monde, Mme Maïs, comme les autres enseignants et enseignantes, a du mal à mener de front les deux dispositifs d’enseignement.

 

Du côté de la gestion de la situation par l’institution. Là aussi, c’est la colère qui domine. « Le problème, c’est qu’on a un gouvernement qui n’anticipe rien – contrairement à d’autres pays qui sont proactifs et dans des mesures d’endiguement. On a l’impression qu’ils sont dans la réaction permanente. Comme leur dernier protocole. C’est une vaste blague. À part la piscine, mettre le masque dans la cour de récréation. Sérieusement, ils savent ce que c’est qu’une cour de récré ? C’est impossible de fliquer tous les élèves – et pour un effet dont on ne sait même pas s’il est pertinent. Les réponses proposées pour faire face à la crise sont inappropriées. On dirait qu’ils n’ont rien appris de ces deux dernières années ».

 

Autre objet d’irritation : la communication du ministère. « On a un Ministre qui pérore que tout va bien, que tout est très bien géré alors que c’est faux. Sur le terrain, les enseignants et surtout les directeurs et directrices sont débordés. Celui de mon école a passé trente heures la semaine dernière à gérer la situation Covid, tout cela en plus de son travail habituel. C’est délirant ».

 

Et tout cela engendre de l’épuisement qui impacte la qualité des relations selon Mme Maïs. Des relations entre enseignants mais aussi des relations avec les parents. « On sait que certains parents ne jouent pas le jeu et ne font pas tester leur enfant, des parents qui ne veulent et ne peuvent pas garder leur enfant – et je les comprends, mais le résultat, c’est la flambée des cas dans l’école. On a l’impression qu’ils pensent qu’on ne veut pas travailler mais nous on rêve de revenir à une vie normale, on rêve d’avoir tous nos élèves et de faire classe normalement… »

 

Lilou : Tenir pour les élèves

 

Lilou, cela fait plus de trente ans qu’elle enseigne. Toujours en Seine-Saint-Denis, toujours en REP. Et cette année, pour la première fois, elle en a vraiment « ras-le-bol ». « Je suis déchargée deux jours par semaine, les deux autres jours, je suis sensée enseigner à mes élèves de petite section. Je dis bien sensée, car dans les faits, je passe au moins une heure trente tous les matins à gérer des urgences de l’école ces dernières semaines. Je me sens épuisée, je me sens maltraitante pour mes élèves qui ne bénéficient plus de mon enseignement. Et puis après, je me dis, « zut alors, dois-je vraiment culpabiliser ? suis-je vraiment responsable ou est-ce l’institution qui devrait culpabiliser ? » ». Depuis les retours des vacances d’octobre, les cas de Covid ont flambé dans l’école. Cinq cas avérés, des élèves absents plusieurs jours qui se révèlent malades avec des symptômes ressemblant fortement à ceux du Covid mais qui ne sont pas testés pour x raisons… Lilou passe donc une partie de sa journée à contacter les parents des enfants absents et les autres lorsque cela nécessaire. Un travail loin de celui pour lequel elle a signé…

 

Sandrine : Quitter l’enseignement pour ne plus cautionner

 

Même son de cloche du côté de Sandrine, enseignante dans une classe de CP du sud-ouest. Après vingt ans d’exercice, elle cherche très sérieusement une porte de sortie, « mais ce n’est pas facile de quitter l’éducation nationale pour faire autre chose ». Pourtant, ses élèves, Christelle les aime et c’est justement ce qui justifie son envie d’arrêter. « Je ne peux plus, je n’en peux vraiment plus. Je ne veux plus cautionner ce que l’on fait à toute ces générations d’enfants. Nos élèves vivent dans le dénouement qu’il soit culturel, social ou économique. La semaine passée, un de mes élèves n’est pas venu à l’école car sa chaussure, qui était tombée par la fenêtre, était trempée, et comme il n’en a qu’une paire… Nos élèves ont été abandonnés par la République, c’est ça la réalité. On fait culpabiliser les parents, les enseignants, parfois même les enfants et ceux qui devraient culpabiliser, ceux qui devraient avoir honte, s’en sortent à merveille avec des effets de manches qui me donnent envie de vomir ». Tous les soirs, Christelle pleure. Lors de notre entretien, elle s’est aussi effondrée. Son épuisement, son mal-être est palpable. « Ça allait déjà mal avant la pandémie, mais le Covid, c’est la cerise sur le gâteau. J’enseigne à des élèves de CP, on me demande de garder le masque toute la journée, de leur faire garder le masque. Mais je n’y arrive pas, je préfère prendre le risque »

 

Christelle : Des injonctions, pas d'accompagnement

 

En Occitanie, les élèves de Christelle, en CE1, ont vécu le confinement en GS ou CP, et il y a des traces selon l’enseignante. « Il y a encore plus d'enfants en difficulté que les autres années, des enfants globalement très immatures, des capacités motrices très en-dessous de ce qu'on voyait avant ... Mais face à ça, aucune modification des programmes, aucun aménagement, au contraire, une pression pour qu'on redresse la barre le plus vite possible. Par exemple, on s'est fait taper sur les doigts l'année dernière parce que notre école avait les plus mauvais résultats du département aux évaluations nationales. Nous sommes donc pris en étau entre le niveau réel, les besoins des enfants d'un côté et les exigences des programmes et les inquiétudes des parents sur le retard pris de l'autre. S'ajoutent à ça les au moins 45 minutes quotidiennes de lavages de mains - avec 24 élèves encore petits et 4 robinets... - qui impactent encore lourdement le temps de travail ».

 

Christelle évoque aussi la condition des directeurs et directrices qu’elle estime sous pression par la hiérarchie. « Certains reportent cette pression sur les collègues ou font des erreurs parce que débordés, et ces erreurs impactent le fonctionnement de l'école ».

 

Quant aux différentes annonces ministérielles, elles les qualifient « d’injonctions paradoxales, irréalisables et épuisantes ». « On nous interdit de brasser les élèves mais sans nous proposer d'autres solutions quand une collègue est absente parce qu'il n'y a plus de remplaçants. On a toujours mauvaise conscience, on est inquiètes en permanence d'être prises en défaut. L'épuisement vient d'avoir l'impression de ne rien faire bien alors qu'on nous demande en fait de vider l'océan à la petite cuillère... ».

 

L’école va mal, les enseignants et enseignantes vont mal. Pourtant selon le Ministre, tout est sous contrôle. Il serait vraiment temps qu’il prenne attache auprès du terrain pour prendre connaissance de la réalité qui s’y vit…

 

Lilia Ben Hamouda

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 08 décembre 2021.

Commentaires

  • Gok35, le 08/12/2021 à 09:04
    Merci pour cet article.
    Je suis enseignant et chef d'établissement dans une école primaire privée sous contrat. Croyez-moi, la pression professionnelle est telle que vous la décrivez. Les enseignants absents que l'on ne peut pas remplacer, les enfants positifs et les tableaux qu'il faut remplir quasi quotidiennement...et le pire dans tout cela, les enfants qui reviennent au "compte goutte" et qu'il faut renvoyer chez eux dés que trois cas apparaissent dans une classe. Les parents sont furieux et de leur côté les enseignants peuvent difficilement mettre en place des apprentissages dans une classe qui ressemble à un moulin.
    Malgré tout, les injonctions du notre hiérarchie continuent comme si de rien: la carte scolaire, le mouvement de l'emploi et j'en passe et des meilleurs.
    Ma vie personnelle est maintenant impactée, comme jamais. Mes proches en ont assez de l'école et de ses problématiques insolubles qui me réveillent la nuit.
    J'imagine ne pas être le seul dans cette tempête, à bord d'un navire piloté par un capitaine qui se moque éperdument de nos états d'âme. Nous aurons droit bientôt à une petite vidéo de fin d'année: "mes chères amis, tout d'abord je tiens à vous remercier pour votre implication et...."devrait-il ajouter: "pour votre obéissance". Mais jusqu'à quand allons-nous obéir? Le bateau coule!
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