Le film de la semaine : « Soul Kids » de Hugo Sobelman 

Aux rabat-joie mettant en cause le pouvoir émancipateur de l’enseignement musical, « Soul Kids », premier long métrage documentaire de Hugo Sobelman, oppose la vision éclairante, et touchante, d’une école dédiée créée à Memphis en 2000. Dans une des villes du Sud des Etats-Unis les plus pauvres, la Stax Music Academy, établissement gratuit et extrascolaire, accueille chaque année une centaine d’adolescents afro-américains sur les chemins de l’apprentissage de l’écriture et de la composition, nourris par l’héritage du label légendaire des années soixante, Stax Records, ‘bande-son’ mythique de la lutte des Noirs pour les droits civiques. Le jeune réalisateur français choisit une immersion empathique aux côtés de ces étudiants passionnés et laisse hors champ le contexte de violence et de misère du quotidien. Finement monté, le documentaire parvient cependant à inscrire la pratique de la musique  dans l’histoire, celle du lieu de naissance du Blues, de la Soul et du Rock, celle des luttes noires américaines pour l’égalité. Et « Soul Kids », sous une forme à la fois intime et chorale, nous donne à voir et à entendre l’accès à l’estime et à la construction de soi chez des élèves motivés. Et nous saisissons avec plaisir et intelligence l’épanouissement individuel et collectif d’une nouvelle génération tournée vers un avenir voué, émotionnellement et professionnellement, à la musique, loin de ‘la solitude des champs de coton’.

 

Immersion au cœur du travail musical en cours

 

Premières impressions de foisonnement sonore, mélange de voix, morceaux de chants et d’airs variés, parfois identifiables comme des standards du patrimoine mondial de la musique, portant en partie les traces de ses origines et influences noires américaines. Un joyeux cocktail émanant des répétitions en groupe, en duo, en solo ‘a capella’ des différents adolescents afro-américains en plein travail d’apprentissage : reprises d’airs connus, tentatives d’écriture de chansons et de compositions. De temps à autre, nous entendons souvent hors-champ conseils et encouragements des professeurs, formulés avec pertinence et bienveillance.

 

Peu à peu affleurent consciemment ou non dans les choix et les thèmes des airs entendus les souffrances et les joies, la traduction vivante, énergique, de leurs révoltes, de leurs espoirs, et surtout de leurs envies d’aimer et d’être aimés.

 

Une grande liberté se dégage de cette classe peu ordinaire : seuls à l’écran cadrés souvent en gros plan dans leurs tâtonnements, ces jeunes passionnés par la Soul, élevés dans l’amour du Gospel jusqu’à leur goût pour le Rap, ne paraissent pas gênés par la camera intrusive du jeune réalisateur blanc (et fan de Hip Hop selon ses dires), Hugo Sobelman.

 

Cette rencontre réussie est en fait le fruit d’un long processus préliminaire au tournage. Sobelman a déjà effectué un grand voyage ‘musical’ à travers les Etats-Unis et en a rapporté des images qui ont convaincu les producteurs contactés de lui faire confiance pour cette plongée documentaire  au cœur de la Stax Music Academy de Memphis.

 

Variation rythmique, construction polyphonique

 

En accord avec son propos, le documentariste restitue la démarche pédagogique guidant les objectifs de cette établissement hors normes : la maîtrise de la musique Soul et son inscription dans l’histoire, en particulier celle de cette grande ville du Tennessee, berceau du Gospel, de la Soul, du Rock et même de la Country entre autres ‘inventions’ majeures, et théâtre symbolique de l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril 1968. Régulièrement les enseignants réunissent leurs élèves en cercle et prennent la parole sur l’histoire récente des luttes des Noirs pour les droits civiques. Les professeurs sollicitent également leur expression sur leur vécu quotidien ici et maintenant afin de les aider à le ‘déconstruire’. Ainsi des incitations à lister à voix haute toutes les injures racistes qu’ils subissent, des injures supposées désignées les Noirs, des questions à méditer sur leurs façons de réagir et sur  les modalités d’autres comportements à inventer pour s’en distancier.

 

L’essentiel du documentaire se concentre cependant sur un portrait de groupe : les élèves, individuellement et collectivement, découvrant  avec fierté,tantôt étonnés, tantôt émerveillés, par la pratique et la maîtrise de la musique et du chant, l’estime de soi, la formation d’une image valorisante de leur propre personne comme capable de création artistique.

 

Quelques séquences lumineuses, tournées à l’extérieur à proximité de l’école (large allée bordée d’arbres, église désaffectée, bordure d’un terrain de basket…), sont, quant à elles, filmées comme des endroits doux et calmes, épargnés par la violence et par la pauvreté. 

 

Contre les armes de la haine, la puissance de la Soul

 

Nul doute, « Soul Kids » n’a pas vocation à conforter les clichés. En opérant quelques focus sur des étudiants, qui brillent plus par leur acharnement enthousiaste ou leur personnalité originale que par leur souci de fabriquer des ‘hits’ destinés à séduire les foules, le documentaire souligne avec amour un duo de filles complices à la ville affichant leur joie, met en valeur la grâce d’un saxophoniste jouant hors les murs son morceau préféré ou accompagne en un ralenti tranquille et nonchalant la démarche chaloupée de deux garçons liés par une affection profonde. Sans négliger la dureté des obstacles à vaincre, Hugo Sobelman finit par marcher au rythme lent des apprentis musiciens avançant dans la rue, sans crainte, sourire aux lèvres.

 

Contre l’image dévastatrice associant aujourd’hui les Noirs à des gangsters –une représentation renvoyant au champ de coton [des esclaves] d’hier-, nous avons maintenant pour renverser les clichés le Rap et la Soul, confie un des protagonistes. Pari gagné haut la main pour le jeune réalisateur et pour ses héros. La plupart des anciens élèves de la Stax Music Academy, boursiers lauréats et étudiants habités, ont trouvé leur voie ou sont devenus musiciens à part entière.

 

Samra Bonvoisin

« Soul Kids », film de Hugo Sobelman-sortie le 24 novembre 2021

Sélection officielle du Festival international du film d’éducation d’Evreux 2021

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 24 novembre 2021.

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