Harcèlement : Suicide au ministère 

« Vous êtes nuls ! », « Je ne sais pas quoi faire de toi ! », « Tu ne comprends pas ce que je dis ». Selon la CGT de l'administration centrale du ministère de l'Education nationale, ce sont des propos répétés de ce type, proférés par un chef de bureau, qui ont poussé une employée de la Direction des ressources humaines à se suicider début octobre. Un suicide tenu secret et qui arrive en CHSCT en ce moment. Le harcèlement ce n'est pas qu'une histoire d'élèves. C'est un problème constant à la "centrale", l'administration qui est au coeur du ministère de l'éducation nationale. Malgré les signalements faits par les syndicats cela continue. "C'est de pire en pire" nous confie une responsable syndicale.

 

Une origine professionnelle

 

Pour la CGT de l'administration centrale, "très vraisemblablement, son suicide a une cause d’origine professionnelle". Appelons-la Marie. Employée depuis de nombreuses années à la Direction générale des relations humaines du ministère de l'éducation nationale, elle avait signalé de longue date le harcèlement dont elle était victime de la part de son chef de service. Le chef de bureau avait été déplacé, déchargé de responsabilité d'encadrement, mais installé dans un bureau situé juste à coté de celui de Marie. Elle côtoyait tous les jours son harceleur. En octobre elle était en congé de maladie et devait chercher seule un autre poste. Le 7 octobre une intervention syndicale rappelait qu'elle devait être accompagnée. Le 9 octobre, Marie a mis fin à ses jours. D'après un syndicat, la famille a gardé secret ce suicide jusqu'à fin octobre pour éviter la présence de l'administration aux obsèques.

 

Des alertes depuis 2019

 

" Des alertes pour souffrance au travail, nous en entendons tous les jours", nous dit Sylvie Aebischer, représentante CGT au CHSCT de la "centrale". "Elles émanent de toutes les directions du ministère. Il faut enfin les entendre. On a l'impression que c'est de pire en pire. Des agents en pleurs j'en ai toutes les semaines au téléphone et je passe mon temps à alerter l'administration". La réalité de l'administration centrale semble très loin des promesses de bienveillance, bonheur et bien -être faites par le ministre.

 

Cette situation n'est malheureusement pas nouvelle. En février 2020, nous avons rendu compte d'un rapport d'audit sur les relations humaines au sein de la Dgesco de décembre 2019 et du compte rendu d'une réunion du CHSCT du 28 juin 2019. Le rapport montrait des relations humaines très dégradées avec "des situations de souffrance concentrées sur certains bureaux". Il soulignait la croissance des demandes de visites médicales sur des sujets psycho sociaux depuis 2016 (passage de 0 à 17 pour les 283 agents de la Dgesco). Le compte rendu du CHSCT montrait que l'administration était parfaitement au fait des choses. Ce n'était d'ailleurs pas un syndicat qui donnait le nom d'un chef de bureau particulièrement harceleur mais spontanément le représentant de l'administration !

 

Un mode de management

 

Derrière cette situation, c'est un véritable mode de gestion du personnel qui s'est installé rue de Grenelle. " Parfois il s’agit de situations individuelles, mais la plupart du temps, il s’agit de situations collectives liées à une organisation du travail et un encadrement pathogène", explique la CGT. Les chefs de bureau sont évalués sur la production qu'ils obtiennent des agents et non sur la façon dont ils les obtiennent. Avec la réduction du nombre de postes, le rapport de 2019 signalait déjà des charges de travail trop lourdes avec des horaires extensibles, des repas pris devant l'ordinateur, du travail ramené le week end, des dépassements d'horaires banalisés. La multiplication des cabinets (un seul en 2017, 2 en 2018 et maintenant 4 ministres avec le sport, la jeunesse et l'éducation prioritaire en plus de JM Blanquer) augmente les demandes adressées aux agents. Le rapport de 2019 dénonçait déjà "un management brutal, infantilisant, pinailleur, dévalorisant voire humiliant".

 

Plus jamais cela

 

"Il ne faut plus que cela se reproduise jamais", nous dit Sylvie Aebischer. Une réunion du  CHSCT a été convoquée le 9 novembre et a décidé d'une enquête. Menée par les élus du CHSCT, l'inspecteur sécurité et le médecin de prévention, elle déterminera les mesures préventives nécessaires pour empêcher un nouveau drame. "Il faut comprendre pourquoi quand une collègue appelle à l'aide, l'administration ne l'aide pas".

 

Mais pour S Aebischer cela ne suffit pas. "Il faut en finir avec l'impunité". Une circulaire de 2007 demande des sanctions disciplinaires et le déplacement du harceleur, pas de la victime. Or, selon la CGT, on déplace les victimes, rarement le chef harceleur. Quand c'est le cas, cela s'arrête là. La personne harcelante citée dans le compte rendu de 2019 a d'ailleurs été promue peu de temps après.

 

La CGT demande un interlocuteur unique pour les agents harcelés et des enquêtes rapides confiées à une cellule animée par un chargé de mission à temps plein. "Il faut assumer de réorganiser profondément le travail dès qu’il y en a besoin et, s’il le faut, de déplacer les encadrants qui posent problème. Il faut aussi mettre fin à un tabou : jusqu’à présent, il n’y a aucune sanction pour les harceleurs".

 

François Jarraud

 

Faillite des relations humaines au ministère

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 18 novembre 2021.

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