Cnesco : Comment gouverner les politiques éducatives ? 

Comment faire en sorte que le changement porté ou imposé par les politiques soit mis en oeuvre réellement ? La question posée par la nouvelle conférence de comparaisons internationales, organisée par le Cnesco du 15 au 18 novembre, est en elle même novatrice. Elle révèle la difficulté à faire appliquer sur le terrain les réformes souhaitées par en haut et la complexité du management du changement en matière éducative. En écoutant les experts invités par le Cnesco, on comprend mieux le management de l'éducation à la française. On observe son caractère rétrograde. Et on apprend à en décrypter les outils et les méthodes.

 

Poser la question de la légitimité des réformes

 

"On s'est interrogé sur la gouvernance car on s'est rendu compte que des mesures n'étaient pas mises en oeuvre", explique Nathalie Mons, responsable du Cnesco. Comment mettre en oeuvre ? Il y a 40 ans de recherches très mal connues des décideurs".

 

Au premier plan des questions posées par ce management il y a la légitimité des réformes éducatives. Il y a quelques années, avec la gestion purement bureaucratique, la question ne se serait pas posée. Aujourd'hui dans la plupart des pays de nombreux acteurs publics ou privés participent à la gestion des systèmes éducatifs et l'institutionnalisation d'une politique éducative passe par sa légitimation et sa régulation. Il revient à Christian Maroy (université de Montréal) d'intervenir sur cette question.

 

Pour lui le changement éducatif se heurte à des sociétés plus complexes où il n'y a pas consensus sur les questions éducatives et où de nombreux acteurs interviennent. D'autre part la forme scolaire, avec des classes indépendantes les unes des autres, résiste au changement. D'autant que les directions peuvent amortir les changements. Pour faciliter les réformes il faut casser "la boite d'oeufs" que constituent ces entités autonomes.

 

Les réformes recourent a trois types de légitimation. La légitimité morale : la réforme doit être défendable au regard des valeurs de l'Ecole. La légitimité cognitive : la recherche est instrumentalisée pour justifier la réforme. Mais il faut aussi une légitimité de terrain : il faut que le changement soit "faisable" au quotidien. Et à tout se complique.

 

Pour cette légitimation pragmatique il faut associer le terrain, articuler le savoir savant et celui de l'expérience, faciliter au quotidien les dispositifs collaboratifs. Toutes choses que la suprastructure politique qui décide a bien du mal à faire.

 

Pour C Maroy, elle fait alors appel à deux instruments. D'abord des routines organisationnelles :par exemple institutionnaliser des réunions collaboratives, mettre en place de la transparence sur les pratiques, par exemple par les visites de classe, de façon à influer sur les pratiques. L'autre instrument ce sont les outils nuémriques : des indicateurs qui permettent de suivre l'implantation des réformes et qui produisent des effets locaux. Ces indicateurs sont des structures lourdes qui ont tendance à rester.

 

Les acteurs du changement

 

Mais qui sont ces acteurs de la mise en oeuvre des réformes ? Barbara Fouquet-Chauprade (université de Genève)  montre qu'à coté des enseignants, de nombrexu acteurs interviennent. Pou rles enseignants les réformes peuvent limiter leur autonomie voire les déposséder de leur métier. On a pourtant des exemples de co construction du changement avec les enseignants. B Fouquet-Chauprade donne en exemple le dispositif inventé par S Cèbe et R Goigoux de co construction d'un outil didactique qui prend en compte les savoirs enseignants.

 

Les directions sont aussi en première ligne. On leur demande de mobiliser les enseignants mais aussi de rendre des comptes via les indicateurs et des diagnostics avec des objectifs contractuels. Elles sont menacées elles aussi de déprofessionnalisation. A coté B Fouquet Chauprade voit la montée des acteurs privés, par exemple dans les pays anglo saxons, et des organismes internationaux (OCDE par exemple).

 

Comment accompagner ces acteurs ? Pour elle la co construction des réformes  est la seule solution mais  la multiplicité des acteurs la rend difficile. L epilotage au plus près du terrain est nécessaire mais il risque d'empêcher la mise en oeuvre de la réforme.

 

L'importance des contextes

 

Claude Lessard (université de Montréal) intervient sur les contextes des réformes. Reprenant les modèles mis en évidence par Xavier Pons, il montre que les systèmes éducatifs sont dans des contexte différents. Certains sont plus ou moins restés dans un modèle de régulation bureaucratique qui accordent beaucoup de poids aux acteurs internes contre l'externe (le sparents, les acteurs privés, les collectivités locales). La FRance penche encore de ce coté. Un second modèle "décommunautarisé" s'est imposé où les acteurs privés et locaux, les think tanks ont de l'influence. Enfin on voit arriver un marché des solutions éducatives avec des solutions proposées par des acteurs internationaux qui prennent de plus en plus de place. C'ets la "fast policy".

 

Tous ces contextes ont des incovénients pour le changement. Le modèle de la communauté est soumis aux aléas du changement politique, au stop and go. Le modèle décommunautarisé accorde plus d'importance aux pouvoirs intermédiaires. Celui de la fast policy peut être décontextualisé.

 

La conclusion qu'en tire C Lessard c'est que le changement éducatif ne peut pas se couper de son contexte. C'ets la confrontation au contexte qui permet l'adaptation créatrice des réformes.

 

Le Cnesco avait fait appel à Béatriz Pont, analyste de l'OCDE qui a donné des exemples de l'influence des contextes sur les politiques lancées avec le soutien de l'OCDE. L'instabilité politique, l'absence de culture de mise en oeuvre des réformes, l'absence de culture d'évaluation  freinent les réformes. Selon le spays les niveaux de décision sont très variables avec plus ou moins de décentralisation.

 

Des leçons pour les enseignants français

 

Au final la question de la légitimitation des politiques éducatives semble la plus importante. "La légitimité la plus difficile est celle du terrain", estime C Maroy. "Il ne suffit pas de convaincre l'acteur du changement il faut qu'il puisse changer. La co construction est aussi une question de mise en oeuvre effective". Il ne sert à rien de glorifier l'esprit d'équipe quand les emplois du temps ne comportent aucune heure pour le matérialiser. Il revient su rles outils organisationnels et numérique comme une façon de contourner le problème de la légitimation. Ces outils changent les rapports entre les acteurs et amoindrit la marge de négociation des enseignants.

 

C Lessard montre la limite de la légitimation éthique. "On s'aperçoit que la dimension morale de la légitimation ne tient pas toujours la route. Elle se heurte à des enjeux importants ou à de spratiques". Tout le monde est pour l'égalité des chances ce qui n'empêche pas de pratiquer la ségrégation scolaire. La légitimation cognitive , par les apports de la recherche, se confronte aux savoirs de terrain mais aussi aux intérets. Un exemple en a été donné par le redoublement, jugé inutile par la recherche mais utile pour la gestion de l'ordre scolaire au quotidien.

 

De cette première journée extrêmement riche, ressortent plusieurs enseignements pour les enseignants français. D'abord le caractère particulièrement archaïque de la gestion du changement à la française. Il n'est plus communautaire, les syndicats ayant été fortement bridés et ignorés par le ministre. Il n'est pas décommunautarisé, le ministère tenant la dragée très haute aux collectivités locales et aux parents. Il ne relève pas de la fast policy. On est donc dans un management particulier qui semble relever d'un tout petit nombre de décideurs.

 

Pour autant il empreinte largement les outils de légitimation décrits par la conférence. les indicateurs, à commencer par les évaluations nationales en passant par les livrets de toutes sortes qui commandent les pratiques. Il tente de jouer sur l'organisationnel : protocole local d'évaluation, constellations pour controler ce qui se passe en classe par exemple, renforcement des autonomies et des autorités intermédiaires. Ce que ne retient pas la cas français du management du changement c'est la co construction avec les acteurs et particulièrement les enseignants dont on veut changer le métier contre eux.

 

La conférence continue le 16 novembre avec de nombreuses études de cas.

 

François Jarraud

 

La conférence

 

 

Par fjarraud , le mardi 16 novembre 2021.

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