Claire Lommé : C'est joli, c'est Fibonacci... 

Aujourd’hui, j’ai du mal à écrire. J’aime beaucoup écrire, mais parfois il y a tellement de bruit que c’est difficile de s’entendre penser. En ce moment, c’est une cacophonie. Des hurlements. Quand j’y réfléchis, cela fait des années qu’il en est ainsi, avec des pics qui deviennent insupportables. Ce bruit, le bruit des insultes, des attaques, des délires diffamatoires, des provocations stupides et stériles, il nous suit. Nous le savons inique, mais il pollue. Nous le portons avec nous. Certains craquent ou jettent l’éponge. Le jeu n’en vaut pas la chandelle ? Ce n’est pas un jeu, c’est un métier, même si nous le vivons souvent comme une mission. Ce n’est pas une chandelle, ce sont nos vies. Nos vies professionnelles, mais elles font partie de nos vies tout court. Alors quand, comme au moment où j’écris ces lignes, le bruit est trop fort, comment faire ?

 

La mathosphère à la rescousse

 

Se regrouper, d’abord. Pour ma part, un weekend de débats à l’APMEP (association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), les échanges sur les Cahiers Pédagogiques, les messages des lecteurs de mon blog, les discussions au collège, les projets M@ths en vie, Regards de géomètre, Animath ou MathemaTICE, les interactions tellement riches avec les enseignants qui créent et mutualisent sur les réseaux, tout cela me porte, me soutient. Avec sans doute le risque que je me replie dans cette sphère. Mais je suis matheuse, j’aime bien les sphères. Et parfois, si on veut continuer contre vents et marées, à contribuer à « changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société » , ce repli momentané est sans doute nécessaire. Nous avons besoin de nous protéger pour continuer de batailler pour nos élèves, pour les adultes qu’ils deviennent.

 

Lutter, ensuite. En dehors des nécessaires luttes politiques et syndicales (que je ne développe pas parce que mon propos est ici résolument tourné vers les maths, mais que je ne minimise pas), il y a nos luttes quotidiennes. Dans nos classes, nous luttons contre les idées courtes, la tentation de la facilité, les raisonnements raccourcis. Tous, chacun, au quotidien, nous œuvrons inlassablement pour ce projet de société que nous portons. Cette semaine, ma lutte à moi s’incarnera dans le Fibonacci Day que nous préparons.

 

Le projet, c’est de participer au Fibonacci Day, le 23 novembre, au travers d’un événement E-twinning. Chacun de mes 128 élèves va produire une spirale de Fibonacci, en respectant les contraintes mathématiques.

 

Exigence

 

Avant de nous lancer, nous avons découvert qui était Fibonacci. Son histoire, sa suite, ses lapins, mais pas seulement. Nous avons parlé de suites numériques, notion des programmes de lycée mais accessible en évocation dès le collège. Nous avons fixé des objectifs : raisonner juste, être précis, mettre en forme de belle façon pour partager et pour fêter dignement les mathématiques le 23 novembre.

 

Compétence(s)

 

Pour être à la hauteur, il nous faut développer et recourir à nos compétences. Institutionnellement, les mathématiques se déclinent en six compétences : nous avons cherché pour comprendre la construction de la suite de Fibonacci, nous avons calculé les termes de la suite, nous avons raisonné sur le principe de construction de la spirale et sur les différentes démarches, les différents outils possibles, nous avons communiqué en formulant, reformulant, en rédigeant, en dessinant. Nous avons représenté de multiples façons : par des textes, des dessins, des impressions 3D, des collages, des scripts Scratch, des animations GeoGebra. Au final, après ce chemin de découvertes, nous avons modélisé : la trace écrite fixera la définition de la suite et le principe de construction, avec le concept de récurrence en fond.

 

Et puis une septième compétence est mobilisée, qui apparaît dans mon référentiel : vivre les maths, avec trois entrées : nous avons créé, inventé, imaginé. Nous avons mené nos découvertes en nous inscrivant dans l’histoire des mathématiques, explicitement. Nous n’avons pas oublié que cette histoire est mondiale, avec des interactions dans tous les sens, qui n’oublient aucun continent. Et notre projet prend aussi sa place dans un cadre international.

 

Collectif

 

Cette semaine, nous allons commencer à afficher les productions. Il y en a beaucoup, d’autant que les collègues de maths de mon collège se sont aussitôt engagés dans le projet. Ils ont apporté des ressources pour utiliser en classe, leurs idées, leur énergie. Tous ensemble, on est plus intelligents, on est plus fort.

 

Mais les élèves aussi ont développé le collectif : les élèves en difficulté devant la tâche à accomplir sont venus pendant leurs heures de permanence, aux récréations, sur le temps du midi, et ils se sont entraidés. Certaines spirales ont été réalisées à plusieurs mains. Une belle image, qui m’est revenue ce weekend, c’est celle de la spirale d’une élève de cinquième à qui la réalisation a vraiment posé des problèmes, que des élèves de sixième ont aidé pendant une récréation. Ils étaient à cinq autour de son dessin, à conseiller, corriger, contribuer, et ce petit groupe était bigarré vraiment à tous points de vue. Ils étaient motivés et joyeux, ensemble, et toute ombre d’intolérance était bien, bien loin.

 

Notre richesse partagée

 

L’école, pour moi, c’est ça : des enfants, des parents, des professionnels qui contribuent, tous ensemble, au quotidien. Ils ne fantasment pas l’école, ils la vivent et la font vivre. Elle est chamarrée, riche de ses différences. C’est l’école d’aujourd’hui, pour la société de demain. Nos mathématiques portent elles aussi un message, un message construit avec rigueur, chargé d’une longue histoire, dans une perspective d’avenir, avec lucidité. La culture, les savoirs, et pour moi particulièrement les mathématiques, se partagent, se construisent collectivement, dans le respect de chacun, en s’enrichissant des origines, des appétences, des choix, de tous. Cette richesse n’est pas en contradiction avec les valeurs de la République : nous, enseignants, le savons bien, qui les faisons vivre et les incarnons à chaque heure de classe, et hors la classe.

 

Claire Lommé

 

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 16 novembre 2021.

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