Claude Lelièvre : Une décision bonapartiste 

Comment comprendre l'annonce de la suppression de l'Inspection générale ? Historien de l'Ecole, Claude Lelièvre remet cette décision dans la longue histoire de l'Inspection et analyse ce qu'elle implique comme conception de l'Etat. Pour lui, cela renvoie au bonapartisme.

 

Comment est née l'Inspection générale ?

 

L'Inspection générale (IG) a été créée avec l'Université impériale par le 1er consul N Bonaparte en 1802. Son rôle était le contrôle de l’École. Les inspecteurs généraux étaient très peu nombreux et étaient les yeux du 1er consul. Ils s'occupaient surtout des lycées où ils inspectaient les professeurs et aussi le fonctionnement administratif des établissements.

 

Petit à petit leur nombre a augmenté et les inspecteurs généraux se sont spécialisés en groupes. D'abord celui de l'enseignement primaire, puis ceux de l'enseignement technologique et de la vie scolaire.

 

L'inspection générale a vu sa tâche d'inspection des professeurs remise en cause à la fois par la contestation, après 1968, par le Sgen et certains courants pédagogiques, et par la croissance du nombre des professeurs. Finalement on a créé les IPR et ceux-ci ont dépendu des recteurs et non de l'IG. Les inspecteurs généraux n'inspectent plus que les professeurs des classes préparatoires.

 

En revanche ils ont été organisés pour être plus interdisciplinaires et évaluateurs du système éducatif. Ce travail d'observation et de proposition auprès du ministre est devenu de plus en plus important.

 

A-t-on déjà envisagé leur suppression ?

 

Il y a eu un premier ébranlement avec A Savary, au début des années 1980, qui avait envisagé de supprimer le corps des IG. Sous Jospin il y a eu une tentative de changer leur mode de nomination. Au lieu d'être cooptés par les inspecteurs de chaque discipline ou groupe ils ont été nommés pendant 3 ou 4 ans par le responsable de chaque groupe. Mais finalement les disciplines ont pris le dessus. Depuis les ministres ont eu une certaine influence pour les nominations. Mais ce n'est pas si facile de faire nommer un recommandé du ministre. Certains jurys ont refusé.

 

Que change l'annonce faite par C Pascal ?

 

C'est une mesure qui vient d'E Macron. Elle a été préparée par le regroupement des inspections générales effectuée par JM Blanquer. Les inspecteurs généraux tiraient leur légitimité d'une expertise reconnue par leurs pairs. Plus on réunit de personnes venues de corps différents moins cette légitimité joue. Et plus on dépend de celui qui nomme. Ainsi JM Blanquer avait regroupé plusieurs inspections générales (archives, sports, éducation nationale etc.) en une seule. Cela préparait la réforme annoncée. Mais celle-ci va plus loin.

 

Justement la mesure annoncée change quoi ?

 

L'inspection comme contre-pouvoir va être très affaiblie. On n'aura plus un inspecteur nommé par un corps d'inspecteurs. Mais une personne nommée à titre personnel pour une mission temporaire. A partir de là on n'est plus qu'un expert à disposition du pouvoir. Il n'y a plus de corps organisé pour conseiller le ministre mais des expertises individuelles. On peut aussi se demander qui sera l’œil du pouvoir central dans les rectorats et qui pourra remonter ses observations pour informer le ministre.

 

E Macron accomplit ce qui était un élément de son programme qu'il n'a pas mené à bien sous ce mandat. Il le remet en perspective pour le mandat suivant.

 

Peut-on parler d'une caporalisation des inspecteurs généraux ?

 

L'idée d'E Macron c'est que l’État ne change pas suffisamment au gré des changements politiques. Il essaie de réduire le pouvoir des corps intermédiaires au plus haut niveau et c'est une orientation générale. Si on fait partie de le technostructure et qu'on met en place un système des dépouilles à l'américaine on considère qu'il y a caporalisation car on n'est plus un contre-pouvoir mais aux ordres du politique. C'est rompre avec une certaine idée de la République.

 

Quand Jules Ferry s'est installé il a renforcé le pouvoir du Conseil de l'instruction publique par exemple en y faisant élire des enseignants. Et ce conseil avait de vraies attributions. Normalement dans une république il y a des contre-pouvoirs. C'est dans le bonapartisme qu'il y en a le moins possible.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 27 septembre 2021.

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