Charlotte Abaziou : A l’écoute de l’adolescence en 5ème 

« Racontez au passé un évènement de votre histoire, vécu pendant l’adolescence ou ayant eu un impact sur votre adolescence » : au collège Louis Leprince-Ringuet à Genas, Charlotte Abaziou a amené ses 5èmes à créer collaborativement un podcast sur l’adolescence à la manière d’une émission radio documentaire. Au menu du projet : activités créatives, lectures, anthologies personnelles de citations, débat, écriture collaborative sur pad, mise en voix, enregistrement numérique … Est-il pertinent d’inviter les élèves à livrer à l’Ecole des choses personnelles en particulier à travers l’intimité de la voix ? Assurément, répondent Charlotte Abaziou et ses élèves : pour faire entendre les « voix des jeunes, dont les discours sont parfois étouffés », pour « oser leur faire confiance sur la qualité de leur écoute, sur leur respect vis-à-vis des expériences vécues par les autres. »

 

Dans quel contexte avez-vous mené ce beau travail ?

 

Ce projet collectif « L’adolescence : La Vie devant soi ? », s’insère dans la thématique « Vivre en société, participer à la société. Avec autrui, famille, réseaux », laquelle est inscrite au programme de 5ème. Le collège dans lequel a été réalisé ce travail a la particularité de proposer au sein d’un même établissement, d’une même classe, différentes « images » de l’adolescence. Les élèves, issues de classes sociales très variées et vivant dans des zones géographiques présentant des caractéristiques différentes les unes des autres (Chassieu, Genas, Meyzieu, Pusignan, Saint-Bonnet-de-Mure…) constatent déjà, dans des travaux de groupes, dans des travaux oraux qui appellent des narrations personnelles ou des prises de position, les différentes habitudes qu’ils peuvent avoir avec leurs camarades. La classe de 5ème qui a été mobilisée pour réaliser ce projet est une classe avec des profils d’élèves très variés : certains sont de grands lecteurs et d’autres lisent très peu et avec difficulté, certains tiennent des journaux dans lesquels ils inventent des récits structurés, d’autres, guidés par des consignes précises et avec des listes de mots et d’expression, ont du mal à développer leur imagination. Aussi, certains élèves sont « scolaires », ils suivent rigoureusement et constamment les consignes, tandis que deux élèves sont régulièrement dans une posture de refus par rapport au travail et ne trouvent pas une place qui leur convienne vraiment au collège, ils ne parviennent pas à s’adapter aux règles du collège (ce qui entraîne des conseils de discipline, des exclusions temporaires.) Trois élèves ont des lacunes importantes en français et dans l’ensemble des matières (difficulté de lecture, d’écriture et compréhension des tâches). Enfin, un élève est très souvent absent, le collège n’étant pas un endroit où il se sent en confiance.

 

Dans un 1er temps, vous avez amené les élèves à exprimer et enregistrer des ressentis personnels : avec quelles consignes et selon quelles modalités de travail ?

 

La première étape, celle de l’expression des ressentis personnels, est élaborée lors de la séquence précédente, qui, bien qu’elle appartienne à la même thématique Vivre en société, participer à la société. Avec autrui, famille, réseaux, a pour support L’Avare de Molière et questionne davantage les liens familiaux que les liens sociaux en général. Il est proposé aux élèves de poursuivre les phrases suivantes à l’écrit, en classe, puis de les enregistrer oralement, chez eux : « La première chose que je peux vous dire c’est… », « Pour moi, avoir la vie devant soi c’est ... », « Pour moi, l’adolescence c’est… ».

 

C’est à partir de ces citations et propositions complétées puis enregistrées que la thématique de l’adolescence en littérature peut être problématisée avec l’ensemble de la classe. C’est leurs imaginaires, leurs connaissances et leurs idéaux qui constituent le support initial du projet. Cinq de ces podcasts ont été sélectionnés : ils ont été écoutés anonymement en classe par tous, lors de la toute première séance de la séquence sur l’adolescence en littérature. Ces cinq podcasts évoquaient des représentations différentes de cette période de la vie, et les élèves qui s’exprimaient aspiraient à des rêves très variés. Leur écoute a permis une première prise de conscience de la diversité (inégale) des choix qui s’offrent aux uns et aux autres. Les élèves ont ensuite réfléchi à ce que la littérature pouvait faire à l’adolescence (offrir une immersion dans un espace autre que celui de notre quotidien, s’identifier à des problématiques, à des personnages pour pouvoir lutter contre un sentiment de solitude, découvrir de nouvelles émotions…) et à ce que l’adolescence pouvait faire à la littérature (littérature jeunesse qui se concentre sur des thématiques de l’adolescence, développement de certains genres littéraires pour plaire aux adolescents particulièrement, nouveau mode de critique littéraire grâce à des applications numériques). C’était une manière de problématiser la séquence et d’amorcer le projet à partir de leur ressentis.

 

Pourquoi vous semble-t-il intéressant d’entrer dans la séquence par cette activité créative ?

 

Commencer ainsi cette séquence présentait plusieurs intérêts : les élèves sont habitués à ce que l’on s’immerge dans des thématiques à partir de musiques, de tableaux, d’extraits de films ou encore de discours politiques. Ce sont des séances qu’ils disent apprécier, ils aiment faire ce « pas de côté ». Je voulais qu’ils comprennent que leurs propres discours sont eux aussi stimulants intellectuellement et source de questionnements. C’était aussi une manière de les rendre dès le début acteurs d’une séquence qui nécessite leur investissement. Surtout, il était essentiel que les élèves comprennent, immédiatement, que leurs ressentis, leurs discours allaient être écoutés lors de cette séquence. Ils allaient compter. Les adolescents, par un remarquable paradoxe, sont à la fois souvent pointées du doigt et ignorés. On parle pour eux. On parle d’eux. Mais qu’ont-ils à dire ? Comment se disent-ils ? Les écoute-t-on réellement ? Je voulais faire des voix des jeunes, dont les discours sont parfois étouffés, parfois rapportés, des discours plus immédiats et disponibles dans l’espace public : d’abord dans une classe entre camarade, puis dans un CDI, dans une médiathèque, sur des sites internet tel que l’ENT ou des sites consultés par un plus grand nombre et une plus grande diversité de personnes.

 

Le regard sur l’adolescence est enrichi par des lectures de textes littéraires : lesquels ? avec quels profits spécifiques ?

 

Au cours de cette séquence, plusieurs extraits des œuvres suivantes, ont été étudiés : La Vie devant soi de Romain Gary ; No et moi de Delphine de Vigan ;  La Gloire de mon père de Marcel Pagnol. Chaque texte permet de mettre en lumière une caractéristique de l’adolescence. Par exemple, l’incipit de No et moi aborde la sensation de gêne et de solitude dans un groupe classe. L’extrait choisi de La Gloire de mon père souligne la beauté des habitudes partagées avec un tiers pendant l’adolescence. Les lectures analytiques réalisées à partir d’extraits de La Vie devant soi permettent de faire émerger des questionnements littéraires et philosophiques : « Les vieux et les vieilles ne servent plus à rien et ne sont plus d’utilité́ publique, alors on les laisse vivre. En Afrique, ils sont agglomérés par tribus où les vieux sont très recherchés à cause de tout ce qu’ils peuvent faire pour vous quand ils sont morts ». La Vie devant soi permet aussi d’esquisser des réflexions sociologiques : « Monsieur Waloumba dit que la France a été complètement détribalisée et que c’est pour ça qu’il y a des bandes armées qui se serrent les coudes et essaient de faire quelque chose ». Cette œuvre permet de s’interroger sur la formation des groupes, ce qui les maintient, ce qui unit les individus les uns aux autres.

 

Quelle exploitation avez-vous faite de ces lectures ?

 

Les élèves ont sélectionné par groupe, en classe, plusieurs citations issues d’un corpus issu de La Vie devant soi pour en faire une anthologie personnelle. Ils ont découvert le corpus en groupe et ont décidé ensemble les 18 citations qu’ils retenaient. Chez eux, il leur a été demandé de les rassembler de manière personnelle, d’en faire une anthologie. A la séance suivante, ils ont été invités à présenter leur anthologie à leurs camarades afin de les mettre en lien avec la thématique de l’adolescence, de décrire aux autres les émotions suscitées par ces phrases, d’expliquer à quelles situations actuelles elles peuvent renvoyer et de justifier la forme choisie. Dix élèves sont passés en classe, les autres devaient envoyer une capsule vidéo via Wetransfer.

 

Certains ont recopié, découpé et placé dans une petite boite les phrases sélectionnées avec leurs camarades, certains ont créé un journal de citations sur l’adolescence, en se disant qu’un jour ils feraient « un journal de citations sur la vieillesse », un élève a eu l’idée de les enregistrer sur un dictaphone. Un autre a décidé de faire apprendre à ses parents ces citations : il justifiait ce choix en disant que la mémoire peut être une anthologie, et si ces phrases sont mémorisées par plusieurs personnes, l’anthologie se transforme en anthologie collective et « elle a plus de chance de durer dans le temps ». D’autres ont mêlé leur passion pour la musique et le dessin, en associant chaque citation à une illustration réalisée par leur soin. Le dynamisme et l’investissement de cette classe sont particulièrement ressortis lors de cette séance. Tous sans exception ont proposé quelque chose et beaucoup ont réalisé un réel travail de création. Ces phrases, qui touchaient leur sensibilité et qu’ils se sont appropriés par une mise en forme originale, les ont stimulés pour la séance de débat.

 

En quoi a consisté ce débat ?

 

Deux des citations sélectionnées par les élèves ont été le support de la séance de débat de 2 heures. « C’est comme si j’avais un habitant en moi. » : cette première citation a été problématisée avec l’ensemble de la classe. Nous avons identifié la comparaison, qui désigne un état qui ressemble au fait d’être deux en un. Le sentiment d’étrangeté à soi-même a alors été formulé. Par groupe de cinq, les élèves ont débattu de cette question : peut-on avoir le sentiment d’être étranger à soi-même ? Ils avaient pour consigne de chercher des exemples d’expériences personnelles lors desquelles ils ne se sont pas reconnus, et/ou lors desquelles ils ont eu l’impression que leurs émotions les « dépassaient ». Ils pouvaient aussi donner des exemples rencontrés dans des œuvres littéraires et cinématographiques. Ces exemples ont fait l’objet de discussions, et ils devaient noter ceux qui leur semblaient les plus pertinents sous la forme d’une liste. Un groupe a posé, à partir de cette citation, la question de la conscience. Peut-on dire que j’ai conscience de tout ce qui se passe en moi ? Ils évoquent rapidement les rêves, puis la place qu’ils occupent dans leur groupe d’amis, place dont ils n’ont « pas toujours conscience » et qui peut jouer sur leur comportement : ils peuvent donc, inconsciemment, avoir de l’influence sur les autres. Ce sujet a fait débat, entre ceux qui affirmaient que l’on a conscience, grâce aux attentions et aux regards des autres, de la place que l’on a et que l’on nous donne dans un groupe ; et ceux qui soutenaient que ces attentions ne traduisent pas forcément la place réelle que l’on nous attribue, qu’il est donc impossible d’avoir conscience de la manière dont les autres nous perçoivent et de notre influence sur eux.

 

Ces réflexions, partagées à l’oral à l’ensemble de la classe, ont permis de faire la transition vers la deuxième citation : « Monsieur Waloumba dit que les jeunes ont besoin de tribus car sans ça ils deviennent une goutte d’eau à la mer et ça les rend dingues. ». Le mot « tribu » a été défini avec l’ensemble de la classe : une tribu est un groupe auquel j’appartiens et qui me ressemble ; avec qui je partage des habitudes, des pratiques spécifiques qui nous distinguent des autres. Les élèves ont cherché, en groupe, des exemples de pratiques qu’ils partagent avec leurs amis depuis qu’ils sont avec eux, et qu’ils n’avaient pas avant. A la fin de ces échanges, deux membres de chaque groupe, désignés au préalable, ont fait un bilan devant la classe des exemples trouvés et des discussions partagées. Plusieurs ont insisté sur la fin de la citation « Sans ça ils deviennent une goutte d’eau à la mer » : l’appartenance à un groupe a été décrite comme un moyen d’être rassuré, d’éviter l’isolement, notamment aujourd’hui. Mais cette appartenance à un groupe a aussi été aussi décrite comme une pression : il faut toujours être « fidèle » à ce groupe, il y a des « pactes » qui scellent les amitiés, mais parfois il n’y a pas assez de place pour les différences au sein de ces « tribus ». Aussi, certains ont le sentiment de pas avoir le « droit » d’avoir plusieurs groupes.

 

Cet exercice de débat et de compte-rendu rend possible, notamment quand il est répété, une affirmation de sa personnalité face aux autres en prenant position. Le débat au sein d’un collectif permet d’amorcer une certaine forme d’émancipation, ce que soulignent Marion Carbillet et Hélène Mulot dans leur ouvrage A l’école du partage.

 

La réalisation du podcast collectif s’inspire des « Pieds sur terre », un podcast de France-Culture : de quoi s’agit-il ? comment les élèves s’en sont-ils approprié les codes ?

 

« Les Pieds sur terre » est un podcast de 30 minutes diffusé chaque jour sur France-Culture. Sonia Kronlund, agrégée de lettres modernes, documentariste et productrice de l’émission, présente la thématique du jour dans une courte introduction généralement très vive, revenant sur une anecdote, un événement qui permet de faire comprendre le fil rouge des récits qui vont suivre. Ces récits de vie sont mis en mots et racontés par les personnes concernées elles-mêmes. Ils sont simplement juxtaposés, et le leitmotiv de cette émission est : « Tous les jours, une demi-heure de reportage sans commentaire ». Je souhaitais que les élèves s’approprient le principe de cette émission, qui ne fait qu’accueillir des voix pour les partager aux auditeurs. qu’ils réalisent eux-mêmes les différentes étapes de cette émission pour se raconter, sans commentaire et sans jugement.

 

Les élèves ont alors écouté un podcast des  Pieds sur Terre en classe avant de rédiger le leur.  Pour « maitriser » un média, il est essentiel de lier lecture et écriture de ce dernier. Pour cette phase de découverte, j’ai sélectionné un podcast dont les acteurs sont un groupe de jeunes ayant eux-mêmes travaillé sur l’œuvre La Vie devant soi, dans le cadre d’un atelier d’écriture. C’était une manière de leur montrer très concrètement un exemple de production à partir d’une œuvre littéraire. Il a été demandé aux élèves de faire l’analyse du podcast à partir d'un tableau : celui-ci leur permettait d’identifier précisément les différentes étapes et le type de contenu développé. Ces étapes devaient apparaître clairement dans leur cahier, grâce à un système de couleurs. Les élèves ont ensuite décidé tous ensemble de la structure qu’ils voulaient adopter pour leur propre podcast collaboratif.

 

Quelles ont été les consignes données aux élèves pour ce travail d’écriture ?

 

La consigne d’écriture était la suivante : « En vous inspirant des thématiques découvertes, lues et travaillées en classe (l’appartenance à un groupe, le partage des pratiques et activités avec autrui, l’influence des uns sur les autres, le mélange des cultures, la peur de l’autre et pour l’autre…), racontez au passé un évènement de votre histoire, vécu pendant l’adolescence ou ayant eu un impact sur votre adolescence. » Les élèves ont eu une heure pour commencer ce travail en classe. Ils ont été invités à le poursuivre chez eux avant de retranscrire, d’améliorer et de partager leur texte sur framapad.

 

La préparation s’est faite sur pad : quels vous semblent les intérêts d’une telle écriture collaborative ?

 

La rédaction du podcast réalisée avec Framapad, application numérique qui permet d’écrire à plusieurs et simultanément un texte collaboratif, a présenté de nombreux avantages. Les modalités mêmes de ce travail rejoignent la réflexion continue et sous-jacente de ce projet: Comment se situer dans un groupe d’adolescents ? Quelle diversité de position peut-on acquérir ? Comment affirmer son individualité ? Les élèves, en tant que co-auteurs, se sentent responsables de la tâche finale.

 

Framapad leur permet d’acquérir des réflexes de révision du texte : ils adoptent une posture réflexive sur la langue, et une posture justificative dans le chat (« clavardage ») lorsque leurs camarades proposent une autre formulation ou une idée différente. Framapad facilite la relecture et la correction du texte. En effet, s’il est certes possible d’effectuer une relecture et des modifications sur papier, ces dernières rendent le texte peu lisible et ne peuvent être réalisées qu’un certain nombre de fois. Or, sur Framapad, les élèves modifient régulièrement l’ordre des paragraphes, des citations choisies, en pensant à l’auditeur : ils pensent en termes de « suspens », de « rythme » et de « dureté » des expériences personnelles, en d’autres termes ils cherchent une cohérence, mais aussi une gradation dans l’émotion qu’ils sont capables de transmettre. Dans le chat, ils se répartissent eux-mêmes les rôles. L’un d’entre eux accole naturellement à son nom « organisation du texte ». Ayant terminé plus tôt que les autres de rédiger, il veille à la limpidité dans l’enchaînement des paragraphes. D’autres proposent d’eux-mêmes leur aide en grammaire, ou suggèrent à leurs camarades de développer certains aspects thématiques. Le numérique atténue les difficultés qu’ont certains élèves à se relire, en raison de dyskinésie ou de dysorthographie.

 

Notons que les écarts importants de posture entre élèves lors des exercices de débat se sont atténués et parfois même inversés sur Framapad. La conversation écrite dans le chat donne le temps et l’espace à certains élèves d’affirmer davantage leurs points de vue et leurs idées. On peut aussi signaler que le mélange des couleurs sur Framapad prouve bien l'investissement des élèves : ils ne se sont pas concentrés uniquement sur leurs textes, ils ont aussi mené un travail réflexif sur celui de leurs camarades, ils ont compris l’intérêt de l’entraide et de la solidarité.

 

Comment avez-vous travaillé plus spécifiquement l’oral ?

 

Les séances qui permettaient de travailler spécifiquement les compétences orales lors de ce projet étaient celles de présentation de l’anthologie et celle de débat. L’entrée dans la première a fait l’objet d’un travail préparatoire important : les élèves ont réalisé des exercices d’échauffement et de modulation de la voix, et il était demandé aux élèves de s’adresser à leur auditoire en exploitant les ressources de la voix, de la respiration, du regard et de la gestuelle. Une autre séance orale, qui se fixait elle aussi pour objectif l’exploitation des ressources de la voix et de la respiration, devait avoir lieu lorsque le confinement a été annoncé. Cette séance s’inspirait d'un stage de lecture organisé par Amlet, une association qui regroupe, depuis 1988, des enseignants et des artistes militants pour le développement du théâtre en milieu scolaire, et animé par le comédien et metteur en scène Didier Lastère en 2008. A partir d’un extrait littéraire en lien avec l’adolescence, Comme des flèches vivantes de Françoise du Chaxel, les élèves devaient réaliser un exercice d’oralisation d’un monologue. Selon une fiche "Jeux de voix", ils auraient dû préparer une lecture de quelques phrases choisies dans le texte, pour le groupe, et faire deviner quelle intention était donnée. Puis, ils auraient dû réaliser ce même travail sur la liste "Articulation". La liste « jeux de voix » proposée aurait été la suivante : aimable, angoissé, enjoué, capricieux, doux, désespéré, énergique, dégoûté, déplorant, etc.… Cette liste devait être construite en amont par eux-mêmes, lors d’une séance  de lexique. La liste "articulation" aurait ressembler à ceci : débiter, proférer, déclamer, bégayer, bafouiller, chuchoter, glisser à l'oreille, en confidence, parler entre les dents, , grommeler,  bougonner, hésiter, ect… C’est une activité simple qui permet rapidement aux élèves de se mettre en activité, lors de laquelle ils comprennent assez vite toute l'étendue de la voix, de ce que l'on peut faire avec.

 

Comment avez-vous mené au final l’enregistrement ?

 

La répartition du texte collaboratif pour l’enregistrement oral se fait en classe, à partir du document Framapad, sur lequel les couleurs sont supprimées, afin qu’aucun élève ne soit mal à l’aise par rapport à ce qu’il a écrit. Cette répartition est un nouveau moment de négociation. Cette étape s’est déroulée avec fluidité : les élèves semblaient avoir compris l’intérêt de s’écouter et se montraient particulièrement coopérants. La majorité des élèves ont souhaité enregistrer oralement la partie du texte relatant une expérience personnelle qu’ils avaient écrite dans le Framapad collaboratif. Mais d’autres ont préféré oraliser une partie de l’introduction, moins personnelle et moins sensible, ou encore une citation extraite de l’œuvre sélectionnée par la classe. Les élèves devaient être enregistrés en classe, directement, sur Audacity. Mais en raison du confinement annoncé à cette période, les élèves ont dû enregistrer eux-mêmes leur podcast individuel, chez eux. Tous l’ont fait : à la fin d’un cours en visio, les élèves ont eu trente minutes pour s’entrainer et s’enregistrer.

 

Certain.es considéreraient peut-être qu’il est osé d’amener les élèves à livrer à l’Ecole des choses personnelles en particulier à travers l’intimité de la voix : à la lumière de l’expérience menée, en quoi vous semble-t-il pertinent de prendre un tel « risque » et de favoriser un savoir devenir chez les adolescent.es que sont nos élèves ?

 

Le « risque » était relatif dans la mesure où la thématique de leur récit était orientée par les aspects des textes approfondis en classe. Si ce cadrage restait large, il ramenait les élèves à deux questionnements fondamentaux : Comment se sentent-ils en groupe ? Vivons-nous tous la même adolescence ?  Si l’école veut favoriser le bien-être de chaque élève, il faut être en mesure de les  mettre en confiance pour s’exprimer et pouvoir les écouter, quelle que soit l’intensité des discours partagés. Ce projet avait pour objectif de créer une atmosphère de coopération, de collaboration tâche après tâche, d’écoute entre eux afin de partager dans le respect des expériences et des représentations. Commencer par s’exprimer individuellement, puis réfléchir, analyser et sélectionner collectivement, et enfin écrire collaborativement, devait  être une trajectoire favorable à la prise de parole, à l’écoute attentive et respectueuse, à l’épanouissement de chacun dans un groupe respectueux et tolérant.

 

 A la fin des lectures analytiques, nous réalisions des bilans collectifs avec les élèves. Cet ultime travail de réflexion en fin de séance leur permettait d’envelopper et de conserver les questionnements qui avaient émergé sur l’adolescence en littérature, certains sujets, peut-être tabous chez certains, étaient évoqués librement. Certains de ces questionnements sont réapparus lors de la séance de débat et sont devenus des fils rouges thématiques: Qui sont les personnes qui nous marquent et nous influencent quand nous sommes adolescents ? Pourquoi c’est à l’adolescence que l’on prend conscience de la mort ? Je crois non seulement que ces questionnements traversent tous les individus, mais en plus qu’il est enrichissant de partager ces réflexions à l’Ecole, afin de se confronter à l’autre dans sa différence. Réfléchir sur leur propre adolescence doit mener progressivement les élèves à saisir ce qu’il peut y avoir de commun entre leurs différentes expériences, afin de saisir les traits caractéristiques de cette période de la vie. Il s’agit donc de penser à soi pour mieux penser à l’autre, comprendre ce qui nous constitue en tant que miroir l’un de l’autre. Surtout, ce travail doit améliorer la qualité de leur écoute : elle doit devenir plus respectueuse et plus aguerrie. Les faire écrire sur eux-mêmes à la fin de cette séquence, donner à entendre leur voix, c’est avant tout oser leur faire confiance sur la qualité de leur écoute, sur leur respect vis-à-vis des expériences vécues par les autres.

 

Le travail a-t-il eu des vertus cathartiques ?

 

Ce travail a permis la libération de la parole d’un élève, celui qui était très souvent absent. Il a écrit un récit sur les moqueries relatives à son physique, et sur les conséquences psychologiques qui en découlent. La majorité des élèves ont lu ce récit lors de l’écriture collaborative sur Framapad, et surtout, ils l’ont écouté lors de la séance d’écoute du podcast final. Depuis, cet élève n’a pas été absent, et quelques élèves semblent s’être rapprochés de lui. Évidemment, le corps enseignant est désormais beaucoup plus alerte et attentif. Nous sommes en mesure de protéger au sein du collège cet élève des moqueries à caractère grossophobe. Cette raison me semble déjà une preuve des bénéfices à amener les élèves à se livrer.

 

Aussi, un élève a partagé l’événement de sa circoncision. Aussi surprenant que cela puisse être, aucun élève n’a fait de commentaire déplacé ou maladroit, alors même que certains ne connaissaient absolument pas l’existence de cette pratique. Ils ont donc appris des choses au contact des cultures différentes. De même, lorsqu’un élève s’est confié avec beaucoup de  sincérité et de tendresse sur son lien avec sa « maman», les élèves n’ont pas réagi négativement à cette sensibilité qui n’est parfois pas la bienvenue dans les groupes d’adolescents.

 

Quelle leçon en tirez-vous ?

 

A l’Ecole, faire l’expérience du débat et de l’écoute, construire un objet ensemble, c’est permettre aux élèves de développer des compétences sociales, de comprendre ce qu’est littéralement l’altruisme. C’est créer du lien, ouvrir la porte de l’entraide, de l’amitié et de la camaraderie.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Des exemples sur le site lettres de l’académie de Lyon

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 20 septembre 2021.

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