Le film de la semaine : « L’Etat du Texas contre Melissa » de Sabrina Van Tassel 

Par quel enchaînement la Justice des Etats-Unis conduit-elle à une condamnation à mort sans enquête préalable ni procès équitable ? Melissa Lucio en fait la dramatique expérience. Pauvre, droguée, mère de famille nombreuse, accusée d’avoir tué sa fillette, elle est, à 48 ans, la première femme hispano-américaine à attendre, depuis onze ans, dans le couloir de la mort d’une prison texane l’exécution de la sentence prononcée en 2008. A l’occasion d’un reportage sur le sujet, la documentariste franco-américaine Sabrina Van Tassel, a priori sans empathie pour cette ‘coupable’ d’infanticide ployant sous des charges accablantes, change radicalement de point de vue au parloir dés le premier échange avec la condamnée. ‘Dans ses yeux, j’ai vu toute l’injustice du système judiciaire américain qui condamne les plus faibles pour s’en débarrasser’. Forte de cette intuition, la réalisatrice mène une enquête rigoureuse et méthodique, mêlant l’histoire sociale et intime d’un être démuni, les circonstances du décès de l’enfant, les conditions policières et juridiques d’un procès bâclé et d’un verdict couru d’avance. Résultat : « L’Etat du Texas contre Mélissa » nous plonge dans l’engrenage tragique d’une erreur judiciaire et le quotidien terrible d’une femme, maintenant soutenue dans son combat par des associations de juristes, des personnalités et des citoyens alertés par la diffusion de ce film implacable.

 

Crime monstrueux, preuves accablantes

 

Sabrina Van Tassel ne nous ménage pas. Les premières séquences révèlent les ‘preuves’ auxquelles les jurés ont été confrontés au procès. Les aveux de Mélissa elle-même filmés par les policiers : au terme d’un interrogatoire de 9 heures sans interruption, harcelée par un représentant des forces de l’ordre l’incitant à reproduire les actes de violence exercés sur son enfant de 2 ans, en l’amenant à frapper avec de plus en plus de force une poupée. Hagarde, peut-être encore sous l’emprise de la drogue, la mère reconnaît être ‘responsable’ (c’est le terme utilisé). De plus, nous voyons des clichés des multiples contusions et blessures visibles sur le corps de la fillette ; des clichés qui seront abondamment commentés par la médecin légiste et utilisés pour susciter l’horreur à l’audience. Devant tant d’éléments à charge, le verdict (de mort) ne fait pas un pli. Quelques lignes dans les médias locaux. Pas assez de sensationnalisme dans ce fait divers sordide pour alimenter les chaînes de télévision spécialisées.

 

Melissa Lucio ‘coche toutes les cases de la coupable idéale’, comme le précise la réalisatrice, laquelle décide, au premier échange de regards dans la prison de Gatesville, de ne pas se fier aux apparences et de raconter au fil de ses découvertes le parcours déchirant de cette femme et la complexité d’une affaire criminelle supposée résolue en un temps record.

 

Logique inhumaine de la machine judiciaire, rigueur minutieuse de la contre-enquête

 

Mélissa serait-elle dans le couloir de la mort si elle était riche et blanche ? interroge un critique américain. Qu’on en juge ! Des policiers ne menant aucune investigation complémentaire, un avocat commis d’office ne convoquant aucun témoin à la barre, un procureur en pleine campagne pour sa réélection (et bien décidé à se montrer intraitable avec une criminelle monstrueuse ; un procureur purgeant actuellement treize ans de prison pour corruption !) et une mère accusée du pire des crimes sans que jamais ne soit remis en cause le comportement violent de policiers poussant jusqu’à l’épuisement et aux aveux la personne interrogée, visiblement à bout de nerfs sur l’enregistrement vidéo.

 

Outre les rencontres répétée avec Mélissa (d’une durée d’une heure tous les trois mois, selon la loi texane), Sabrina Van Tassel commence sans a priori autre que l’exposition des faits, le poids des images recueillies et la liberté de parole de chacun. Contrairement à la législation française en la matière, un citoyen peut consulter sans délai tous les documents liés de près ou de loin à une affaire jugée. Notre investigatrice incisive ne s’en prive pas.

 

Elle scrute tous les manques de la justice officielle. Elle rencontre en particulier les membres de la famille et les proches, jamais contactés auparavant ni cités pour témoigner. Les enfants (elle en a 14) dans un contexte de grande pauvreté et de détresse maternelle attestent de l’affection d’une mère qui n’a jamais porté la main sur eux. Un témoin montre l’escalier en bois extérieur à la baraque par où la petite Mariah aurait pu dégringoler et en mourir…

 

Services sociaux, détective privé, procureurs, avocats complètent avec pertinence le travail de longue haleine mené avec minutie, étayé également par des archives de toutes sortes (policières, administratives, extraits de presse, photographies familiales…).

 

Et le déroulement rigoureux du récit lève progressivement le voile sur la complexité d’une existence brisée : des lueurs éclairent la noirceur d’une vie de jeune fille victime d’abus sexuels, épouse dés l’âge de 16 ans, enfant traumatisée de la misère et de la toxicomanie. Pourtant, aucun indice dans ce chemin chaotique d’un comportement de mère maltraitante à l’encontre de ses enfants.

 

Un concours de circonstances malheureuses, le contexte social (pauvreté, origine hispanique, famille monoparentale, usage de la drogue…) et ‘le rouleau compresseur du système judiciaire américain’ (selon les mots de la cinéaste) conjugués au travail d’exploration et aux partis-pris de Sabrina Van Tassel font de « L’Etat du Texas contre Mélissa »  une démonstration exemplaire des risques d’erreur judiciaire, une dénonciation efficace de l’inégalité des citoyens américains devant leur justice, selon qu’ils sont puissants ou misérables, . Et un imparable pamphlet contre la peine de mort, à travers le portrait déchirant de Melissa Lucio. Une des ‘laissés-pour-compte’ de la société américaine que l’autrice de ce documentaire exigeant regarde avec respect, tout en réveillant les consciences des spectateurs, déjà mobilisés Outre-Atlantique pour empêcher le pire.

 

Samra Bonvoisin

« L’Etat du Texas contre Melissa », film de Sabrina Van Tassel-sortie le 15 septembre 2021

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 15 septembre 2021.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces