Evaluer en français: Un Guide d’enfermement ? 

Faut-il harmoniser l’évaluation du français au lycée alors même qu’il est désormais exclu du contrôle continu  pour l’E.A.F. ? Oui si l’on croit le tout récent Guide officiel de l’évaluation. Parce que la moyenne de français a « vocation à jouer un rôle dans le parcours de l’élève, en particulier lors de la procédure Parcoursup » ? Ou parce qu’il fallait alourdir le poids de  programmes rétrogrades, écrasants, contraignants, par un système d’évaluation à son tour directif ? …

 

Le Guide  enfonce quelques portes ouvertes, par exemple sur la nécessité d’évaluer les apprentissages tout au long de l’année scolaire, la possibilité d’organiser des examens blancs ou sur l’intérêt de coefficienter les notes pour parvenir à une moyenne plus juste, en tenant  compte « de la complexité des exercices proposés, de l’importance du travail préalable qui a été mené pour préparer cette évaluation, de l’ampleur des compétences évaluées »..

 

Mais on trouve dans le Guide des injonctions sur la quantité et la nature des évaluations à mettre en œuvre. Certains considèreront assurément qu’elles bafouent leur liberté pédagogique : une moyenne doit reposer sur un minimum de 3 notes d’écrit (dont au moins 1 devoir sur table) et 1 note d’oral (« à travers des exercices définis et non une « note de participation ») ; il faut mettre en place dès le 2ème trimestre de 2nde des exercices complets de préparation à l’EAF, « les formats intermédiaires (rédaction d’un plan, d’une introduction, d’un paragraphe argumentatif) doivent être réservés au premier trimestre de 2nde ». Pour rappel, on lisait ceci dans les Documents d’accompagnement des programmes en 2001 : « L’année de 2nde ne doit pas être dévorée par des exercices voués exclusivement à la préparation des épreuves d’examen. »

 

Ce qui frappe, c’est combien, dans le prolongement des derniers programmes, le Guide participe à l’enfermement de la discipline sur elle-même. L’enjeu des apprentissages, ce serait donc essentiellement les notes ? L’essentiel des notes, ce seraient donc les épreuves canoniques du bac plutôt que le développement d’utiles compétences et leur travail en classe ? Après le nombre d’explications linéaires, de lignes dans un texte, d’œuvres lues, il faudrait désormais comptabiliser aussi le nombre de devoirs ? Certes le Guide délivre quelques invitations, mais, comme toujours, les ouvertures en restent hélas au stade de la suggestion : « un ou deux écrit(s) d’appropriation, une ou deux évaluation(s) orale(s) peuvent chaque année utilement venir compléter les devoirs modélisés par l’examen et contribuer à étayer leur sens et leurs enjeux. La tenue d’un carnet de lecture incluant divers écrits de réception et d’appropriation peut également venir nourrir l’évaluation. »

 

On notera que la tendance est la même dans la spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie », dont on aurait pu espérer qu’elle constitue une bouffée d’air : certes là aussi on peut légitimement recourir «  à des exercices de formes et de contenus divers », mais le Guide met en avant « les formes et les savoir-faire requis par les écrits proposés aux examens (la spécialité pouvant être poursuivie ou abandonnée en fin de première comme toute autre des deux autres spécialités) dont il s’agit de ne pas retarder l’acquisition. » ; la moyenne « doit reposer sur un minimum de trois notes d’écrit et d’au moins une note d’oral (pour chaque discipline) par trimestre ou par semestre. » Il faudrait donc donner le même nombre de notes en littérature HLP (2 h/semaine en 1ère) qu’en français (4 h/semaine en 1ère) ?  Il faudrait donc y aggraver l’évaluationnite ?

 

Il est loin, le temps où l’on voulait mettre « l’élève au centre » : voici bel et bien venu le temps où l’on veut mettre l’évaluation au centre, du système et du quotidien. Par-delà ses circonvolutions et précautions de langage, le Guide entérine une triste tendance pour l’enseignement du français : plutôt qu’apprendre à écrire, parler, argumenter, interpréter, créer, collaborer, plutôt que favoriser une pratique vivante de la langue et de la littérature, envisager encore et toujours la plupart des « exercices de langage » comme « une préparation à la rédaction, et à la composition française, à l’examen écrit », ainsi que le déplorait déjà Jean Zay en 1943 dans son journal de prison « Souvenirs et solitude .»

 

Jean-Michel Le Baut

 

Le Guide de l’évaluation

Le texte de Jean Zay

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 13 septembre 2021.

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