Le film de la semaine : « La Vie de château » de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel N’Liml 

Comment imaginer un film d’animation destiné aux jeunes spectateurs évoquant avec délicatesse le chagrin de la perte, le deuil et la renaissance, à travers l’histoire dramatique d’une petite orpheline d’aujourd’hui, sans plomber le récit ? Clémence Madeleine-Perdrillat, scénariste, et Nathaniel N’Liml, dessinateur, offrent ici aux enfants (et aux grandes personnes) une coréalisation poétique et sensible, fruit d’un travail collectif de longue haleine. « La Vie de château » nous conte en effet le rude apprentissage de Violette, âgée de 8 ans, devenue ‘pupille’ et confiée à Régis, oncle bourru, après la disparition de ses parents à la suite d’attentats (discrètement suggérés) perpétrés à Paris près de la République. Entre la gamine mutique et le gros balourd, agent d’entretien au château de Versailles, se tisse peu à peu une relation intense allant de l’hostilité à l’indifférence, de la complicité à l’affection. Au-delà de leurs blessures intimes, la petite fille espiègle et l’ogre au cœur tendre font un pied de nez à la fatalité en formant une nouvelle famille. Une fable contemporaine pleine d’intelligence, de vitalité et de grâce. 

 

Orpheline en deuil, fugueuse en révolte

 

Même si Violette est bien jeune pour comprendre tout ce qui se passe, nous la voyons, perdue au milieu de quelques personnes vêtues de gris, dans un grand lieu sinistre et sombre qui ressemble à une église. Sa chevelure orange, ses grands yeux ronds et écarquillés et sa petite taille détonnent. Elle ne devrait pas être là et pourtant Geneviève, chignon gris, air sérieux, lui explique que selon la volonté de ses parents disparus elle va vivre chez son oncle Régis, chef des agents d’entretien au château de Versailles. Violette ne l’entend pas de cette oreille. Elle décide de ne pas adresser la parole à l’oncle en question, lequel, habitué à vivre seul dans un confort modeste, dîne d’un gros plat de spaghettis, plat auquel cette dernière ne touche pas, avant qu’elle ne rejoigne un lit immense poussiéreux visité par une petite souris, pour une nuit agitée peuplée de rêves d’Egypte ancienne (la période antique dont elle est fan, une passion partagée avec son camarade de classe et meilleur, Malcolm) et pour un sommeil interrompu par les ronflements du géant barbu et moustachu.

 

Le retour à l’école est quant à lui problématique. Violette profite, à plusieurs reprises, du cours au moment où la maîtresse a le dos tourné pour quitter la classe et retourner dans l’immeuble où elle vivait avec son papa et sa maman. Elle se couche alors sur le paillasson devant l’appartement, roulée en boule dans son pull jaune, petite tache de couleurs vives avec l’orange de sa chevelure courte dans la nuit endeuillée.

 

Chaque fois récupérée par l’oncle desarçonné par un comportement qu’il devine plein de chagrin rentré, Violette s’en tient au silence et reste peu sensible aux leçons de morale de l’assistante sociale…

 

Secrets et surprises en tous genres au château de Versailles

 

Il est bien difficile à une petite fille fugueuse, amoureuse de l’Egypte ancienne, au cœur déchiré par la mort de ses parents (elle retourne régulièrement en cachette place de la République devant la statue entourée d’hommages aux disparus) de fréquenter ses camarades de classe sans broncher. Et de communiquer avec un oncle maladroit, pétri de bonnes intentions mais visiblement mal dans sa peau et encombré de vielles fêlures.

 

Pourtant la vie au château du Roi Soleil, la fréquentation d’Olga, collègue de travail de Régis, à la fois admirative de l’art et capable de facéties peu compatibles avec sa fonction (comme de transformer son charriot d’entretien en moyen de transport rapide pour enfants hilares dans les galeries de Versailles), la brève confrontation avec le sérieux et autoritaire maître de cérémonie Monsieur Ange, conservateur du château et supérieur hiérarchique de Régis, l’exploration du tunnel souterrain au fond d’un trou en forme de puits atteignable par des petits encoches lors de descentes vertigineuses…autant d’expériences inédites aptes à chasser le chagrin, à transformer le refus d’être aimée en esprit conquérant et en élans débordant d’affection.

 

Une fable moderne à la composition visuelle et sonore de toute beauté

 

Des couleurs vives et des attributs vestimentaires distinctifs, des contours francs dessinent les quelques héros de ce conte comme des personnages immédiatement reconnaissables, un peu à la façon de Hergé, tout en préservant des détails d’expressions et d’attitudes trahissant l’évolution de leurs sentiments profonds autant que les variations des inflexions de leurs voix (remarquablement interprétées par les comédiens). Les décors, finement sculptés semblent d’abord dominés par des teintes de griset de noir, en correspondance avec les sombres états d’âme de Violette l’orpheline et la vielle souffrance refoulée de Régis (sa carrière de ‘porteur’ de danse classique a été stoppée net par une blessure, comme il le confiera à sa petite protégée). Puis, les couleurs plus lumineuses remplissent progressivement les espaces, les intérieurs de la ‘maison’ de Régis, les scintillement du château prestigieux, les cieux clairs se substituant aux ténèbres rougeoyantes d’un tunnel qui cache la petite révoltée et les jours limpides remplaçant les nuits d’insomnie. Au diapason de cette déclinaison chromatique, la composition musicale d’Alban de la Simone, tantôt dramatique, tantôt lyrique, prend une tonalité emprunte de joie énergique au fil du récit et de ses rebondissements jusqu’au torrent d’amour manifesté par l’embrassade prolongée entre le tendre géant et l’intrépide Violette au regard ému.

 

Autrement dit : petits (et grands) sont invités ici à vaincre leur peur  et à vivre intensément « La Vie de château ».

 

Samra Bonvoisin

 

« La Vie de château » de Clémence Madeleine-Perdrillat & Nathaniel N’Liml – sortie le 8 septembre 2021- en complément du programme, deux petites merveilles d’animation : « Parapluie » de José Prats et « Pompier » de Yullia Rondova

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 08 septembre 2021.

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