Bernadette Voisin-Girard : Que sait-on des inspections du 2d degré ? 

Chercheuse en sciences de l'éducation (laboratoire IRISSE La Réunion) et elle-même IA IPR en disponibilité, Bernadette Voisin-Girard est la seule scientifique à avoir travaillé précisément sur ce qui se passe lors des inspections. Sa thèse porte sur "l'activité de jugement des inspecteurs (IA IPR)". Elle en dévoile les secrets et réagit au livre d'Eric Maurin "Trois leçons sur l'école républicaine".

 

Comment sont choisis les professeurs inspectés ?

 

Aujourd'hui, avec le PPCR, il y a une liste  de professeurs qui arrivent au moment d'un de leurs trois rendez-vous de carrière. Entre 2008 et 2012, moment sur lequel porte le livre d'E Maurin, on essayait de maintenir une inspection tous les 6 ans en moyenne. Mais cela dépendait du nombre d'enseignants que suivait chaque inspecteur.

 

Quel est le déroulé d'une inspection ? Est-il identique d'un inspecteur à l'autre ?

 

Avant la mise en place du PPCR, l'inspecteur prévenait 3 ou 4 jours avant l'inspection. Il s'organisait avec le chef d'établissement pour choisir le créneau précis de l'inspection et prenait des informations auprès de lui avant ou après l'inspection. L'inspecteur observait une leçon pendant à peu près une heure. Suivait un entretien avec le professeur sur un laps de temps à peu près équivalent. Après il rédigeait son rapport dans un délai très variable selon les IPR.

 

Ces rapports sont-ils à peu près identiques dans leur conception ?

 

X Albanel avait montré leur hétérogénéité. J'ai travaillé sur ces rapports. Ils sont hétérogènes dans leur longueur, entre une demi page à 2 pages. En revanche les éléments sont identiques : contexte d'enseignement, leçon observée avec ses éléments saillants, recommandations, investissement de l'enseignant.

 

Les IPR ont-ils tous les mêmes pratiques lors de l'inspection ?

 

C'est la grande question de ma thèse. Les IPR se mettent d'accord sur les éléments à demander avant l'inspection pour mettre les enseignants déjà en réflexion. Il y a débat sur la façon dont on rédige le rapport. Par contre il n'y a pas d'accord sur la façon dont on conduit l'inspection dans la classe de l'enseignant. Comment observer ? Quoi observer ? C'est laissé à l'appréciation de chaque inspecteur. C'est pourquoi je me suis attaché à étudier le travail réel de l'inspecteur avec aussi ce qui se passe lors de l'entretien qui est le coeur de l'inspection.

 

Comment se positionnent les inspecteurs lors de l'observation et de l'entretien ?

 

En règle générale, les inspecteurs prennent des notes pendant la leçon sur les éléments qui les questionnent. Eléments remarquables ou éléments de désaccord. Ils observent le travail des élèves et écoutent leurs questions pour nourrir la réflexion pendant l'entretien.

 

Lors de ces visites IPR et enseignants se comprennent ils toujours ?

 

Il y a des incompréhensions et c'est ce que je mets en avant dans ma thèse. On pourrait définir un horizon lexical commun qui permettrait de partir de ce que l'enseignant fait ou voulait faire. C'est un élément fondamental pour que l'inspecteur puisse être compris. Il est possible de créer un développement dialogique pour que l'enseignant et l'inspecteur se comprennent. Mais dans les études de cas de ma thèse je montre une inspectrice qui ne crée pas cette compréhension mutuelle. Durant l'entretien il y a une totale incompréhension entre elle et la professeure. Finalement celle ci finit par dire "qu'elle n'est pas une bonne prof". L'entretien aboutit à une démotivation. On se rend donc compte qu'il y a des modalités d'entretien plus efficaces que d'autres. Pour améliorer les pratiques la compréhension mutuelle est la base.

 

Les rapports sont ils compréhensibles ?

 

En fait on voit qu'il y a souvent des malentendus. Les enseignants le voient plutôt comme un rapport sanction de leur professionnalité. Le rapport hiérarchique entre le professeur et l'inspecteur fait que celui ci n'a pas de retour sur son rapport.

 

Les IPR cherchent-ils à évaluer l'efficacité des pratiques des enseignants ?

 

Ils cherchent à évaluer l'efficacité de ce qu'ils observent en classe, la pertinence de la démarche pédagogique. Ils regardent ce que les élèves comprennent et si l'enseignant prend en compte cela. Mais il n'y a pas de regard sur les résultats des élèves sauf dans le cas d'une classe très difficile.

 

Il n' y a en tous cas pas d'évaluation explicite de l'effet de la leçon sur les résultats des élèves. C'est compréhensible car enseigner est une activité complexe et les apprentissages peuvent se faire de façon non linéaire.

 

A quelle condition une inspection pourrait-elle déboucher sur une amélioration des pratiques des enseignants ?

 

Pour moi il faudrait 3 conditions. D'abord de la compréhension mutuelle lors de l'entretien entre IPR et professeur. L'inspecteur doit être capable de proposer une évolution des pratiques de l'enseignant qui soit dans un décalage optimal. S'il propose quelque chose d'inaccessible cela n'a aucun effet.  Il faut donc bien faire le lien de signification entre ce que le professeur fait et ce qu'il pourrait faire. Enfin il faut accompagner l'enseignant. Or sur ce point on a raté le coche.

 

Peut-on évaluer l'efficacité d'un enseignant ? Les résultats des élèves au brevet le permet il ?

 

C'est un vrai souci dans le travail d'Eric Maurin. Il y a une confusion entre l'efficacité pédagogique et la réussite aux examens. La réussite à l'examen évalue la capacité à bachoter. Mais les élèves progressent ils vraiment ? Les examens ne sont pas forcément faits pour évaluer les compétences pour préparer les élèves au niveau supérieur.

 

En même temps son travail conforte l'impact positif de l'implication des enseignants. On sait que ceux ci sont plus impliqués quand l'inspection est suivie d'une réunion d'équipe pédagogique. Cela pose la question de l'accompagnement des enseignants. Et c'est devenu un problème. C'est un point fondamental que l'on a perdu faute de temps.

 

Propos recueillis par F Jarraud

 

La thèse de B Voisin Girard : Activité de jugement des inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) et développement de l’activité professionnelle en entretien d’inspection dans le système éducatif français : règles, jeux de langage, et conflits d'une activité dialogique pluri-adressée.

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 07 septembre 2021.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces