Depp : Le numérique, pratique la moins prioritaire dans les établissements 

Que sait-on des usages numériques dans les établissements scolaires ? Avec une nouvelle étude ("Le numérique éducatif : que nous apprennent les données de la DEPP ?"), le point fait par la DEPP, la division des études du ministère de l'éducation nationale, confirme ce que l'on sait déjà. L'équipement progresse mais reste très inégalement réparti. Surtout les  usages numérique sont la dernière roue du carrosse pédagogique.

 

Du déclaratif

 

Dans une première analyse sur Twitter, Sylvain Genevois, enseignant chercheur, nous dit : "Les données de la DEEP sont utiles pour la recherche, mais posent la question des méthodes et des paradigmes mobilisés pour étudier le numérique éducatif.". De fait on peut se questionner d'abord sur les modalités de construction de ces données  et donc leur degré de validité. L'auteure de ce document est à ce sujet tout à fait claire lorsqu’elle rappelle que nombre de ces enquêtes sont basées sur du "déclaratif". De fait, et c'est un des problèmes majeurs des enquêtes sur le numérique (Etic, profetic etc...) que d'être contraint de s'en tenir à ce que les acteurs veulent bien leur dire. Heureusement, d'autres travaux sont basés sur des activités à mener en classe et qui servent de base aux analyses (PISA, PIRLS etc.). Ceci dit nous avons là un matériau intéressant qu'il conviendra de relativiser en regard d'autres travaux menés aussi bien par des cabinets d'études, des chercheurs, ou autres...

 

Les effets très limités du numérique

 

Ce que l'on peut constater, c'est que les travaux présentés ici confirment ce que nous savons et suivons depuis plusieurs années : les effets du numérique sur les apprentissages et la pédagogie sont très limités et doivent être associés aux taux d'équipement en matériel mobile (cf. notre récente chronique "Espérer un usage "ordinaire" du numérique ? " Étonnamment la DEPP ne mène aucune enquête sur les ressources (informations, logiciels etc.) ce qui semble constituer un "trou dans la raquette" d'autant plus que ces ressources sont justement l'un des trois piliers du déploiement de l'informatique et du numérique en éducation depuis le début des années 1980. Abordons plus en détail certains éléments de ce document de synthèse :

 

Premier point, l'équipement est globalement en progression (et cela devrait se poursuivre suite à la crise sanitaire). Par contre on constate d'importantes disparités selon la taille et le type d'établissement.

 

Deuxième point la place du numérique dans les projets d'établissement semble être en progression. Les établissements de petite taille semblent mieux équipés, mais les pratiques n'augmentent pas pour autant. Faut-il interroger ces projets d'établissement dans leur effectivité ?

 

"La pratique la moins prioritaire et la moins faisable"

 

Troisième point, on retrouve les espoirs perdus du Rapport Fourgous p.8 : "Ainsi, comme nous allons le voir, la disponibilité d’équipements (plus ou moins importante) n’induit pas nécessairement leur utilisation par les enseignants, ni par les élèves.". A cela il faut rappeler ce qui s'appelle équiper un établissement ! D'ailleurs, les rapports montrent que certains équipements (Classes Mobiles) n'apportent pas autant que les équipements individuels mobiles (EIM). Les EIM sont favorables... à une progression "mesurés deux ans après la distribution des EIM correspondent à la progression d’un rang dans la classe pour un élève médian" (p.16)

 

Quatrième point les pratiques pédagogiques: on lit à la page 9 ce commentaire "l’utilisation pédagogique du numérique est considérée comme la pratique la moins prioritaire et la moins faisable par les professeurs de collège, et se distingue également comme la pratique pédagogique la moins répandue". Ainsi, le numérique est considéré comme complément à l'enseignement et donc lié à la formation des enseignants sur ses mises en oeuvre.  On peut penser que les enseignants ne semblent pas croire au numérique en classe (p.10) : "Il se pourrait alors que l’utilisation des TIC en classe, comme nouvelle méthode d’enseignement, soit freinée par le niveau trop faible de sentiment de préparation dans ce domaine."

 

Des élèves ayant des compétences faibles

 

Cinquième point les compétences des élèves qui seraient faibles. Ce constat est à analyser plus finement, il est écrit : "De plus, la présence plus importante des outils numériques dans le quotidien des jeunes n’est pas toujours associée à une progression dans les apprentissages. Ceci est notamment dû au fait que les tâches requises dans les apprentissages scolaires diffèrent des tâches effectuées par les élèves dans leur utilisation personnelle des outils". Nous avons là une des clefs de l'hétérogénéité des compétences. Il y aurait en particulier les différences liées aux catégories sociaux professionnelles et plus largement au contexte "culturel" (et éducatif, mais les enquêtes n'en parlent pas) des foyers dans lesquels vivent les élèves

 

Sixième point concernant le climat scolaire et l'inclusion. L'augmentation de la violence au travers d'Internet en particulier semble significative. Toutefois, il nous faut analyser cela avec prudence, car l'invisibilité du harcèlement en classe est une réalité observée de manière empirique. Il semble que face au silence la parole sur le harcèlement se lève progressivement avec le développement du numérique. Quant à l'inclusion, définie curieusement comme l'utilisation plus grande du numérique dans l'établissement, il est écrit : "L’intégration du numérique dans les enseignements et la vie scolaire semble très liée à l’équipement effectif des collèges, à l’action du chef d’établissement, à l’accompagnement dont les enseignants bénéficient ainsi qu’aux représentations qu’ils ont du numérique en général et de son utilisation pour leur métier."(p.15). Il aurait été intéressant qu'une analyse soit faite sur la véritable inclusion, à savoir comment les enfants souffrant de troubles et de handicaps sont aidés ou non par le numérique (cf les prêts d'ordinateurs pour certains élèves à besoins particuliers).

 

Trous dans la raquette...

 

Pour terminer cette analyse, citons ce passage : "Cette utilisation régulière des outils numériques en classe par les élèves va de pair avec une mise en oeuvre plus fréquente de pratiques pédagogiques « actives », mettant en avant des activités d’expérimentation, promouvant le travail de groupe ou la différenciation. A contrario, lorsque l’enseignant est le seul à utiliser les outils numériques en classe, les méthodes d’enseignement semblent plus relever de pédagogies traditionnelles". Cela semble relever de l'évidence pour qui connaît bien les établissements scolaires et leur fonctionnement. L'ensemble de ces études pourrait permettre de faire des recommandations. Mais celles-ci sont bien connues et depuis longtemps. Le confinement n'a pas apporté de grandes nouveautés dans ce domaine. Toutefois la crise sanitaire est révélatrice de tous ces constats faits depuis plusieurs années pour certains.

 

On peut alors légitimement se demander à quoi servent les études de la DEPP, les rapports parlementaires ou de l'IGAEN désormais IGESR. En effet, les constats ne sont pas nouveaux, ils se répètent au cours du temps, mais n'amènent que peu de changements. Seule une crise sanitaire massive semble avoir fait réagir les décideurs et les financeurs, mais l'espoir d'un retour au temps d'avant pour ce qui est des pratiques pédagogiques confortera les constats du peu de lien avec le numérique. Manifestement il y a des trous dans la toile des missions de la DEPP pour ce qui concerne le numérique : ni les ressources ni l'EMI ne sont analysés, on peut s'interroger sur le pourquoi ?

 

Bruno Devauchelle

 

L'étude

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 06 septembre 2021.

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