Laurence de Cock : Ecole publique et émancipation sociale 

"Jamais le démantèlement de l’école publique n’aura été aussi brutal que sous le mandat présidentiel d’Emmanuel Macron. De la maternelle à l’université, ce sont les enfants des catégories populaires qui en paient le prix fort. En face, la résistance est faible. Doit-on y voir la perte du sens de l’école publique ?" Dans ce nouvel ouvrage, Laurence de Cock, professeure de lycée et chargée de cours à Paris Diderot, revient sur les principes fondateurs de l'école de la République et son évolution. Qu’en reste-t-il aujourd’hui et sur quelles bases refonder une école au service des masses ? L'ouvrage propose un chemin exigeant pour construire émancipée. Elle s'en explique dans cet entretien.

 

Quand on écrit sur l'Ecole française souvent c'est sous l'angle des inégalités sociales, un domaine où notre école excelle. Dans ce nouveau livre vous parlez d'émancipation sociale pour l'école. Pourquoi choisir ce concept ?

 

Le concept d'émancipation sociale est souvent dénaturé. JM Blanquer, ou E Macron, ne voient dans ce concept que sa dimension individuelle. L'émancipation serait réduite à une sorte de libre entreprise de soi. Ce serait réussir le mieux possible sa vie. Une pensée de gauche, où je m'inscris, doit redonner à l'émancipation sa dimension collective. Ce n'est pas la libre entreprise de soi mais la fait de se libérer de nombreuses aliénations grace au collectif. C'est retrouver le sens de l'intérêt général. C'est viser un modèle de société juste, égalitaire et dans lequel la question de la réussite se situe grâce aux autres. Dans ce livre j'essaie de redonner un sens de gauche au concept d'émancipation.

 

Dans cette optique, pour l'école française, l'urgence semble être d'amener de la mixité sociale dans les établissements. Mais comment faire ?

 

C'est une question difficile car la mixité sociale ne peut être imposée d'en haut. On le voit à Paris avec les nouvelles affectations de collège. Quand on a des décisions descendantes et pas explicitées on génère des réactions de défense. Il faut que l'idée de la mixité sociale soit retrouvée par la société elle même. Dans mon livre je rappelle la responsabilité des gens de gauche qui sont partisans de la mixité sociale mais sont les premiers à trouver des stratégies d'évitement des quartiers dangereux ou des écoles à problèmes ou qui savent trouver les stratégies pour aller dans les meilleures classes. Je comprends leur souci que leur enfant soit dans un meilleur environnement. Mais cela contribue à effilocher l'idéal de la mixité sociale.

 

Il y a une autre condition pour aller vers plus de mixité sociale. C'est ne pas attribuer uniquement à l'école la nécessité de la mixité sociale. Elle ne peut se construire que par la redistribution des richesses et la fin du capitalisme. Ca veut dire un travail sur la taxation des plus riches et sur la répartition sociale des populations des quartiers. Ca doit devenir des boussoles pour la gauche.

 

Comment organiser cette école de l'émancipation sociale ?

 

Je donne des pistes dans le dernier chapitre. Le premier point c'est que l'école soit publique ce qui garantit un traitement égal des enfants et l'accent mis sur ceux qui ont le plus besoin de l'école. La deuxième condition c'ets la formation des enseignants. Les enseignants sont peu sensibilisés à ce qu'est l'école publique, à l'environnement qui va les accueillir. La formation doit comprendre des connaissances précises sur l'histoire de l'école, de la pédagogie, des domaines délaissés, sur la sociologie de l'éducation, la psychologie de l'enfant. Des professionnels qui entrent dans un environnement qu'ils ne connaissent pas ne peuvent pas développer un idéal éducatif d'émancipation.

 

La 3ème condition c'est un long travail sur les contenus d'enseignement. J'y consacre deux chapitres du livre. Les contenus d'enseignement ne peuvent pas s'improviser en deux semaines dans les couloirs du ministère comme on l'a vu faire pour les programmes de lycée professionnel. A la meilleure période pour la rédaction des programmes, sous le CNP de 1989 à 2005, on mettait deux ans et demi pour écrire un programme avec des discussions longues, des débats entre disciplines et entre degrés. L'école est un lieu de transmission de connaissances et les enfants des quartiers populaires ont besoin de cette transmission. C'est aussi le lieu de la raison et du développement d'un esprit critique. Enfin c'est un lieu d'apprentissage de compétences sociales et civiques.

 

J'écris aussi sur l'architecture des écoles et comment elle peut répondre à ces principes de base avec par exemple des écoles qui proposent des lieux pour le collectif et le débat.

 

Vous êtes critique sur les pédagogies "innovantes" qui ont le vent enpoupe aujourd'hui. Quelle pédagogie pour une école émancipée ?

 

C'est leur instrumentalisation par le gouvernement et la purge de leur dimension critique et émancipatrice qui me fait réagir. Elles sont mises au service de l'affirmation de soi plutôt qu'au service de la justice sociale.  Cs pédagogies sont aussi souvent trop implicites pour les enfants qui ont besoin d'abord d'un apport de connaissances.

 

Avec les dédoublements, JM Blnquer se donne l'image d'un ministre qui s'attaque aux inégalités sociales. C'est le cas ?

 

Pas pour moi. Il est dans la filiation d'une politique droitière qui considère que chacun doit être à sa place dans une optique de légitimation de la place de chacun. C'est une politique qui vise à rendre justes les inégalités.

 

Bien sur plus l'effectif d'une classe est réduit , plus on peut accompagner les élèves. Mais le dédoublement en lui même ne règle rien. Quand les enseignants ne sont pas formés, sans discussion ni formation la mesure est peu efficace. On l'a préféré à un dispositif, le "plus de maitres que de classes" qui était plus efficace.

 

La majorité des enseignants et même des cadres sont contre la politique menée par le ministre. Pourtant celui ci rencontre peu de résistance. Comment l'expliquer ?

 

 Il y a d'abord la peur. C'est le ministre le plus répressif depuis longtemps. Il n'hésite pas à criminaliser le militantisme enseignant. Cet autoritarisme est relayé par les cadres qui font beaucoup moins tampon qu'auparavant. La deuxième raison est liée à la sociologie de l'école. Les enseignants préfèrent se replier sur leur confort et le sens du métier se délite. Il y a dans ce métier une sorte de mission, un engagement. Pour tenir face à l'ingratitude de ce métier, bien relayée parla société et le ministère, il faut de l'engagement. Sans engagement on se replie. Enfin il y a des gens qui se font piéger par la soif de reconnaissance. Avec des réforms qui encouragent le mérite ça va empirer...

 

Que faudrait il pour une école émancipée ?

 

Il faut un vrai débat dans la société sur l'Ecole. Autrement dit l'inverse du Grenelle de l'éducation. Il faudrait déconnecter la réforme de l'Ecole du calendrier politicien. Ca ne se fera qu'avec du temps long et des moyens financiers. La priorité doit revenir à l'école publique.

 

Il faut de l'humilité politique ?

 

Si la gauche l'emporte il faudrait aller discuter dans les quartiers difficiles et prendre le pouls de ce qui va et ne va pas à l'Ecole. Actuellement, le terrain souffre de la surdité de la hiérarchie.

 

Propos recueillis par François Jarraud

                                             

Laurence De Cock, École publique et émancipation sociale, Edition Agone, ISBN  9782748904710

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 03 septembre 2021.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces