Le film de la semaine : « Un Triomphe » d’Emmanuel Courcol 

Un comédien en difficulté décide de monter « En attendant Godot », la pièce de Samuel Beckett, avec une troupe composée de détenus d’un quartier de haute sécurité. Vous croyez à une plaisanterie de mauvais goût ? C’est au contraire, après « Cessez-le-feu » [2016],  le sujet du deuxième film d’Emmanuel Courcol, « Un triomphe », une comédie réussie et instructive, librement inspirée (et écrite avec son coscénariste Thierry de Carbonnière) de l’expérience extraordinaire vécue par le metteur en scène suédois Jan Jönson au milieu des années 80. Très documentée, fruit d’une longue imprégnation et d’un travail collectif, la fiction du cinéaste met en avant une bande d’acteurs minutieusement choisis, emmenés avec panache par Kad Merad en animateur acharné d’un atelier ‘théâtre’ en prison. Résultat épatant : au bout du chemin tortueux, une aventure humaine hors normes, à travers le pouvoir émancipateur de la création, au-delà de tout ‘triomphe’ programmé, au plus près des aspirations à la reconnaissance et du rêve de liberté enfouis au coeur des personnages, en correspondances secrètes avec l’univers de Beckett.

 

Projet théâtral fou en milieu carcéral hostile

 

Etienne (Kad Merad), comédien à bout de souffle, ne soulève pas l’enthousiasme dans son entourage lorsqu’il se décide à accepter d’animer un atelier ‘théâtre’ en milieu carcéral. Son vieux copain Stéphane (Laurent Stocker) dirige une ‘scène nationale’, sa femme joue du ‘Claudel’ et sa fille Nina (Mathilde Courcol-Rozès) étudiante en master se montre peu réceptive à pareille entreprise. Nous comprenons d’emblée que le défi est autant à relever pour lui que pour les éventuels participants (et prisonniers).

 

Nous entrons donc avec lui dans une prison moderne de haute sécurité au sein de laquelle des détenus de droit commun, souvent condamnés à de lourdes peines, purgent de longues années de prison.

 

Notre homme se soumet à tous les contrôles contraignants réservés aux visiteurs. Surveillants sans empathie particulière, longues traversées de couloirs impeccables de froideur et de grisaille, franchissement de portes métalliques et visions des grillages gris clair séparant les différents espaces fonctionnels…

 

Les premiers contacts avec les détenus potentiellement candidats à l’atelier en question s’avèrent très difficiles : des motivations floues voire inexistantes, simplement portées par le souci d’échapper à l’ennui et à l’enfermement. Lorsque l’un d’entre eux s’essaie cependant à dire jusqu’au bout une fable de La Fontaine, sa tentative suscite ricanements et sarcasmes. Et puis, l’animateur à la peine envisage dans un premier temps le recours à des exercices d’expression  physique…Le découragement menace.

 

Progressivement, à tâtons, entre rejets des propositions du meneur de jeu, rivalités entre détenus et curiosité intriguée pour le pari risqué, un petit groupe se cristallise, plus qu’un atelier éphémère, pas encore une troupe constituée. D’autant qu’Etienne doit ménager une administration inquiète, respectueuse du règlement, hantée par les dangers d’un de débordements (dont celui d’une évasion) et la volonté de soutenir un projet innovant. Dans ce registre, la directrice de l’établissement (Marina Hands) incarne subtilement les contradictions inhérentes à sa fonction.

 

Affres de la création chez des apprentis-acteurs face à l’œuvre de Beckett

 

Plus que les alea liés aux humeurs (et décisions incertaines) des autorités administratives et judiciaires (périodicité des séances de l’atelier, durée et lieux des répétitions, éventuelles permissions de sortie, accord donné pour une représentation dans un vrai théâtre à l’extérieur de la prison…) – des valses-hésitations traitées comme des inserts réguliers encadrant l’action principale-, la caméra d’Emmanuel Courcol se focalise sur le cœur de son sujet : le long et douloureux chemin  impliqué par le processus d’apprentissage du jeu (avec son cortège de découragements, d’engueulades, de remises en cause de l’autorité du metteur en scène jusqu’au départ d’un membre de l’équipe sous la pression de celui qui veut prendre sa place…).

 

Et dans le chaudron ‘pénitentiaire’ de la création, ça chauffe, sous l’autorité, bien maîtrisée, d’Etienne qui se révèle capable de faire émerger des talents insoupçonnés chez des prisonniers et apprentis comédiens, confrontés au texte de « En attendant Godot », un univers qui leur paraît a priori entièrement étranger et totalement incompréhensible…jusqu’à ce qu’ils s’en approprient, chacun à sa manière, (nous n’en voyons que des extraits) certaines dimensions et saisissent ce qu’Etienne suggère en ces termes : ‘la vérité est dans votre vie’.

 

Alors, Moussa (Wabinlé Nabié), Kamel (Sofian Khammes), Patrick (David Ayala), Jordan (Pierre Lottin), Alex (Lamine Cissoko) et Boïko (Alexandre Medvedev), dépassent leur condition de condamnés pour devenir partie-prenante d’un spectacle et de représentations d’une œuvre, apprenant au fil du temps les facteurs entrant dans la composition du dit spectacle : la distribution des rôles, la fonction des costumes, le poids du décor (et son minimalisme)…

 

Représentations à succès, dénouement ouvert

 

Sans démonstration prétentieuse ni profession de foi éthique, les partis-pris de mise en scène de cette comédie stimulante soulèvent cependant des questions de fond, en particulier sur l’accès à l’estime de soi, la compréhension du collectif de création, le pouvoir libérateur de la pratique artistique et la transformation de l’appréhension de l’existence à travers une oeuvre, en l’occurrence celle de Samuel Beckett.

 

Il serait criminel de déflorer l’issue inattendue de cette expérience hors du commun qui conduit notre joyeuse troupe à effectuer une ‘tournée’ théâtrale dans plusieurs villes de France. Nous garderons  donc le silence sur un dénouement ouvert à tous les vents. Le monologue qu’Etienne adresse aux spectateurs, dans un sursaut émouvant, et une rupture de ton déroutante, suggère en tout cas le trésor émotionnel et intellectuel déposé en chacun des protagonistes, et communicable au public, par l’incarnation d’une œuvre sur scène.

 

Jan Jönson, le metteur en scène suédois, à l’origine de la première expérience de ce type avec des détenus à partir de la pièce de Beckett, raconte qu’un prisonnier prêt à jouer Vladimir lui a lancé : ‘« En attendant Godot », ce n’est pas une pièce’, puis  il a ajouté : ‘C’est mon journal intime’.

 

A sa façon, drôle et désarmante, « Un Triomphe » d’Emmanuel Courcol propose une des interprétations possibles de cette affirmation lapidaire d’un prisonnier suédois.

 

Samra Bonvoisin

« Un Triomphe » d’Emmanuel Courcol-sortie le 1er septembre 2021-

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 01 septembre 2021.

Commentaires

  • patrickrall, le 01/09/2021 à 20:56
    Il parait que c'est assez intéressant, il va falloir le voir au plus vite
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