Claire Lommé : Le bocal à bonbons 

Motivés, motivés ! Quelle année ! Difficile de motiver les troupes, aussi fatiguées que nous le sommes. Et pourtant, nous avons souffert de la discontinuité des rythmes scolaires et des changements intempestifs de mode d’enseignement (présentiel, distanciel, hybride…). Alors profitons jusqu’au bout pour transmettre des savoirs et des compétences ! Mais une fois cela dit, une question se pose : d’accord, je fais comment ? C'est là que le bocal à bonbons s'impose...

 

Un bocal dans la classe

 

Pour ma part, je procède comme je le fais souvent quand les élèves ou moi avons un coup de mou : un peu de surprise, de fantaisie, quelque chose qui brise la routine. Mais avec des maths dedans (ou autre chose d’utile à apprendre : hé non, il n’y a pas que les maths dans la vie, même pour moi !). Alors j’ai remis au goût du jour mon activité d’estimation, que je n’avais pas mobilisée récemment : un vase, des bonbons, une question : combien ?

 

Les règles du jeu sont simples : deux semaines pour répondre à la question. J’avais prévu une semaine, mais une de mes classes a fermé de façon intempestive et c’est mieux deux semaines. Cela laisse le temps d’oser. Des temps courts sont dévolus à l’activité pour les volontaires. On peut aussi venir à la récré ou le midi. Les mesures de longueur sont autorisées. On a évidemment le droit de se déplacer (ce qui est important, particulièrement ces temps-ci : après avoir pu bouger un peu, c’est plus facile d’être assis sur sa chaise et de se concentrer), d’aller chercher une calculatrice dans le placard. Les adultes qui passent dans la classe ont aussi le droit de jouer. Deux interdits : participer plusieurs fois (ce qui oblige à un peu de logistique) et bouger le vase, le soulever. Evidemment, un film alimentaire protège obstinément les bonbons, sans quoi leur nombre tendrait rapidement vers 0 et sur le plan sanitaire, ce serait une fort mauvaise idée.

 

Pourquoi travailler l’estimation en mathématiques ?

 

Estimer un résultat, ce n’est pas facile. L’estimation est en lien avec les ordres de grandeur et dépend du contexte : je ne vais pas estimer de la même façon la distance à laquelle Thomas Pesquet se trouve de nous en ce moment et le nombre de bonbons contenus dans mon vase. Il y a ainsi dans l’acte d’estimer une composante qui rend l’exercice souvent inconfortable pour les élèves : une prise d’initiative qui paraît assumer de la subjectivité. Beaucoup d’élèves m’ont demandé « à combien près il faut donner le résultat ? », « Si je me trompe de 5, c’est que je me suis beaucoup trompé ? », etc. Autrement dit, ils sont habitués à la présence d’une consigne qui les sécurise, au mieux explicite, au pire suffisamment reconnaissable scolairement pour savoir quoi faire. Certains élèves n’ont d’ailleurs pas répondu, car ils n’étaient pas en capacité de faire cette estimation : c’était trop flou, sans cadre, cette tâche. Comme quoi il faut la travailler !

 

Mais estimer, comme c’est lié à un contexte, c’est aussi une compétence sociale : devant une question d’estimation de masse, de hauteur, de distance, nous sommes facilement perplexes. Et nous avons peur de nous tromper de façon « ridicule ». Cette peur-là est à éliminer : le ridicule ne tue pas, mais la peur du ridicule empêche de réfléchir et brime.

 

Et estimer, c’est indispensable pour bien calculer : on sait à peu près où on va, on régule sa démarche au fur et à mesure en s’autocorrigeant si on sort des clous du possible. Cela sécurise, mais pas seulement : savoir estimer participe à nourrir la compréhension du nombre. Les élèves sont souvent en difficulté lorsqu’il s’agit d’estimer des décimaux au centième ou au millième près : ils n’ont en fait pas encore tout à fait bien compris la construction du nombre. Estimer nécessite de savoir comparer, ordonner, décrire et penser le nombre.

 

Finalement, estimer est une compétence qui pourrait être considérée comme certificative, tant elle ne peut être validée complètement qu’en bout de chaîne. Sans compter la méthodologie de mesure et le recours aux modèles que la question rend nécessaires.

 

Grandeurs et mesures

 

Pour estimer le nombre de bonbons du vase, plusieurs démarches sont possibles : certains élèves (et adultes) y vont tout à fait à l’arrache et vous annoncent moins de 50 ou plus de 3000. D’autres commencent à compter et fatiguent alors y vont à la louche. D’autres encore calculent le volume de bonbons en mesurant le diamètre et la hauteur, estiment le volume d’un bonbon (pas facile, car pas le droit de bouger le vase et pas de bonbon à disposition) et en déduisent une bonne approximation. J’en ai vu aller chercher de la ficelle dans la boîte à problèmes, pour mesurer le diamètre ou le périmètre du disque de base. D’autres, pour mesurer le diamètre, ont pris une grande règle et l’ont déplacée pour obtenir la plus grande corde du cercle. Beaucoup comptent le nombre de bonbons de l’étage du dessus et le nombre d’étages (en général c’est plutôt bien aussi), d’autres « calculent les tranches verticales et multiplient ». Un élève a acheté des bonbons identiques pour extrapoler en reconstituant une expérience similaire chez lui, en menant deux démarches : une démarche théorique et une démarche expérimentale, avec une production écrite formidable qu’il a pris la peine de mettre en forme avec des photos et des justifications détaillées. Le bonheur.

 

Enfin, j’ai souvent entendu la question : « madame, j’ai mesuré, mais je sais pas combien ça pèse un bonbon » : les grandeurs forment parfois une joyeuse ratatouille dans l’esprit des élèves. Je mesure bien des longueurs pour trouver un volume ; pourquoi pas diviser par une masse alors ?

 

Et après ?

 

Les réponses obtenues ont une amplitude importante : ils vont de 30 à 2332. Comme il y a des ex-æquo, nous avons 8 gagnants. J’ai trois objectifs :

•          Pourquoi des réponses différentes ont-elles le même rang dans le palmarès ? Des élèves se sont déjà étonnés que 244 et 246 aient la même valeur, pour la réponse attendue qui était 245. Pour plusieurs, 244 est préférable à 246. Il faut que nous en discutions…

•          J’ai 8 gagnants et je voudrais que le nombre de bonbons offerts à chacun soit inversement proportionnel au rang (1ier, 2e, 3e). Combien puis-je donner de bonbons à chacun ? Les 6e chercheront en tâtonnant, mais en 5e et 4e je voudrais que nous posions une équation et que nous la résolvions. Voilà qui ouvre à d’autres savoirs et d’autres compétences, et met tout en lien ;

•          Il nous restera à débattre, pour atteindre mon objectif initial : estimer, ici, comment peut-on faire efficacement ? Nous allons comparer les démarches et réfléchir ensemble. Il y aura forcément de l’aire du disque, du volume de cylindre, du volume de pavé droit (les élèves ont en général choisi d’assimiler la forme d’un bonbon à un pavé), le retour à ce qu’est le diamètre et comment le mesurer sur un cercle dont le centre n’apparaît pas. Nous pourrons nous interroger sur les unités, sur les ajustements possibles ou nécessaires (il y a de l’espace entre les bonbons, il faut veiller à ne pas compter l’épaisseur du fond du vase, etc.).

 

Je compte bien réitérer, de façon plus régulière l’année prochaine, peut-être au rythme d’une estimation par mois. Je vais varier les objets, les effectifs, le contenant (sa taille, sa forme, son opacité ou sa transparence). J’ai commencé à imaginer une progression pour permettre aux élèves de trouver leurs marques, de construire leurs méthodes, de se donner des repères.

 

Claire Lommé

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 22 juin 2021.

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