Séverine Tailhandier : Enseigner la lecture et l’orthographe en même temps ? 

Comment investir en même temps la lecture et l’orthographe ? Une question qui traverse les enseignants du premier degré, tout particulièrement ceux de cycle 1. Une question pertinente lorsque l’on sait que des études montrent qu’enseigner simultanément orthographe et lecture permettrait de meilleurs résultats et en lecture et en orthographe. Un projet original qui se développe officiellement en Saône et Loire dans plusieurs circonscriptions et auquel Séverine Tailhandier, docteure en didactique de la lecture de la littérature, et les membres de l’équipe de « l’enthousiasme orthographique », participent. L'enthousiasme et le soutien académique suffisent-ils à valider la méthode ?

 

Séverine Tailhandier, outre sa casquette de chercheuse, enseigne dans le supérieur et dans le second degré. Ses recherches portent sur l'apprentissage de la compréhension de l'écrit. Elle expérimente une démarche d'apprentissage de la lecture nommée ISIS, actuellement utilisée par des enseignants de tous les cycles dans son académie. Ses articles actuels portent sur l'enseignement explicite des stratégies de lecture. Elle s'investit dans le dispositif « enthousiasme orthographique » après sa rencontre avec l’équipe, composée d’enseignants de maternelle et élémentaire, de deux inspecteurs et d’un entrepreneur, Marc Boudot, tous du bassin creusotin. « C'est la synergie des idées de Marc Boudot sur le projet et l'expertise des enseignants qui a menée à l'élaboration du dispositif didactique LEO - Lecture- Écriture Orthographiée- puis à la mise en place dans les premières classes tests du dispositif Enthousiasme Orthographique ». Enthousiasme orthographe est soutenu par l'académie de Dijon.

 

Une rencontre à l’initiative de l’équipe qui souhaitait intégrer des enseignants chercheurs pour nourrir les réflexions autour des pôles orthographe-lecture et motivation du dispositif et ayant une connaissance du terrain et des problématiques d'enseignement du français du cycle 1 au cycle 3. « Mes champs de recherche sur les formes de lecture, mon implication en tant que formatrice dans l'académie de Dijon m'ont amenée à échanger avec eux. J'ai été enthousiaste en observant et découvrant le projet, ce qui m'a amenée à m'impliquer dans le dispositif - suivi des enseignants testeurs, réflexion collaborative autour de l'élaboration des outils didactiques, mais aussi dans des projets en construction, réunissant nous l'espérons les dispositifs didactiques LEO et ISIS. L’objectif étant de proposer une approche d’apprentissage complète : compréhension du texte, interprétation et codage c’est-à-dire la lecture et l’orthographe « en même temps » comme le préconise plusieurs résultats d’étude » explique Séverine.

 

Une entrée graphophonologique plutôt qu’alphabétique

 

C’est en 2020 que naît le projet de l’équipe de l’Enthousiasme Orthographique lorsqu’ils ont mis au point un nouveau référentiel orthographique, l’Arbre Programmatique de l’Orthographe, qui propose une entrée graphophonologique plutôt qu’alphabétique. Une initiative qui vise à permettre à l’élève d’orthographier correctement un mot qu’il n’a jamais vu, sans l’aide d’un adulte. Par exemple, dès le début de l’apprentissage, il écrira en autonomie, bateau et non bato. Alors que cette expérimentation concernait le domaine de l’orthographe, plusieurs enseignants testeurs ont indiqué que ce nouvel outil avait eu un impact sur le niveau de lecture des élèves. « En 15 ans d’enseignement du CP, je n’ai jamais eu autant d’élèves scripteurs et lecteurs dès janvier » explique Claudine Tétard enseignante de CP à Montchanin (71).  « Au regard de ces témoignages, cette année, une seconde expérimentation a été proposée à des enseignants de CP de deux circonscriptions du département de Saône et Loire. Des enseignants de maternelles grande section ont aussi été invités, partant du principe que si ces outils simplifient l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe, les jeunes élèves de GS seront capables de lire et écrire des mots et des phrases simples, dans une phase d’initiation » raconte S Tailhandier. Aujourd’hui, ce sont 603 élèves et 36 enseignants qui expérimentent depuis janvier la démarche d’apprentissage nommée LEO - Lecture et Écriture Orthographiée « en même temps ». Des élèves de quinze grandes sections, 20 CP et une classe ULIS GS-CP scolarisés en REP ou en milieu rural qui quotidiennement s’entraînent à lire et orthographier en même temps.

 

37 graphèmes pour un premier pas dans la lecture et l’orthographe

 

Ainsi, chaque jour pendant 30 minutes deux rituels collectifs sont proposés.  L’un pour apprendre les 37 graphèmes d’usage du français – dont a, b, c…, on, in, oi, ch... que les élèves chantent 10 comptines sous forme de karaoké. L’autre, pour apprendre à assembler les graphèmes entre eux. Le ‘’rituel du chef d’orchestre’’ propose aux élèves d’encoder quatre à six mots en utilisant l’arbre programmatique de l’orthographe. Chaque séance se termine par des activités individuelles d’encodage, de décodage et d’écriture.

 

C’est lors de la première phase de l’expérimentation, qui dure de 12 à 16 semaines, que les élèves travaillent uniquement sur les 37 graphèmes d’usage du français. Ils s’entrainent, entre autres, à la lecture de phrases transparentes composées uniquement des 37 graphèmes : " Le pirate marche sur son navire. On lui a livré une petite boite. Il ouvre la boite. Chic… "

 

Dans la seconde phase d’apprentissage, les phrases transparentes sont enrichies de sous-graphèmes mis en couleur dans les textes. Par exemple avec les différents graphèmes du son [o], « Le pirate marche sur son bateau. Il observe autour de lui si le crocodile voleur ne rode pas ». « L’un des atouts important de l’approche est de proposer aux élèves, après chaque nouvel apprentissage de graphèmes, des textes 100% déchiffrables, un graal que les didacticiens cherchent depuis longtemps », explique Séverine.

 

Un projet qui se base sur la recherche ?

 

« Les choix didactiques de la démarche LEO sont tous induits par des résultats d’études des neurosciences et sciences cognitives que l’équipe d’enseignants, de chercheurs et de créatifs a transformé en outils pédagogiques», nous dit S. Tailhandier. « Un ingrédient clé est ajouté à chaque outil créé : l’enthousiasme, c’est-à-dire la recherche chez l’élève d’un haut niveau d’attention. Et puis, l’une caractéristique de LEO est de scinder la progression en deux phases. D’abord l’apprentissage des 37 graphèmes d’usage et la lecture de textes composés uniquement de ces graphèmes. Un peu comme si le français devenait une langue transparente tel l’italien ou le finnois. Avec peu de connaissance, 37 graphèmes sur 151, l’élève peut expérimenter tout ce qui constitue la lecture et l’écriture. Il peut même travailler sa fluence et vivre le plaisir de lire. Dans la deuxième phase, il découvre et mémorise pas à pas les 114 sous-graphèmes et graphèmes rare. Par exemple pour le phonème [in] le graphème d’usage est le « in », les sous-graphèmes « ain, ein, en, un, im », et des graphèmes rares « yn, ym, aim, um » » développe la chercheuse. Une autre originalité, que tient à spécifier la chercheuse, est de permettre au jeune élève d’encoder un mot qu’il ne connait pas, sans commettre d’erreur orthographique.  Il s’agit donc, ici, de proposer une entrée dans l’apprentissage de la lecture par « l’encodage orthographié » partant du principe que la tâche d’encodage conduit à la réussite en lecture et en orthographe. Dit autrement l’orthographieur sait lire, alors que le lecteur ne sait pas forcément orthographier.

 

Retour positif des enseignants participant à l’aventure

 

Enseignante à l’école Anne Franck de Châlons-sur-Saône, Marie Inacio, ne tarit pas d’éloges.  « Ce dispositif est très intéressant car il suscite une remise en question et de la créativité pour l’enseignant. Ainsi dès le départ les interrogations et les réflexions pédagogiques sont nombreuses. Si le résultat final se constate sur le long terme, ce dispositif permet à l’enseignant de s’investir pleinement dans les activités et d’observer les progrès de ses élèves. Très adaptable, ce dispositif permet à chacun d’évoluer en fonction de ses capacités et besoins. Il permet très rapidement de motiver les élèves à orthographier des mots complexes. Et pour finir, la démarche Léo est un outil très riche au niveau didactique qui permet un travail de différenciation intéressant. Il offre la possibilité de travailler la coopération en orthographe tout en respectant le rythme de chacun ».

 

« C'est une très belle aventure ! C'est une grande chance pour moi d'avoir intégré l'équipe de l'enthousiasme orthographique, surtout lorsque j'observe l'intérêt que le dispositif suscite chez les enseignants, les progrès des élèves, et la dynamique qui se met en place de manière grandissante », estime S. Tailhandier. Beaucoup d'enthousiasme. Mais une expérimentation qui reste à faire ses preuves.

 

Lilia Ben Hamouda

 

Une agence de casting littéraire

 

 

Par fjarraud , le mercredi 26 mai 2021.

Commentaires

  • fc9d518, le 25/04/2022 à 12:17
    Ils sont marrants ces technocrates qui n'ont jamais mis les pieds sur le terrain et qui croient découvrir l'eau chaude !
    Elle aurait dû demander aux vrais experts (les profs d'école) et on lui aurait dit que ça n'a aucun sens de vouloir enseigner la lecture indépendamment de l'orthographe, ça lui aurait économisé du temps.

    Et quand on lit sa méthode, c'est juste n'importe quoi, en réalité ce n'est pas la lecture qu'elle enseigne mais uniquement le déchiffrage, c'est à dire une seule compétence (et même pas la plus importante).
    En plus elle prend le problème à l'envers : la bonne question c'est pourquoi certains profs séparent-ils lecture, orthographe, vocabulaire, conjugaison, etc... alors que tout est intimement lié ?
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