Le film de la semaine : « Playlist » de Nine Antico 

Comment aborder à l’écran le portrait d’une jeune trentenaire d’aujourd’hui sans marcher dans les pas d’illustres maîtres en la matière d’Eric Rohmer à Maurice Pialat, de Christophe Honoré à Céline Sciamma ? Pour son premier film, Nine Antico emprunte une voie singulière nourrie par sa pratique talentueuse de l’illustration et de la bande dessinée depuis une douzaine d’années. Choix du Noir et Blanc, succession de chapitres titrés, voix off d’un narrateur, à l’identité inconnue, musiques et chants revenant comme des leitmotivs…la réalisatrice recourt à des formes visuelles et sonores en adéquation avec la personnalité changeante et surprenante de Sophie, sa jeune héroïne en quête de stabilité affective et professionnelle. Une comédie emballante avec la comédienne Sara Forestier, formidable dans un rôle écrit pour elle.

 

Le quotidien bousculé d’une jeune rêveuse obstinée

 

Cependant que s’élève une voix féminine, langoureuse et chaude (‘Don’t be sad’), nous plongeons dans la grisaille du métro parisien, filmé en Noir et Blanc, et la caméra s’attache à Sophie (Sara Forestier), visage pensif. Un moment ordinaire avec tentative de vol de portable au fond du wagon, improvisations de slameurs et la jeune fille toujours songeuse. Nous la retrouvons face à sa colocataire très remontée faisant une mise au point virulente sur quelque désordre ménager dont Sophie serait la cause. Un rappel à la loi ‘avant que ça parte en sucettes’, précise-t-elle.

 

Sophie a 28 ans et des rêves plein la tête. Elle voudrait devenir dessinatrice sans avoir saisi le moment (et la limite d’âge) pour s’inscrire dans les écoles d’art et formations dédiées. Sophie aimerait aussi rencontrer un garçon qui lui fasse battre le cœur à cent à l’heure et pour longtemps, voire pour toujours. La musique (et les paroles) de Daniel Johnson (‘True love will find you in the end’) que nous entendons, de façon récurrente, rythment l’existence de l’héroïne, comme un désir obsédant. En attendant, Sophie, volontaire et versatile à la fois, fait sous nos yeux son apprentissage. Avec les petits boulots et les grandes ambitions. Avec les limites de la gente masculine et l’absolutisme de l’amour fou.

 

Toujours en mouvement, semblant prête à saisir toute opportunité de changement professionnel ou de rencontre affective, Sophie fait la serveuse de restaurant (provisoire), l’attachée de presse (temporaire) dans une maison d’éditions de BD au sein de laquelle elle a l’espoir d’être publiée. A chaque liaison avec un nouveau amant, elle donne aussi l’impression à son partenaire qu’ils sont l’un et l’autre libres de ne pas s’attacher, comme si elle laissait flotter son propre désir sans être capable de le fixer…

 

Ses amies et elle-même parlent de sexualité avec des termes crus et échangent avec une franchise que Sophie semble partager, comme si cette dernière dissociait sexe et amour. Une impression que les musiques et les voix ‘pop’ lyriques ou les mélodies mélancoliques de la bande son démentent autant que les palpitations émotionnelles vécues par Sophie à chaque rupture…

 

Mise en scène au diapason des émois d’une fille en quête éperdue de reconnaissance

 

Périodiquement, au terme de chaque chapitre (clôturant l’expérience amoureuse ou professionnelle inaboutie), une voix off masculine  et plus âgée (Bertrand Belin), empreinte de gravité teintée d’ironie, énonce quelque sentence ‘philosophique’ qui sonne comme la conclusion provisoire (et ambivalente) de l’épreuve traversée par Sophie. Le choix du Noir et Blanc, si rare dans le cinéma français d’aujourd’hui (à l’exception notable du sillon inlassablement creusé par le cinéaste, orfèvre de l’émergence du désir et du sentiment amoureux, Philippe Garrel), les choix des thèmes musicaux et des titres des chansons (‘Storia d’Amore’, ‘Chat danse’, ‘Les Yeux pour pleurer’…) et les bouleversements émotionnels par lesquels passent les filles (Sophie et Julia, incarnée avec finesse par Laetitia Dosch, ou Loouise, interprétée subtilement par Inas Chanti)…Autant de partis-pris de mise en scène qui confèrent un arrière-plan douloureux, profond, à cette comédie d’apparence primesautière, à l’image de son héroïne, cette jeune femme qui ne se laisse abattre ni par le caractère infect d’un boss autocrate (Grégoire Colin, inquiétant), ni par l’inconstance d’un amant décevant, ni par la présence de punaises de lit dans son matelas.

 

Ne pas se fier donc au titre réducteur « Playlist » de ce portrait vibrant et inventif  d’une fille d’aujourd’hui confrontée aux dures exigences d’un temps où chacun est sommé de compter sur ses propres forces, de devenir l’héroïne ou le héros de sa propre vie. Les garçons rencontrés par Sophie au fil de son combat quotidien sont d’ailleurs traités par la réalisatrice avec bienveillance. Pas question ici de guerre des sexes ou de dénonciation du machisme : Jean, Benjamin et les autres manifestent, chacun à sa façon, pas toujours élégante, un désarroi partagé.

 

Et la comédie faussement légère, imaginée et filmée par l’illustratrice Nine Antico, en dépit de quelques procédés répétitifs et de rares facilités de langage, pourrait bien de venir la « Playlist » emblématique d’une génération qui se cherche un avenir.

 

Samra Bonvoisin

« Playlist » de Nine Antico-sortie  en salle le 26 mai 2021

 

 

Par fjarraud , le mercredi 26 mai 2021.

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