A Nantes, qui participe à la ségrégation scolaire ? 

Comment se construit la ségrégation scolaire dans une métropole ? Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec le donnent nettement à voir dans l'Atlas social de la métropole nantaise. La ségrégation urbaine est  loin d'expliquer les inégalités sociales entre les établissements de la métropole. Et si le privé a sa part de responsabilité dans la construction des inégalités, l'Education nationale y participe aussi directement.

 

1% d'enfants d'ouvriers dans un collège nantais...

 

"Une première photographie de la composition sociale des classes de 6 e de la métropole nantaise rend visible l’importante polarisation qui structure l’espace scolaire local", écrivent Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec dans l'Atlas social de la métropole nantaise. "Ainsi, à Nantes, deux collèges publics des quartiers populaires de grands ensembles d’habitat social (Rosa Parks au Breil-Malville et Claude Debussy à Bellevue) comptent moins de 2 % d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures en 6e quand trois collèges situés dans des quartiers très favorisés en comptent autour de 66 % (Chavagnes, privé et Gabriel Guist’hau, public, tous les deux situés le long du boulevard Guist’hau dans le centre-ville et Saint-Joseph du Loquidy, privé, situé près du quartier Saint-Félix). Dans ces établissements, la proportion d’enfants d’ouvriers est inversement proportionnelle : 61 % à Rosa Parks, 57 % à Claude Debussy contre 10 % à Gabriel Guist’Hau, et 1 % seulement à Chavagnes et Saint-Joseph du Loquidy".

 

Certes, " les différences de composition sociale observées entre les collèges sont aussi le reflet des contrastes sociaux de l’espace de Nantes Métropole". Mais les auteurs font intervenir trois autres facteurs et acteurs pour expliquer une telle absence de mixité sociale dans les établissements scolaires.

 

Le rôle du privé

 

Leur carte montre d'abord que les établissements privés sont parmi ceux qui comptent le plus d'élèves de milieu favorisé. " Une ségrégation sociale aussi vive est donc incompréhensible sans tenir compte de l’enseignement privé catholique, historiquement très implanté dans la métropole nantaise, en particulier dans l’espace de la ville-centre qui compte presque autant d’établissements privés (15) que publics (16). N’étant pas soumis à la carte scolaire, ces établissements privés ont en effet un pouvoir beaucoup plus grand d’attirer et de choisir des élèves plutôt que d’autres. Sans surprise, ils figurent ainsi parmi les plus élitistes socialement puisqu’à Nantes, neuf collèges privés ont des classes de 6e composées d’au moins la moitié d’enfants de cadres, quand ce n’est le cas que de trois collèges publics".

 

"La segmentation de l’offre scolaire entre les secteurs public et privé et les possibilités de déroger légalement ou non à la carte scolaire ont pour conséquence d’accentuer les logiques de recrutement social des établissements", écrivent-ils. "Dans la métropole et plus particulièrement à Nantes, quand on compare la composition sociale des habitants des quartiers et celle des publics scolaires des collèges publics en classe de 6e, on constate une partition assez nette pour les établissements entre d’une part des collèges où les enfants de cadres sont surreprésentés tels que Anne de Bretagne (public, Saint-Herblain), Victor Hugo et Gabriel Guist’hau (public, Nantes) et Jean Monnet (public, Vertou) ou encore Gérard Philipe (public, Carquefou), et d’autre part des établissements où les enfants de cadres sont à l’inverse sous-représentés, en particulier dans les quartiers populaires du nord et de l’ouest nantais, par exemple à Stendhal (public, quartier Chêne des Anglais) ou à La Durantière (public, quartier Durantière)". Ainsi " dans Nantes, la sur-représentation de parents cadres dans les collèges privés est nette (La Perverie Sacré Cœur, St Joseph du Loquidy), à proximité du secteur populaire de Nantes-nord où les contournements du public sont importants".

 

Et de l'éducation nationale

 

Mais l'éducation nationale a aussi sa part de responsabilité et pas seulement par sa gestion des dérogations. " L’offre scolaire des collèges s’avère non seulement diversifiée mais aussi hiérarchisée, que l’on pense aux sections d’enseignement adapté (SEGPA), aux classes à horaires aménagés pour la danse ou la musique, etc. Jusqu’en 2018, on retrouvait ainsi des dispositifs accueillant les élèves étiquetés comme « intellectuellement précoces » dans deux collèges du centre-ville (Saint-Stanislas, privé et Jules Verne, public) où les enfants de cadres étaient majoritaires… alors même que comme l’a montré W. Lignier, ces stratégies de scolarisation sont des formes de distinction typiques des classes moyennes et supérieures travaillant dans le secteur privé. Les parents d’élèves des collèges publics de la périphérie nantaise dénoncent d’ailleurs régulièrement ces inégalités de dotations des établissements, à l’image de ceux du collège Claude Debussy en 2011 (public, quartier nantais de Bellevue) n’ayant pas obtenu d’option chinois, arabe ou italien, quand le collège Victor Hugo ouvrait la même année une classe bilangue anglais-arabe".

 

Pierre Merle avait déjà attiré l'attention sur le rôle du privé dans la construction de la non mixité sociale dans les établissements scolaires nantais. Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec nous rappellent que le jeu des familles est encoragé par l'éducation nationale qui répartit inégalement l'offre scolaire.

 

François Jarraud

 

Dans l'Atlas sociale de la métropole nantaise

Et aussi

Pierre Merle

La conférence du Cnesco

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 21 mai 2021.

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