Mireille Brigaudiot : Maternelle : Langage et langue sont dans un bateau, devinez qui tombe à l’eau 

Les professeurs des écoles de maternelle seront contents de retrouver ce qui les avait satisfaits en 2015 : une école qui offre aux enfants un univers qui stimule leur curiosité, répond à leurs besoins… et multiplie les occasions d'expériences sensorielles, motrices, relationnelles, cognitives en sécurité, une évaluation positive qui passe par l’observation puis l’interprétation des progrès de chaque enfant, enfin 5 domaines apprentissages stables (Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions, Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique, Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques, Construire les premiers outils pour structurer sa pensée et Explorer le monde). Ils auront plus de difficultés à comprendre exactement ce qu’ils doivent viser comme objectifs en langage. En effet, le « en même temps » langage et langue est permanent dans le texte, avec un net avantage à la langue.

 

 La définition de « langage » est conservée : Le mot « langage » désigne un ensemble d’activités mises en œuvre par un individu lorsqu’il parle, écoute, réfléchit, essaie de comprendre et, progressivement, lit et écrit. Mais alors que 2 composantes suivaient, langage oral et langage écrit, elles sont dorénavant « la langue orale » et « la langue écrite ». Qu’est-ce que ça change ? Toute la cohérence de ce programme qui, normalement, engage une volonté sociale, politique, citoyenne, de formation de ces petits d’homme.

 

Je ne prendrai qu’un exemple qui est le premier objectif de l’oral dès 2015. Il s’intitulait « Oser entrer en communication » parce qu’il encourageait les maîtres à « apprivoiser » certains enfants en particulier : ceux qui restaient à l’écart du groupe pour l’instant, ceux qui ne s’exprimaient jamais dans le contexte de l’école, ceux qui s’accrochaient à leurs affaires personnelles montrant leur crainte de ce milieu hostile, ceux qui arrivaient avec une ou des langues autres que le français et qui étaient si perdus… Il s’agissait de faire en sorte, dans la classe, de permettre à tous les enfants de mettre en route cette prédisposition au langage. Car on le sait depuis les travaux de Bruner (De la communication au langage, Cognition, 1975), la genèse du langage chez l’enfant montre une continuité, entre les moyens rudimentaires qu’il mobilise d’abord pour communiquer (sourire ou grimace, main tendu, fixation du regard, pointage du doigt, etc.) et les premières productions dans une langue.

 

Le nouveau texte reprend l’intitulé de ce premier objectif : Oser entrer en communication. Sauf que la phrase « Entre deux et quatre ans, les enfants s’expriment beaucoup par des moyens non verbaux » est remplacée par « Entre deux et quatre ans, les productions des enfants sont de plus en plus longues et complexes, respectant un ordre correct des mots en français ». On s’intéresse donc aux enfants qui parlent et on laisse les autres de côté. Bien plus, le ton est ainsi donné, le français correct ( ??) des productions des enfants donnera la couleur des attendus de fin de cycle : s’exprimer dans un langage oral syntaxiquement correct et précis, reformuler pour se faire mieux comprendre, utiliser le lexique appris en classe de façon appropriée, reformuler son propos pour se faire mieux comprendre, reformuler le propos d’autrui.

 

Conseillons aux enseignants de s’en tenir au texte et de faire l’économie de la liste d’attendus de fin de cycle. Toute liste, aussi longue soit-elle, ne recouvrira jamais la complexité des activités langagières, oh combien passionnantes, et pour les enfants, et pour le maître. Etre en langage c’est « pétiller », ce n’est pas travailler la langue. Bilal, 4 ans, ramasse une châtaigne sous le platane de la cour de récréation et court vers sa maîtresse : « regarde ! le platane il a fait une châtaigne !! ». Il clame sa stupéfaction. Il force l’intonation. Il pétille. Il est en langage. C’est magnifique. Et c’est parce qu’il est en langage qu’il exprime sa surprise avec une remarquable maîtrise du français oral. Pour apprécier une telle prouesse, encore faut-il refuser la conception d’une langue orale souhaitable, calquée sur la langue écrite, avec notamment un ordre strict des mots.

 

Mireille Brigaudiot

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 17 mai 2021.

Commentaires

  • Reformateur, le 17/05/2021 à 17:28
    Bonjour,

    Magistrale Mireille !
    Lorsque le langage est plus une norme qu’une intention, il perd son sens, sa fonction.

    Cet aspect n’est d’ailleurs pas toujours très clair même en appui sur les programmes de 2015, dans nos formations sur la langue orale ou la langue écrite.
    Quelle conception de la progression scolaire suggère-t-on encore souvent, malgré la place restaurée de l’oral dans le cursus scolaire depuis 2016 ? Une représentation très française. Le passage d’un langage à l’autre, toujours « supérieur » : du langage corporel, à la langue orale, pour enfin atteindre le stade ultime, la langue écrite.

    Or il ne s’agit pas d’abandonner l’un pour l’autre, mais d’offrir à l’élève les moyens de s’exprimer dans toutes ses dimensions, corporelles, picturales, vocales et écrites et de savoir mettre ces différents langages en correspondance. Ce sont d'ailleurs ces correspondances qui étofferont son goût pour la langue orale ou écrite, sa capacité à donner du corps à son propos !
    « regarde ! le platane il a fait une châtaigne !! ».
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