Claire Lommé : La confiance, c’est vraiment au centre 

Apparemment dans cet article il est question du petit Chaperon rouge, de calculs de distance et de temps et de courbe. Mais en fait il est question d'un ingrédient beaucoup plus nécessaire en maths comme ailleurs : le lien pédagogique et la confiance…

 

Le chemin du petit Chaperon rouge

 

Avant la fermeture des établissements pour les deux semaines de distanciel et les vacances déplacées, j’avais donné un devoir à mes élèves de sixième : à partir d’une activité de Bernard Blochs et Jacques Lalande, issue d’un ouvrage édité par le CRDP de Besançon en novembre 2007, il s’agissait de choisir quatre des six situations proposées (au moins) et, pour chacune, de me raconter l’histoire. Il fallait qu’elle corresponde à la consigne, bien sûr. Mais les élèves pouvaient broder, déformer, ajouter des éléments, choisir le format de production qui les amusait : en mots, en bande dessinée, en manga, en roman-photo, avec des Playmobils ou des Lego, sous forme de film, d’émission de radio, bref, tout ce qui leur passait par la tête et leur donnait envie.

 

Le document de départ propose un contexte : le Chaperon rouge va chez sa mamie régulièrement. Mamie habite à 10km de chez Chaperon. Chaperon a deux modes de déplacement possible : elle marche à 5km/h ou prend le bus qui roule à 30km/h. Il se trouve que Chaperon adore tracer des courbes dans son petit carnet (quelle chance pour moi !), et qu’elle reporte ses trajets, ainsi par exemple :


 

 

En abscisses on lit les heures de la journée. En ordonnées est représentée la distance qui sépare Chaperon de chez elle, et non la distance totale parcourue (c’est important, et à bien préciser aux élèves si on leur propose cette activité).

 







Réactiver la lecture de courbes

 

En gros, les situations interrogent les élèves, de façon progressive, sur les heures de changement de situation, mais aussi sur les moyens de transport empruntés : à pieds à 5 km/h ou en bus à 30km/h. Pour ma part, au travers de cette activité, j’avais envie d’introduire les vitesses, sur lesquelles nous allons travailler en dernière période en sixième. Par exemple, sur le graphique ci-dessus, peut-on déterminer exactement l’heure d’arrivée chez elle du Chaperon ? La lecture graphique peut-elle le permettre ? Peut-on la calculer ? Ce serait aussi l’occasion de parler de vitesse instantanée, de vitesse moyenne, de vitesse uniforme.

 

Évidemment, l’activité me permettait aussi de réactiver la lecture de courbes, la mesure du temps et des durées, le langage, la proportionnalité, la recherche et la sélection d’informations, bref, il y avait de quoi faire. Et nous avons commencé à résoudre les situations ensemble, pour que tous les élèves soient en mesure de traiter le devoir de façon autonome.

 

Alors sur le plan mathématique, c’est une réussite : c’est vraiment une super situation. Et maintenant je vais pouvoir développer le sens des vitesses de façon, j’espère plus « incarnée » que plus tôt dans l’année : mes élèves ne donnent en général pas de sens à cette notion. Et comme un collègue m’a envoyé une situation supplémentaire qui fera office d’évaluation, c’est parfait ! Mais ce qui me plaît aussi beaucoup, c’est d’avoir récolté bon nombre de productions franchement originales (des liens figurent en fin d’article si vous avez envie d’aller les voir) : un roman-photo, une réalisation par Minecraft, des bande dessinées, une histoire, des films, une émission de radio… Parfois les élèves ont adjoint leur production à une copie sur laquelle figurent les réponses de façon plus académique, et parfois leur production répond à tout directement.


 

 

Et la confiance…

 

Mais ce qui me plaît aussi beaucoup, c’est la mise en projet des élèves qui ont rendu une production personnalisée, originale. Ce n’est pas le cas de tous les élèves, car ils avaient la possibilité de me rendre ce devoir sous une forme « classique », bien sûr : sur les 25 ramassées pour le moment (il m’en manque la moitié, encore), j’ai 13 productions non « conventionnelles ». Ces élèves sont valorisés par une compétence de mon référentiel, « vivre les mathématiques » (j’ai aussi, dans mon 7e domaine, « se forger une culture mathématique », les compétences « imaginer les mathématiques » et « voyager en mathématiques »), mais les autres y sont juste non évalués : ils ne perdent rien.

 

Dans les productions, je vois des éléments de la personnalité de mes élèves, du plaisir, de l’humour, parfois la participation des familles de très belle façon. Je vois aussi de la confiance : ils m’ont laissé voir un peu plus d’eux, au travers de ces productions. Cette confiance me touche. Elle s’est aussi exprimée par certains élèves venus négocier un délai : ils n’avaient pas peur de se « prendre une punition ». Ils m’ont expliqué qu’ils s’étaient lancés dans un gros projet, et qu’ils avaient besoin de davantage de temps. C’est très signifiant et important pour moi, cette confiance-là aussi. Alors oui, ils ont leur délai. Il n’y a pas le feu. Et du coup, ceux qui veulent développer ou faire autrement leur production le peuvent aussi, et je conserverai la meilleure évaluation des deux.

 

Je crois que je touche là ce qui est au cœur du métier d’enseignant tel que je l’envisage. Je réfléchis souvent à quelle enseignante je veux être, car j’ai sans cesse besoin de réguler mon comportement, mes réactions, pour m’y conformer. Ce que je veux, c’est respecter chaque enfant en l’amenant le plus loin possible. Ce que je veux, c’est qu’il entre dans ma classe sans peur, avec l’envie d’apprendre, et qu’il en sorte plus intelligent et cultivé. Et la confiance, c’est vraiment au centre, avec un équilibre forcément instable entre cadrage et lâcher-prise. Ouhlala oui, c’est un métier…

 

Un élève est venu me voir, encore, à propos de cette activité, mais pour me raconter une anecdote. C’est un élève en difficulté, et en conflit régulier avec son papa. Pendant les vacances, il était chez son papa. Il n’arrivait pas à faire son devoir, mais il avait une super idée de réalisation. Alors il prend son courage à deux mains et en parle à son papa : il lui explique la consigne, qu’il ne comprend rien du tout à ces courbes et qu’« il est complètement space ce chaperon », qu’il a une idée de réalisation. Son papa étudie la consigne, et propose à son fils sa version de la lecture des courbes. Mais il doute : comment un bus qui roule à 30km/h pourrait-il parcourir 10km en un quart d’heure ? Il lui faut plus de temps ! Il s’interroge : est-ce que j’ai mal compris ? Son fils est surpris par ce doute. Il lui propose alors de m’écrire pour me demander : « on peut toujours lui écrire pour lui demander, à la prof, elle a dit ». Mais le papa, il cogite. Il s’est approprié le problème, il veut comprendre. Alors paf, il pose la feuille de consigne et propose à son fils de trouver une looooongue avenue et de la remonter en essayant de rester au plus près de 30km/h. Ils font ça, à un moment creux de la journée. Papa conduit, fiston chronomètre, tellement heureux : « madame, on s’est tellement amusés avec mon père, c’était trop bien ! ». Et au final, ils mesurent non pas un quart d’heure, mais vingt minutes.

 

Rentrés, ils s’assoient et réfléchissent. Mon élève sort les Legos et dit à son père : « regarde, moi j’ai compris en roulant. Chaque Lego, c’est dix minutes. Pour faire une heure il me faut 6 legos. Mais si je dis c’est la distance, les 6 Legos ils font 30km, donc un seul Lego il fait 5km parce qu’il faut diviser. Moi je veux 10km, ça fait 2 Legos, donc deux fois dix minutes. » Le papa est non seulement convaincu, mais aussi admiratif. « J’ai fait comme vous en cours, madame, avec les Legos. Vous êtes fière de moi ? » Ooooh oui, mon bonhomme.

 

Claire Lommé

 

L’activité Chaperon :

avec une analyse a priori

avec l’activité complète

Des productions d’élèves :

Radio Chaperon

Chaperon Minecraft

Des Chaperons en mots, en dessins, en photos

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 11 mai 2021.

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