Numérique : Un rapport du CESE qui apporte peu 

Dans son avis présenté le 25 mars par Marie-Pierre Gariel, le CESE recycle l'idée de l'innovation pédagogique par le numérique. Cette manière de voir est en contradiction avec tout ce que l'on sait du numérique éducatif et surtout peuple l'imaginaire de nombre de décideurs qui sont parfois insuffisamment en phase avec les réalités quotidiennes de l'acte pédagogique. Par contre, saluons dans le rapport le cadre posé, en particulier éthique et durable, ce qui constitue dans les discours publics une évolution intéressante, les autres points étant, eux aussi déjà souvent balayés.

 

Le numérique entre local et national

 

La lecture de ce rapport peut se faire autour de deux parties : d'une part, les 20 préconisations, d'autre part les commentaires des groupes qui composent le CESE et leur vote à propos de cet avis. On peut noter, en lisant ces commentaires que deux points font débat : d'une part l'articulation entre le global (national) et le local, d'autre part la nécessaire certification numérique des enseignants (via PIX) pour pouvoir entrer dans le métier. On remarque que plusieurs propositions soulignent l'importance du lien et de la nécessaire cohérence entre l'action de l'État et celle des collectivités territoriales. Même si certains membres du CESE refusent une "territorialisation" de ces actions, ce travail souligne les difficiles articulations actuellement visibles aussi bien autour de projets comme TNE (Territoires Numériques Éducatifs) ou encore Socle Numérique... Ce constat ne peut qu'amener à une réflexion plus en profondeur sur la place respective de chacun des acteurs qui devraient passer d'une sorte de concurrence défiante à une bienveillante collaboration. Pour ce qui est de l'obligation de compétences numériques pour exercer le métier d'enseignant, l'histoire récente du C2i2E a montré que ces opposants étaient écoutés en haut lieu, celui-ci n'ayant jamais amené à une obligation légale de certification, celle-ci ayant toujours été repoussée, parfois in extremis. En revenant sur cette proposition le CESE montre bien que le passage par la maîtrise du numérique par les enseignants serait un incontournable d'une évolution des pratiques d'enseignement. D'ailleurs, les enquêtes de terrain confirment une demande de formation des enseignants en poste dans ce domaine dès lors que le numérique s'impose, soit par les équipements massifs, soit par les situations de crise (Covid).

 

Signalons ici plusieurs partis pris qui confortent d'autres propositions déjà faites dans d'autres travaux. L'insistance sur la place de la recherche (fondamentale et appliquée) présente dans plusieurs propositions montre bien qu'il y a un besoin, mais que celui-ci ne semble pas encore atteindre le niveau souhaité. Toutefois, restons prudents sur ces propositions qui peuvent aussi être un souhait d'instrumentalisation de la recherche ou d'une orientation prioritaire de la recherche non pertinente (où pourrait se tenir réellement le débat sur ces questions ?). Un autre parti pris est celui du logiciel libre et plus largement l'association du secteur associatif au développement d'une politique d'éducation au numérique de la population (cf. les propositions sur les familles). En proposant des tiers lieux éducatifs, ou encore une formation des familles avec les associations, les propositions vont dans un sens plus global de localisation de l'action. Sans vraiment l'affirmer, la prise en compte des contextes locaux semble devoir devenir un incontournable. Le CESE revient, à l'instar des États Généraux du Numérique, sur le rôle des opérateurs de l'État (CANOPE, CNED et même PIX), sur le renforcement du rôle de ces acteurs. Cette proposition va davantage dans le sens d'une approche nationale. On retrouve cette idée d'un pilotage national au travers de plusieurs propositions (bien que considérées comme insuffisantes par certains membres), d'où la recherche d'un équilibre fragile et difficile à trouver.

 

Renforcer les ERUN ?

 

Les faiblesses du rapport apparaissent en particulier dans ce qui concerne les enseignants : en proposant d'augmenter la prime d'équipement au lieu de préconiser l'équipement des enseignants, ils oublient un problème local de continuité entre l'équipement de l'école et celui de ses acteurs. Pour ce qui est de la formation, les intentions restent louables, mais elles ne prennent pas suffisamment en compte les réalités des besoins de terrain. Seule la proposition de renforcer le rôle des ERUN et autres RUPN pourrait offrir une piste : celle de l'accompagnement de proximité rapide et efficace. Malheureusement, nos observations montrent que le cadre permettant l'action de ces personnels est insuffisant. Certaines collectivités ont placé des personnels dans chaque collège, par exemple, pour assurer un suivi de proximité. Bien que limités dans leurs actions (pas de pédagogie...) ces personnels rassurent les établissements comme nous l'avons constaté dans les Landes ou les Bouches-du-Rhône par exemple. Enfin, on peut s'étonner de voir qu'aucune proposition/réflexion ne concerne explicitement les cadres intermédiaires (de l’inspection générale aux IEN, des conseillers pédagogiques aux IA IPR, sans oublier les personnels de direction). Or ceux-ci sont le complément indispensable de l'accompagnement de proximité des équipes enseignantes, des élèves mais aussi des familles....

 

Position ambigüe

 

Un rapport qui ne révolutionne pas l'approche du numérique en éducation. Un rapport qui oublie trop la dimension pédagogique intrinsèque à prendre en compte. Un rapport qui souligne les tensions actuelles entre le local et le global, mais qui révèle surtout la faiblesse d'une vision du numérique en éducation. Paradoxalement cette faiblesse apparaît au moment où le numérique s'impose de la plus mauvaise des manières : entre béquille et prothèse, alors que pendant plus de quarante années on a tergiversé... Signalons enfin cette allusion brève aux écrans en lien avec la nécessité de recherche. On sent ici la position ambiguë entre le numérique scolaire et l'éducation aux écrans : quels liens, quelles limites ?  Souhaitons simplement que ce rapport alimente le débat public et qu'il encourage le ministère à dépasser les politiques d'équipement (TNE, Socle Numérique et autres plans) pour dégager de véritables ambitions éducatives comprises par tous et partagées entre le local et le national... Il y a encore du chemin à parcourir...

 

Bruno Devauchelle

 

Le rapport

Fiche de présentation

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 31 mars 2021.

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