Sylviane Corbion : L'école inclusive entre idéalisme et réalité 

Les nobles idées ne suffisent pas. Professeure des écoles et enseignante spécialisée, docteure en sociologie, Sylviane Corbion témoigne des réalités de l'école inclusive au regard des prescriptions officielles. Son ouvrage (éditions Erès) fait la part belle aux témoignages d'acteurs de terrain. Elle souligne "l'écart abyssal" entre le prescrit et le réel, la souffrance des enfants et des enseignants piégés dans une relation scolaire inadaptée et pas préparée. Un témoignage qui rétablit la vérité et une analyse qui appelle à une autre politique.

 

Votre livre est celui d'une spécialiste mais aussi et peut-être surtout celui d'un acteur de terrain. C'est important de faire entendre la parole des acteurs de terrain sur un sujet comme l'école inclusive ?

 

C'est très important. On voit bien, par exemple dans le récent Grenelle de l'éducation, à quel point ils sont mis à part. Les états-majors des pouvoirs publics décident et les gens du terrain se retrouvent à faire ce qu'on leur demande sans avoir la possibilité de se faire entendre. Il y a pourtant des choses à apprendre sur ce qui est humainement possible  de mettre en place dans les écoles. S'il y avait plus de concertation les réformes pourraient être plus ambitieuses et effectives.

 

Il y a un discours officiel sur l'école inclusive. Mais quelle est la situation réelle ?

 

Le problème de l'école inclusive c'est que les enseignants sont peu expérimentés et formés avec des élèves qui ont des besoins très larges. L'école inclusive ne concerne pas que les enfants handicapés mais aussi les élèves en difficulté scolaire ou en difficulté sociale. Ca peut être aussi des élèves trop lents par rapport à des programmes qui sont les mêmes pour tous. Les programmes ne sont pas différenciés en France  à la différence de l'Italie.

 

Tout cela est difficile à gérer pour des enseignants peu formés et des accompagnants eux aussi peu formés et au statut précaire le tout dans des classes surchargées. En Italie on a des classes à 20 élèves avec des enseignants spécialisés formés durant deux années qui suivent un enfant. Les moyens sont sans commune mesure avec ceux qui sont attribués en France. On voudrait arriver à une inclusion scolaire identique à celle qui existe en Italie mais sans mettre les moyens nécessaires.

 

Vous parlez d'un "écart abyssal" entre les prescriptions et la réalité de la classe. Des exemples ?

 

On inscrit en maternelle des enfants à besoins particuliers sans savoir si un accompagnateur sera là. Un dispositif est mis en place mais souvent la logistique ne suit pas.

 

Les enseignants se trouvent souvent devant des enfants ingérables, par exemple des enfants violents. J'en ai connu beaucoup qui restaient toute la journée dans le bureau du directeur. J'ai connu une école en Seine Saint-Denis où le directeur en accueillait 8 ! Ca peut être des enfants handicapés mais aussi des enfants en échec scolaire qui supportent mal la situation. On parle beaucoup d'école inclusive mais que fait-on pour ces enfants à part les mettre à part ? Le ministre dit aux enseignants qu'ils doivent échanger avec les professionnels de santé. Mais quand on les voit ils nous donnent peu d'informations du fait du secret professionnel.

 

Pourtant il y a des moyens. Vous parlez de 129 000 emplois.

 

Ce sont surtout des emplois d'AESH qui sont précaires. Les AESH sont peu formés et se retrouvent avec la mise en place des PIAL, avec plusieurs enfants. C'est ingérable pour eux. Comme ils sont précieux pour gérer les enfants indisciplinés ils vont plutot vers ces enfants aux dépens des autres.

 

Il y a un problème de formation des enseignants spécialisés ou un problème de reconnaissance de leur rôle ?

 

Les enseignants des Rased ont beaucoup diminué depuis 2008 et on voit se multiplier des zones blanches sans Rased, particulièrement pour les maitres G, rééducateurs, ceux qui sont le plus à même de prendre en charge les élèves violents.

 

C'ets vrai qu'il y a un problème de formation. Le Cappei nécessite maintenant moins d'heures de formation et la formation se fait en alternance ce qui ne donne pas à l'enseignant le temps d'apprendre son métier.

 

Une autre difficulté pour les enseignants spécialisés c'est que les professeurs attendent beaucoup d'eux. Ils voudraient que les problèmes des élèves ayant des difficultés scolaires ou violents se règlent en 3 séances de 45 minutes. Mais ce n'est évidemment pas possible.

 

A t-on atteint la limite de l'inclusion scolaire ?

 

On ne l'a pas atteint. Les pouvoirs publics veulent supprimer les établissements spécialisés et inclure presque tous les enfants dans les classes quelle que soit leur problématique mais sans donner les moyens nécessaires.

 

Que faudrait-il faire ?

 

Travailler les conditions de déploiement des plans ambitieux. Et pour cela s'appuyer sur l'intelligence des acteurs de terrain, sur le partage d'expériences et les échanges avec les chercheurs.

 

Propos recueillis par François Jarraud

Sylviane Corbion, L'école inclusive. Entre idéalisme et réalité, Editions Eres ISBN 978-2-7492-6859-0

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 26 mars 2021.

Commentaires

  • DocFlo, le 10/04/2021 à 12:22
    Bonjour !
    Je suis médecin scolaire. Je ne m'occupe principalement que des enfants à besoins particuliers.
    Bien sûr que nous pouvons aider les enseignants, surtout quand les parents parlent ouvertement des troubles de leur enfant...
    Je suis d'accord avec tout ce que vous dites et je comprends les difficultés des enseignants face à tous ces élèves avec des troubles variés et compliqués.
    3 autres problèmes s'ajoutent :
    1 - L'offre de soins abordables diminue fortement : suppression de la PMI, des CMP, moins de pédopsychiatres et très peu d'orthophonistes disponibles, etc. Les psychomotriciens et les ergothérapeutes, les psychologues sont souvent chers et pas remboursés par la sécurité sociale. Ce qui provoque une dérive : beaucoup de parents demandent un dossier de la MDPH pour que les soins de leur enfant soient pris en charge financièrement.
    Ce manquement creuse l'inégalité face aux soins. De nombreux enfants avec des grosses difficultés n'ont pas de soins.
    2 - La télévision fait de bons documentaires et des débats sur des pathologies rencontrées à l'école : autisme, troubles du comportement, etc. Les situations présentées ne sont pas toujours les plus courantes et l'école est très critiquée mais il n'y a jamais de membres de l'équipe éducative d'un établissement scolaire pour exposer l'état des lieux... La conclusion est toujours que tous les enfants doivent être inclus. Alors qu'il faut faire du cas par cas.
    3 - Les écrans font des ravages. Leurs excès majorent les difficultés des élèves et en créent. Ce ne sont pas les confinements qui arrangent les choses. Il n'y a peu de volonté de l'Etat à limiter leurs dégâts...
    Je vous remercie de prendre en considération mes remarques.
    Cordialement
    Doc Flo

    De : fjarraud
    Publié : vendredi 26 mars 2021 06:51
    Objet : Sylviane Corbion : L'école inclusive entre idéalisme et réalité
  • Chris38, le 10/04/2021 à 11:13
    Bonjour,
    Je suis professeur des écoles en école primaire et j'inclus tous les jours 4 enfants scolarisés en Ulis dans ma classe. Je suis pour l'école inclusive dans ces conditions : j'adapte mon enseignement à ces enfants qui semblent bien dans ma classe et en tirer profit. Par contre, dans notre école, il y a 2 autres enfants, l'un autiste sévère et l'autre handicapé moteur et cérébral incapable de communiquer. Ces enfants sont confiés à des AESH quelques heures par semaine et ne sont pas accueillis à l'école en dehors de ces heures car malheureusement ils ne peuvent pas rester en classe sans eux. Ces enfants sont en attente de place en IME ou en IMPH mais pas de place ! C'est scandaleux ! Que de souffrances pour eux, pour leurs parents dont l'emploi du temps est soumis au nombre d'heures d'AESH accordé par l'institutution, pour les AESH qui font de leur mieux mais qui se sentent impuissants, pour les autres enfants de leur classe qui assistent à leurs crises... C'est de la maltraitance pour moi. Mais je dois me taire pour ne pas sortir de mon devoir de réserve. Il faut ouvrir des places pour ces enfants en instituts spécialisés au lieu de vouloir les fermer ! Merci. 
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