Cécile Roaux : Dans le bureau du directeur d'école... 

Que sait-on du bureau du directeur d'école ? Lieu terrifiant pour les élèves c'est aussi un espace que les enseignants ramènent souvent en lieu de passage ou en espace collectif. Autrement dit un espace où se nie l'autorité du directeur d'école. C'est ce que nous explique Cécile Roaux (Laboratoire Cerlis, Université Paris Descartes).

 

Vous dites du bureau du directeur d'école que c'est un lieu inexistant, voire nié. Que voulez-vous dire ?

 

Ces observations proviennent d’une série d’enquêtes menées par diverses méthodes (questionnaires, entretiens, observations ethnographiques de longue durée) tournant autour de la question du pouvoir dans les écoles primaires. Je rappellerai d’abord, avec la sociologie des organisations, que le pouvoir n’est pas un attribut, mais le contrôle de quelque chose d’important pour d’autres acteurs ou pour l’organisation elle-même. Il ne faut pas non plus confondre pouvoir et autorité.

 

Ces observations sont particulièrement éclairantes sur la réalité ordinaire du pouvoir dans une école: l’espace privilégié et protégé de tout regard extérieur par les enseignants c’est leur classe, lieu de transmission des savoirs. Cette protection est aussi un refus très fort – identitaire même – de subir un contrôle perçu comme aliénant leur « liberté pédagogique », en même temps qu’elle est dévalorisation des autres tâches : les tâches administratives, le travail hors de la classe en général. Il est frappant de voir que cette désacralisation s’applique au lieu qui devrait être celui du directeur ou de la directrice et donc symboliser une autorité : leur bureau. Cela va du refus explicite de considérer qu’il s’agit d’un lieu particulier, mais qu’au contraire il appartient à tous les enseignants, jusqu’à des formes plus diffuses de contestation de son caractère spécifique : entrées sans frapper, appropriation du matériel de bureau pour des besoins pédagogiques par exemple, ce qui est décrit dans l’article que vous citez.

 

Comment les enseignants l'utilisent ils et comment voient-ils la fonction de son titulaire ?

 

Il existe une ambiguïté fondamentale. Il ne faut pas oublier qu’historiquement l’école s’est construite autour de la classe et donc du travail enseignant selon le modèle dit de « boite à œufs » (Eggs crate organization, décrit initialement par Lortie, 1975 et repris par Tardif et Lessard en 1999 sur le métier d’enseignant). En découle une centration sur « la » classe et une réticence très forte à un engagement collectif. Le pilotage pédagogique de l’école par la direction d’école est dès lors assez réduit. Le « projet d’école » est souvent un pensum sans véritable effet dans bien des cas sur les pratiques enseignantes. La direction d’école doit alors se rabattre sur des fonctions plus ou moins méprisées, englobées sous la locution de « tâches administratives », diffusant une image d’activités bureaucratiques. Cependant il est des cas où au contraire le bureau est bureau d’autorité, en particulier quand est délégué au directeur le soin de recevoir des parents considérés comme hostiles à tel ou tel enseignant ou quand le comportement d’un élève devient « difficile ». En école primaire, la fonction directoriale apparaît davantage assignée au « sale boulot » : l’administratif et le maintien de l’ordre. On pensera ici bien sûr aux travaux de Jean-Paul Payet sur la fonction de CPE dans le second degré.

 

Comment les élèves voient-ils le bureau du directeur ?

 

Dans un sens, pour les élèves c’est un peu l’image du « croquemitaine ». Être envoyé dans ce lieu ou menacé de l’être provoque crainte et inquiétude sur les possibles conséquences. Et pourquoi pas d’ailleurs si on considère la nécessité, dans cette organisation d’une loi symbolique ?  Cependant, et d’autres observations le montrent, il y a aussi pour ces élèves parfois difficiles car eux-mêmes en difficulté, qui voient dans la personne de la directrice ou du directeur, un recours et une écoute différente qui peuvent aider. Je garde en mémoire cet enfant qui a pu évoquer dans ce bureau les mauvais traitements et les abus infligés par son père, ce qui a permis d’enclencher une procédure de protection.

 

Finalement qu'est-ce que ça nous apprend sur les directeurs d'école ?

 

On le sait et on le dit souvent : les directeurs et directrices d’école cumulent toutes les fonctions des personnels de direction du second degré auxquelles il faudrait ajouter les fonctions des CPE et des secrétaires. Au minimum. Mais ce dont on parle peu – un véritable tabou en fait– ce sont les conflits réels mais rarement exprimés liés à l’opposition entre les enjeux des professeurs de préserver leur autonomie et de contrôler au maximum un travail d’enseignant dans la classe et l’enjeu - la mission selon les textes officiels - d’entraînement au travail collectif qui est celui des directions d’école. Tout est négociation, parfois de bonne volonté, parfois de grande âpreté : surveillance des récréations, utilisation du matériel, tenue de la coopérative, effectivité du travail d’élaboration et de mise en œuvre des projets pédagogiques, relations avec les parents. On n’oubliera pas non plus d’autres difficultés liées à l’appartenance de certains personnels non à l’éducation nationale mais à la fonction publique territoriale. C’est d’ailleurs l’ensemble de ces observations que je publie bientôt dans un ouvrage à paraître aux PUF sous le titre : « Un métier impossible : la direction d’école ? Contribution à une sociologie du pouvoir ». J’essaie de poser les vrais problèmes, en espérant que cela permettra d’avancer vers une stabilisation de cette fonction de directeur d’école.

 

La loi Rilhac prévoit de donner de l'autorité aux directeurs. Est-ce à même de changer la réalité de la fonction des directeurs ?

 

L’autorité n’est pas le pouvoir, je l’ai dit. Evidemment il faut améliorer les conditions de travail des directeurs d’école et leur offrir une meilleure reconnaissance, même si le contenu de ce mot reste à définir. Il est certainement nécessaire de simplifier et d’alléger le travail bureaucratique. Il est sûrement utile que sur des activités collectives clairement définies, le directeur puisse avoir le dernier mot dans leur répartition puisqu’il doit en assumer la responsabilité.

 

Mais ce qui est en jeu va bien plus loin et touche au sens même de l’école et des métiers s’y exerçant. La recherche internationale montre bien comment les apprentissages bénéficient largement d’un collectif de travail élargi. Elle montre aussi qu’il est une des meilleures préventions de la violence, du harcèlement ou du décrochage scolaire. Cela implique un véritable changement de logique et donc de formation : travailler en équipe n'est pas inné, cela s’apprend et est valable pour toute organisation. La formation doit être destinée à fournir à toutes les parties prenantes les outils qui leur permette de comprendre les difficultés inhérentes à la coopération et par là même leur donner les moyens de surmonter ces difficultés. Faute de cela, je crains que le burn out des directeurs et la fuite de ce métier ne soit encore longtemps une réalité.

 

Cécile Roaux

 

Cécile Roaux, Le « bureau du directeur » : contribution à une approche ethnographique du pouvoir en école primaire , Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle 2020/1 (Vol. 53).

 

 

Par fjarraud , le mercredi 24 mars 2021.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces